jeudi 20 août 2015

QUAND LA VAGUE ....






TAHITI





JEUDI 29 MAI 2008

































Vous avez navigué à bord d’une goëlette qui a encore belle allure : la Tamara. Elle ressemble aux bateaux dont nous avons tous rêvé un jour ou l’autre. Deux mâts, coque en bois, cockpit verni, bateau qui navigue souvent au moteur, mais qui peut hisser des voiles et alors, là, on se croirait au temps des découvreurs !


Mais la Tamara roule et tangue terriblement, d’autant qu’un voilier qui navigue au moteur, il n’y rien de plus rouleur ! Vous n’avez guère quitté votre couchette pendant les quelques journées et les quelques nuits de navigation. Le médecin des Tuamotu, qui occupe la couchette voisine a une grande habitude : Il a suspendu au-dessus de sa couchette un régime de bananes et il cueille un fruit quand il a faim. Pour rien au monde il ne se mettrait debout. Vous avez essayé, lorsqu’on est venu vous proposer le traditionnel repas de riz et de corned beef -Vous vous êtes bien vite recouché, le coeur au bord des lèvres ... Mais comme vous n’aviez pas suspendu un régime de bananes, vous, vous avez accompli toute la traversée sans manger ... Mais qui parle de manger ?






Rien que d’y penser, la nausée m’emplit. C’est incroyable. Comment un bateau peut-il rouler ainsi?

Moi, je me cale contre la cloison pour ne pas être précipité hors de ma couchette, et je ne bouge plus. Les yeux fermés, je vois des étoiles, des lunes et des soleils. Les yeux ouverts, je tombe dans des abîmes, je tombe, je tombe, tombe ...

Nous arrivons je ne sais plus où, peut-être à Fakarava. Une chaloupe nous embarque. Par chance, c’est un atoll qui est pourvu d’une passe, ils ne le sont pas tous. Nous avons embouqué la passe. Notre embarcation était équipée d’un puissant moteur hors-bord. Le barreur l’a emballé lorsque s’est présentée la plus grosse vague et les tourbillons nous ont saisis, précipités entre les récifs. J’étais coincé entre des sacs de pommes de terre, des caisses de bière, des cartons de vivres ... Que sais-je ? Il y avait même une moto, commandée par un insulaire. Chaque bateau qui passe apporte le ravitaillement. Nous avions aussi des sacs de farine et des sacs de ciment ! J’ai cru mille fois ma dernière heure arrivée. Le barreur a eu le temps, au passage, de me montrer au fond de l’eau, par une trentaine de mètres de fond, un tracteur rutilant qui, au jour de sa livraison, était, il y avait quelques mois, tombé d’une chaloupe.



Apparition poignante ! J’ai vu des voitures débarquer à cheval sur deux chaloupes navigant de conserve : Bel exploit qui réussit “presque” toujours !

Mais je me souviens d’un débarquement dans une île qui n’avait pas de passe.

J’étais prévenu : Mon prédecesseur dans les fonctons que j’accomplissais avait eu les deux jambes brisées, dont une d’une quadruple fracture. Il avait été roulé sur le récif lorsque l’embarcation qui le transportait avait été roulée sur le récif par une vague prenant de travers !

Était-ce à Pukarua, à Apataki, ou bien encore dans quelqu’une des Îles de la Désillusion, dont le nom est tout un programme ? Il ne m’en souvient pas.

La goëlette reste au large, puisqu’elle ne peut pas entrer dans le lagon. Elle fera des ronds dans l’eau pendant que les chaloupes feront le va et vient pour décharger, puis charger. La mer est belle, heureusement. Il n’empêche, il y a du creux, tant et si bien que charger une chaloupe est un sport difficile et dangereux : Lorsque la chaloupe monte avec la vague, la goëlette descend au plus profond du creux.











J’attends que le chargement soit terminé, toujours aussi hétéroclite, puis je saute. le barreur m’attrape, je crois qu’il m’a évité de tomber à l’eau, mais les chocs m’auront laissé des bleus. Le moteur vrombit furieusement : Il était temps que l’on s’écarte de la goëlette : Cela nous a évité de nous briser contre sa coque. La chaloupe bondit.


Alors là, vraiment, l’angoisse vous saisit et ne vous lâche plus : Le moteur est mis au ralenti : Le barreur attend ... Il attend quoi ? ... En fait, il compte : une, deux trois ... Il compte les vagues ... Il compte jusqu’à six. Je ne sais pourquoi, mais la septième vague est toujours la plus forte, celle qui prend l’embarcation, qui la soulève, la porte au récif.

Mais le récif ... Vous le voyez devant vous, il forme une falaise abrupte, noirâtre, agressive, montant comme un mur, droit devant la proue, jusqu’à deux mètres de haut. On fonce dessus, de toute la vitesse donnée par le moteur et par la puissance de la vague qui vous porte. Vous allez, c’est sûr, être précipité, brisé sur ce mur, là, devant, à quelques mètres seulement ... Et puis non, la vague, la septième vague, la plus forte, soulève l’embarcation, le moteur rugit. Vous êtes sur le récif.























La vague se retire dans un éblouissement d’éclaboussures. Vite, il faut descendre, prendre pied, tirer la lourde barque jusqu’au sec. Vous avez de la chance si vous êtes bien chaussé car ... Marcher sur le récif !

Ce jour-là, j’ai eu de la chance : Un détachement de la Légion Étrangère était sur l’île, construisant une citerne afin de retenir l’eau de pluie. Les légionnaires, torses nus, de l’eau jusqu’à la ceinture, ont attrapé la chaloupe au moment où nous arrivions et ils l’ont tirée jusqu’au sable blanc.

Mais tout le monde n’a pas la chance d’être accueilli par la Légion ! Qu’en dirait l’agent chargé de porter leur paie aux fonctionnaires des atolls, lui qui tomba à la mer avant d’atteindre le récif ! Il perdit sa mallette et tout l’argent qu’elle transportait. Si le coeur vous en dit ... On doit pouvoir retrouver le nom de l’atoll dans lequel l’évènement se produisit ... Mais je vous avertis : la malette a disparu par deux mille mètres de fond! ... Peut-être qu’en allant à la pêche aux requins dans le coin ... ?

L’agent-payeur est revenu sain et sauf. On lui a reproché de ne pas avoir bouclé la courroie qui aurait dû relier la malette à son bras.

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