Escale aux îles Seychelles ...
TRADITIONS FRANCO-FRANCAISES
On songe au décor d'une vitrine de
Noël, bien propre, bien rangée, colorée ... De celles qui font rêver les
passants ... La mer, un tantinet trop bleue, un tantinet trop calme ... La
plage, un peu trop blonde.
À quai, en pleine ville, il y a deux
bateaux gris, pavoisés. La montagne sert d'arrière-plan : Elle est trop verte,
couverte de falcatas et de canneliers, ou encore de mahoganis ... Granits gris,
granits roses, fleurs, bananiers, disposés trop sagement.
La route serpente, étroite. Des
voitures découvertes, rouges, jaunes ou bleues, montent et descendent, se
doublent et se croisent. Dans ces voitures, il y a des petits matelots tout
neufs, avec des appareils photos pendus à leur cou, chemises blanches et pompons
rouges. Le tout est bien net, comme lavé par la dernière pluie... Les toits
luisent, et les feuilles, et la route.
Les marins sont ceux du
"Rhin" et ceux du "Doudard de Lagrée". Ces deux navires en
escale "de représentation" sont basés à Djibouti. Ce sont deux
"navires-ateliers". Ils remontent vers le Nord, après avoir assuré
l'entretien des navire stationnaires de la Réunion. Ils sont passés à Mayote et
à Maurice. A Victoria, les équipages sont en "semi-détente" : Le
matin, ils assurent l'entretien du "Topaze", le vieux dragueur
Seychellois d'origine française. L'escale durera quatre jours. Les après-midi,
on fait le tour de l'île en voitures de location, ou bien on se répand sur les
plages ... Deux mois plus tôt, avec le même programme, sont passés le"Protet"
et le "Jules Verne".
La tradition veut que, chaque fois,
l'ambassade envoie à tous les membres de la communauté française des cartons
dorés sur tranche :
" _ Le Capitaine de Vaisseau X,
commandant le Navire_atelier Y, prie monsieur Z et Madame, de lui faire
l'honneur de leur présence pour un cocktail à bord, le ... à dix huit heures
trente".
Belles majuscules. Les lettres
d'imprimerie sont splendides ... Monsieur et Madame sont très honorés : La
République s'apprête à les recevoir ... Sur les vaisseaux de la Royale ! _ Et
qu'importe s'il ne s'agit que de navires-ateliers : Il y a tout de même un
Amiral à bord, parfois !
L' Ambassadeur et Madame, Les
Ambassadeurs des autres nations représentées, le Chef de la mission de
Coopération française, une trentaine de coopérants français : techniciens et
enseignants ... avec leurs dames ... Il y a aussi tous les Français tenant
commerce ou siégeant dans les bureaux. Les notables du pays, dûment invités, ne
sont guère représentés : Sans doute y aurait-il là matière à réflexion ...
Mais, au fond, qui s'en soucie ?
Officiers à la coupée, tout de blanc
vêtus, et galonnés. Coups de sifflet comme au temps de la marine à voiles :
Monsieur l'Ambassadeur de France et Madame montent à bord : Madame est en noir,
coiffure en vol-au-vent couleur aile-de-corbeau... Madame chancelle, se
rattrape à la lisse : L'échelle de coupée n'a pas été étudiée pour les talons
hauts ... Impassible, le Commandant salue.
Nouveau coup de sifflet : C'est pour
le Haut-Commissaire britannique, ( "Haut-Commissaire", pas
"Ambassadeur":... Ceci pour marquer que les Seychelles appartiennent
au Commonwelth et que la Reine de Grande-Bretagne est ici chez elle. )
Sifflet de nouveau, pour Monsieur
l'Ambassadeur de l'Inde et Madame, drapée dans un sari vert... Les autres
invités n'ont pas droit au sifflet ... Mais Monsieur l'Agent Consulaire les
présente au Commandant, dès qu'ils ont mis le pied sur le pont :
_ " Monsieur X, Ingénieur à
l'O.R.S.T.O.M. et Madame."
