jeudi 10 novembre 2016

MÉDITATION SUR LE TEMPS QUI PASSE ...







MÉDITATION

 SUR LE TEMPS

 QUI   PASSE …






























                 La voiture était passée sous le pont du chemin de fer. La route tournait aussitôt après, à droite, assez sèchement.



_ « C’est par là … Je suis sûre que c’est ici ! »

_ « Tu crois ? – Il n’y avait pas de pont. On traversait la voie ferré&e par un passage à niveau … »

_ « Oui, eh bien regarde … La maison du garde-barrière est là, tout près du pont : Il n’y a plus de passage à niveau, plus de garde-barrière. Nous arrivions avec nos vélos, en juin, quand il faisait chaud … Nous revenions de l’école, un peu haletantes … Dame, il y avait une bonne dizaine de kilomètres depuis l’école jusqu’à la ferme paternelle … Le garde-barrière nous faisait passer et puis sa femme, toujours affairée après ses volailles ou
ses lapins, nous offrait de l’eau fraîche qu’elle avait tirée du puits … La maison du garde est toujours là, mais elle est vide maintenant : On a cloué des planches sur les volets des portes et des fenêtres. Il n’y a plus de passage à niveau ! Roule doucement maintenant, nous arrivons à Jacquet …






























_« Jacquet de la Paille » ! Que veux tu en retrouver ? Tu sais bien qu’il ne doit plus rester grand’chose de ce qui a été ta maison natale …
Pierres de taille, fenêtres aux volets verts, grange qui débordait de foin sentant bon … Le potager, le puits, l’étable de laquelle émanaient des bruits et  des remugles étranges … L’arbre dans le tronc duquel le vieux tonton cachait ses sous … C’était un malin, le vieux tonton… Mais ce qui lui posait problème, c’est qu’il perdait la mémoire … Il ne savait plus où il avait caché son trésor.La grand’mère le traitait de vieux fou … Elle était assise et elle égrenait les épis de maïs. Ta mère, la dernière fois que je suis venu ici … C’était juste après notre mariage … Il y a trente-cinq ans … Ta mère, ayant fini sa journée dans les champs ou dans les vignes, préparait ses paniers pour aller ramasser des champignons le lendemain …Ton père, il m’en souvient, brassait ses barriques dans son chai …























_ « C’est ici, je te le dis … Ne t’arrête pas … Il n’y a plus rien ! »

_« Ta  mère te l’avait pourtant bien dit. Tu ne devrais pas être surprise … Mais … Es-tu certaine que c’est bien là ? »

_ « Ils ont tout rasé : La maison, l’étable, la grange. Rien … Il ne reste plus rien … Le puits a disparu … Les étangs sont comblés : Il y en avait deux … Un devant et un derrière … Les murs du potager, les clôtures … Tout … Tout est parti ! Plus un arpent de vignes … Mon père les taillait avec tant de soin ! – Le chemin lui-même a disparu ! … Le chemin que l’on appelait « Le Chemin Sablou », qui conduisait dans les prés… Rien …. Il ne reste rien !   Pas deux pierres posées l’une sur l’autre ! _ Que du taillis de châtaigniers ! _ Que d’informes choses ! … J’ai vécu ici  … Et ce que j’y ai vécu n’a plus de forme … Partons ! »
























« Je n’aurai pas dû t’amener là. Nous le savions bien : La propriété de tes parents avait été achetée, puis revendue à une société de recherches minières … Ils ont tout rasé, tout bouleversé pour chercher de l’uranium. Ils ont foré partout Si nous regardions de plus près, je suis certain que nous trouverions ici ou là de ces petits cylindres de pierre qui sont le résultat de ces carottages … »

_  « Ma vie bouleversée, rasée, anéantie … Mes racines arrachées … Je ne reviendrai plus jamais ici ! »

_  « Mais, au fait, comment peux-tu être certaine que c’est bien là ? »

_  « J’ai reconnu les trois grands chênes groupés … Il y en avait toute une allée, conduisant de la maison au pré dans lequel mon père dressait ses chevaux … Trois chênes … Perdus dans le taillis de châtaigniers … Trois chênes que le vent, un jour ou l’autre couchera … »





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