ALAIN GERBAULT ET JACQUES BOULLAIRE.
Mille neuf cent trente six ... Alain Gerbault écrit à son ami,
Jacques Boullaire:
-” Trop de bateaux, trop de touristes ...”
En mille neuf cent trente six !
À la même époque, il s’inquiète de l’éventualité d’une guerre en
Europe :
-” Me faudra-t-il rejoindre la France et cette civilisation que
je n’aime pas ? “
Troublantes, ces phrases ! Il y faut marquer la pause.
-” Il faut bien que je vous dise, puisqu’ils en sont empêchés
eux-mêmes, tout le mal que font aux indigènes des îles Marquises nos colons et
nos missionnaires ...”
Nous reprenons ici, de mémoire, le dit du navigateur solitaire.
Six lustres plus tôt; Paul gauguin ne disait pas autre chose;
L’oeuvre colonisatrice, notre enfance en tira le meilleur de sa
foi et de sa ferveur. Au bout du compte, se résout-elle ainsi ?
À leur époque, le peintre, comme le navigateur, étaient des
marginaux. Notre époque, elle, a pris l’habitude, depuis qu’elle s’est engagée
sur les chemins de Katmandou, de revêtit le marginal de l’habit du prophète.
Oeuvre de Jacques Boulaire
Il serait trop facile d’ironiser ... Trop nauséeux peut-être
ausi. Gardons ces profils de médailles si nous le pouvons encore.
Je ne sais pas si les indigènes ( le mot existe-t-il encore ?
)sont plus malheureux ou plus heureux que leurs grands-parents ... Trop facile
aussi de parler des forages d’eau potable, de l’éradication des maladies
contagieuses, des flots de musique répandus au-dessus des océans ... Facile, de
compter les écoles, les collèges et les lycées.
Mais certainement trop facile de ne parler que de fumées, de gaz
d’échappement, de boîtes de bière dérivant sur la mer, de l’introduction du
Loto et de la transformation des Vahinés en caissières de supermarchés. Les
réalités ont à la fois plus d’évidence encore, et plus de complexité.
La revendication d’identité est souvent un cri pitoyable.
Alors, sommes-nous coupables d’avoir bousculé les pierres noires
des Marae ? _ Des victimes humaines y étaient immolées.
Sommes-nous coupables du délit de civilisation ? _ La Reine de
Tahiti ne se déplaçait qu’à dos d’homme et les nobles Arii étranglaient leurs
nouveaux-nés. Il est vrai que ...
L’homme blanc doit-il sangloter ?
En vérité on finit par ne plus très bien savoir ...Et ceci sans
parler de fission nucléaire ...
Oui, les portes à la Vauban, les tours rondes et les tours
carrées, les cloîtres et les chaussées dallées, la prison et la cathédrale de
l’archipel des Gambier nous paraissent complètement saugrenus. Ils étaient
fous, nos missionnaires ? Ou bien fourbes ? Nos administrateurs, ils étaient
tous stupides ?
Il faut sans doute se garder de tout noircir et de tout dorer.
Quelques prêtres, à la fin du dix neuvième siècle, passaient à
l’île de Pâques ... Ils virent s’enfuir les habitants : Ils savaient trop la
peine des Mangaréviens à La construction de leur cathédrale!
Mais au fait ... Et les Moaï dont on fait si grand cas, combien
de litres de sueur humaine pour tailler et dresser l’un de ces géants?
Autre temps, autres lieux, autres valeurs : C’est toute
l’humanité qui va ainsi ... qui va.
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