Le pont du bateau a lui-même l'aspect
d'une vitrine, toute propre, luisante et pavoisée de toutes les couleurs. Une
longue table y est dressée, garnie de verres pleins de liquides jaunes, roses,
orange, ou verts. Des groupes se forment, s'agglutinent ... Chacun a son verre
à la main. Les alcools sont servis par les matelots : Le whisky à la bouteille,
le punch à la louche, comme il se doit. L'équipage offre des petits-fours sur
des plateaux.
_ " Champagne ! C'est la
République qui régale ! " Les officiers- Mariniers sont de service : L'un
d'eux courtise une jeune institutrice aux yeux clairs. Elle le contraindra à
aller chercher son sabre pour ... sabrer la bouteille de Champagne ! ...
Comment et où cela se terminera-t-il ?
_ " Et cela marche à chaque
fois, dit-elle, épanouie. "
Mais tous les Officiers et
officiers-Mariniers s'acquittent fort bien de leur mission : Nul invité n'est
laissé à l'écart. Reconnaissons qu'ils font cela avec aisance :
Certains; même, y prennent peut-être
du plaisir ... parlant de tout et de rien ... Comme il convient !
_ " Combien d'hommes à bord ?
"
_ La question est rituelle,
inévitable ... Cette fois-ci, il y en a trois cents.
_ " Et l'armement ? " ...
Pas de chance : Un navire-atelier est presque désarmé.
_ " La plate-forme pour
hélicoptère ? "
_ " Oui, nous pouvons en loger
un dans le hangar". "
_ " Et Djibouti, c'est comment
?"
_ " Chaud. "
_" Connaissez-vous Z ? C'est mon
cousin : Il est embarqué à Toulon."
_ Réponses appliquées, bienveillantes
... Mais on entend aussi un midship répondre :
_"Vous savez, moi, la Marine, je
ne suis pas marié avec elle : Encore six mois, et puis je me tire ! "
Le médecin du bord cherche un
confrère civil. Une jeune visiteuse cherche le Commissaire :
"_ Avez-vous vu le Commissaire ?
C'est pour savoir si l'on vend des parfums à la coopérative de l'équipage
..."
_ Bien sûr, on en vend, et puis on
vend aussi des carrés de chez Hermès ..
Un civil, pansu, arbore une lourde
chaîne d'or autour du cou. Au majeur brille une grosse chevalière du même métal
:
_ " Je veux acheter une plaque
de bouche pour ma collection, avez-vous des plaques de bouche ? "
Il est patron de bistrot à Victoria.
C'est un ancien marin ... Du moins, il le dit ... Tatouages sur les bras comme
preuves à l'appui, bien visibles.
Monsieur l'Agent Consulaire est très
affairé : Il lui manque une jeune-femme pour composer la table du Commandant.
Il s'adresse à l'institutrice qui faisait sabrer le Champagne tout à l'heure _
Sa voisine, jeune agrégée à chignon s'offusque de ce choix .
Traditions ... Traditions ! Le
Commandant d'une Corvette ou d'un vaisseau de haut-bord, autrefois, ayant fait
carguer les voiles, recevait à son bord une communauté nationale qui n'avait guère
d'autres occasions de voir flotter son drapeau et d'entendre parler sa langue.
Le bateau en escale représentait la
mère-Patrie. Mais, de nos jours, Mahé reçoit chaque jour plusieurs avions
longs-courriers, en provenance de Londres, Paris, Francfort, Rome ou Singapour
... Chaque avion débarque ou rembarque son flot de touristes à chapeaux de
toile et à chemises bariolées. Est-ce à cause de cet anachronisme que les
conversations, aux escales des bateaux, sont si creuses, si vides ?
Quelques jours plus tard ...chez
certaines jeunes femmes sans maris, on peut reconnaître un bibelot sur un
meuble ... Une jolie "rose des sables" venant de Somalie ... Hommage
du marin passant ... Ah ! Les escales ! ...
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