UN RÊVE
SANS QUEUE NI TÊTE.
Il faisait nuit et je ne savais pas quelle heure il était. Je tâtonnai,
mais je ne parvins pas à trouver l’interrupteur qui m’aurait permis d’obtenir
de la lumière … Ou bien cet interrupteur avait-il été enlevé sans que je le
sache ?
Il faisait nuit noire, assurément … Un instant auparavant … Mais
était-ce bien auparavant ? … J’étais sur un grand radeau de bois,
construit de bric et de broc, ficelé de cordes nouées … Il est vrai que, la
veille, j’avais lu l’horrible récit de l’odyssée du radeau de la Méduse,
dérivant au soleil à partir du banc d’Arguin … Ce n’était du reste pas tout à
fait du radeau de la Méduse qu’il était question … L’écrivain avait rebaptisé
la frégate qui, selon lui, se nommait l’Alliance … Pourquoi ? - Les
aventures étaient bien les mêmes et l’horreur était aussi la même …
Sur le radeau où je me trouvais, moi, il y avait une centaine de
personnes, hommes, femmes et enfants. Le radeau avait un mât. Les voiles
étaient gonflées … Elles étaient curieuses, ces voiles, gonflées comme des
ballons. Je dirigeais cette curieuse embarcation … Qui volait ! – Nous
étions, selon toute vraisemblance, au-dessus des vallées de Tahiti ! … Tu
connais Tahiti, toi ? – En tirant sur une écoute, puis sur l’autre, je
modifiais la direction de l’esquif. Je lui faisais sauter des crêtes, remonter
le lit des torrents. Mes compagnons riaient. Nous descendions parfois jusqu’à
raser les sommets des grands arbres.
Ce devait être
un jour de fête : Les habitants étaient tous dehors, groupés en petites
troupes sur les pelouses. Les femmes portaient des robes colorées, à volants
bleus et rouges. Elles avaient des fleurs à l’oreille, ou bien elles en
portaient en colliers, ou encore en couronnes sur la tête … Les hommes
servaient à boire et chantaient. Les enfants tiraient sur les ficelles de leurs
cerfs-volants. Les cloches sonnaient à la volée … C’était bien au-dessus des
terres que volait notre radeau, pas au-dessus de l’eau …
D’ailleurs, je ne me souviens pas d’avoir aperçu de l’eau …
Bizarre – Quand on parle de Tahiti ! … Non ?
Je ne sais pas ce qu’il advint du radeau, ni de mes compagnons de voyage
… J’ignore ce que sont devenus les habitants et les paysages … J’ai encore dans
la tête le son des cloches , très distinct, encore que de plus en plus lointain
… Je ressentais un grand creux, un grand vide dans l’estomac … Comme on peut le
ressentir après avoir glissé longtemps en profondes descentes, en montées
vertigineuses …
Y avait-il jamais eu un interrupteur à l’endroit où je l’avais
cherché ? - Question trop
compliquée, tu vois … Pour que je me casse la tête à essayer d’y répondre …
Mes deux pieds étaient à terre … J’étais seul … Je devais avancer.
J’avançai, les yeux écarquillés … Mais il faisait si noir que cela ne me
servait à rien … Bien entendu, j’avais les deux bras tendus vers l’avant … Et
mes deux mains tâtonnaient, ouvertes … Colin-Maillard, tu connais ! …
C’est affreux, Colin-Maillard ! Surtout lorsque tu ne sais pas où tu es …
On t’a fait tourner longtemps sur toi-même, pour te faire perdre le sens de
l’orientation … Ta main droite a rencontré quelque chose ? – C’est froid …
Qu’est-ce que c’est ?
Voilà maintenant que c’est ma
tête qui cogne … Contre quoi ?
- C’est dur... Vertige … Vertige et panique … Pas la peur : La Panique ! – C’est l’épouvante ! – Des assassins ? – C’est horrible : Tu ne veux même plus savoir où va le temps qui passe … Le temps qui passe … Terreur de ce qu’il pourrait bien apporter … Terreur encore beaucoup plus forte de ce qu’il pourrait bien emporter … Panique ! – Terreur d’enfant dont tu ne te remets jamais : Tu en meurs !
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