PASSANT
PAR LA
CHINE ET LE
JAPON
Pendant un temps, mon grand-père maternel habita au fond de la même cour que ma grand'mère paternelle, avec sa compagne qui, dit-on, avait été sa bonne. Il y eut des prises de becs homériques entre le rez-de-chaussée et le premier étage. ! Le grand-père accusait la grand'mère de balayer intentionnellement les poils de son loulou de Poméranie par-dessus son balcon.
Ma
grand'mère était veuve depuis l'âge de vingt ans. Elle avait vécu assez peu de
temps à Madagascar, où mon père était né. Elle était revenue de là-bas seule
avec son bébé. Je crois que mes parents n'ont jamais admis qu'elle demeurât
chez nous sa vie entière, sans travailler. Il y a toujours eu autour du
personnage de mon grand-père paternel quelque chose qui tenait du mystère. Il
était mort là-bas, à Majunga sans doute. Je comprenais qu'il n'avait guère
réussi dans sa vie. Je savais qu'il avait été "Commis aux Écritures"
dans l'Administration Coloniale, aux alentours de mille neuf cents ...
Un jour,
je trouvai dans un tiroir une lettre dont l'enveloppe jaunie ne portait aucune
mention de son auteur. J'y lisais : -"Pauvre Léon, lui qui aimait
tellement son enfant" !
En fait, le grand homme de la famille, celui qui est à la fois l'aïeul et la référence, c'est mon arrière-grand-père paternel. Je possède une photo de lui, encadrée de bois doré, veste à boutons dorés, feuilles de chêne brodées d'or, assis sur un fauteuil, l'épée sur les genoux. Il a la tête nue, mais son bicorne n'est pas loin. Il arbore de larges rouflaquettes ... Ludovic Savatier, Médecin-en-Chef de la Marine nationale. Il porte la médaille d'Officier de la Légion d'Honneur. Il a été l'un des tout premiers européens à pénétrer au Japon, faisant partie, aux environs de la moitié du dix-neuvième siècle, d'un groupe de français installés là-bas pour y construire un arsenal. Il y resta plus de dix ans. C'est un botaniste célèbre. On raconte que, passant par la Chine, il se trouvait présent lors de la mise à sac du palais d'été. La soldatesque franco-anglaise pillait les bronzes et les porcelaines. Il sortit du palais, lui, avec une rose à la main ! L'histoire est belle, il faut la conserver; Elle est crédible puisque ses collections, son herbier, très importants, sont toujours exposées au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris. En fait, elle est fausse sans aucun doute : les dates ne lui permettaient pas de se trouver en Chine à ce moment-là. Mais elle est si belle, cette histoire !
J'ai
vu des universitaires japonais en Oléron, venus tout spécialement pour avoir
accès aux archives familiales et visiter la maison de Ludovic Savatier. Cette
maison a été vendue …
-"
La grand'mère a tout dilapidé. Elle s'est fait escroquer par son notaire."
À
dire le vrai, la grand'mère n'y a jamais été pour rien. J'ai retrouvé une
reconnaissance de dettes : son mari avait emprunté une forte somme, avant son
mariage et son départ pour Madagascar. La pauvre femme avait tout payé, pendant
des années. Silence dans la famille.
-
" Elle a tout vendu. Il y avait des porcelaines précieuses, des étoffes de
soie" ! ...
Et
pourquoi pas des Bouddhas en or pendant qu'on y était ! Il ne reste presque
rien ...
-« Il
n'y eut jamais rien d'autre », disent certains , rien que le portrait
d'une jeune Japonaise, jouant d'une sorte de guitare ronde à cordes multiples
... Et puis des mots, il reste des mots ... Qui ne furent pas toujours tendres
!
L'histoire
de la succession de Ludovic Savatier est beaucoup plus compliquée que cela, je
ne l'apprendrai qu'aux alentours de mes cinquante ans et je me demande encore
pourquoi on l'a faite si compliquée ...
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