LA MAISON
ROSE
Il pleut. Les pluies sont pourtant rares
dans la région. Une pluie fine, incessante. Depuis ce matin il pleut. Ce n’est
pas triste : La colline est seulement estompée légèrement, luisante tout de
même … Mon esprit est ensommeillé, un peu.
Tout en haut, au cœur d’un bouquet de pins
parasols, j’aperçois la maison rose … Ocre disiez-vous ? – Elle est bien
rose !
Je ne vois pas la
façade. La maison me présente l’’un de ses flancs, quasiment aveugle, à
l’exception d’une petite fenêtre carrée dont le volet, à un seul battant,
blanc, reste toujours fermé. On devine aussi, grâce à un rectangle
sombre, une porte qui ne s’ouvre jamais. La façade principale est tournée vers
le Sud … Vers la mer. La baie de Cannes est splendide ! Toutes les façades
qui le peuvent se tournent vers elle.
Le soir de Noël, à la nuit tombée, on a vu
s’allumer une guirlande d’ampoules électriques colorées… Elle scintillait, les
ampoules clignotant. Il y avait donc quelqu’un dans la maison… Depuis … rien ne
bouge, ni dans la maison rose, ni aux alentours. Cela va faire cinq ans que
j’habite ici ; cette guirlande de Noël est le seul signe de vie qui ait
animé la maison rose depuis que je suis là.
Sous la maison moutonnent des buissons indécis
: oliviers et lauriers-roses.
Un goéland
passe : Je sais où il niche, sur la terrasse d’un immeuble voisin. Il
passe devant la façade et file vers la mer.
Quand il fait beau, c’est-à-dire la
plupart du temps, d’autres goélands, nombreux, dansent sur le fond du ciel,
très haut. Leurs ailes étendues sont immobiles. Ils profitent des courants
ascendants et leurs vols dessinent des volutes élégantes … Combien
sont-ils ? – Quinze, au moins, qui se croisent et s’entrecroisent … Taches
noires au bout des ailes … Ah ! l’extase !
Mais ce n’est pas fini ! … Vient un escadron de
perroquets, comme des flêches dardées …vol en V, comme les avions de la
Patrouille de France … Queues longues … Oui, des perroquets ! - Ils
sont cinq. Sans doute des échappés d’une quelconque volière … Ils vont tout
droit se ficher dans le bouquet des pins parasols. Je les reconnais, je les
vois de temps à autre. Ils sont chez eux …
Ils sortent du petit bosquet d’oliviers qui agite
ses feuilles derrière chez moi et qui donne son nom à un parc destiné aux jeux
des petits enfants : Le « Jardin des Oliviers ». Les mamans et
les nounous viennent là. Il y a des bancs, des pelouses et des jeux … Un
toboggan sur lequel glissent des gamins et des gamines joyeusement.
Le « Jardin des Oliviers » n’est pas très
fréquenté, ce qui laisse la place aux oiseaux. Ils y sont chez eux !
En ce début de
printemps on rencontre des merles …Ils sifflent de longues harmonies et votre
intrusion les fait jaillir hors de leurs cachettes en déclenchant des tirades
affolées.
Mais ce n’est peut-être pas votre arrivée qui les a
fait gicler hors de leurs abris … Les pies y sont peut-être pour quelque chose
… Je n’ai jamais pu pousser le portillon qui donne accès au Jardin des Oliviers
sans provoquer des cascades de protestations de la part d’un couple de pies.
Les pies sont très bavardes, on le sait, aussi ne
faut-il pas s’étonner qu’elles protestent. Elles ouvrent l’éventail de leur
queue et les voilà parties en battant des ailes !
Elles se dirigent
immanquablement, à ras du sol, vers la Maison Rose !
En plein milieu du « Jardin des
Oliviers » il y a …une statue ! … Une statue peu ordinaire : Une
tourterelle qui piétait là m’a raconté son histoire …
« Il était une fois … »
C’est bien ainsi que commencent les
contes de fées …
C’est un conte de fées
… Mais un conte tout ce qu’il y a de plus vrai : Celui de la Bégum Aga
Khan dont la statue vous attend là …
En 1906, le quinze février, naissait
à Sète, dans l’Hérault une petite fille prénommée Yvette. Son papa s’appelait
Adrien Labrousse et sa maman, couturière, Marie Bouet. Peu après la naissance,
la famille partit s’installer à Cannes. Le papa devint conducteur de tramway et
la maman installa son atelier de couture de mode.
La petite était très belle. Elle grandissait
et ne tarda pas à s’épanouir. En 1929, elle mesurait un mètre quatre vingts et
elle était pleine de charme. Personne n’y restait insensible.
À Lyon, on organisait
le concours qui devait désigner « Miss Lyon » … Ce fut elle qui
emporta le titre !
L’année suivante, elle
était couronnée « Miss France » …
Yvette Labrousse était
aux anges : Elle voyageait, elle représentait la France dans les grandes
manifestations, dans son pays et à l’étranger… On la logeait dans des palaces,
on la promenait dans des voitures de luxe. Elle déjeunait dans les meilleurs
restaurants, en compagnie de gens parmi les plus représentatifs. Elle était
vêtue des plus belles robes signées par les plus grands couturiers _ Qui
n’aurait pas été ravi ? Mais elle gardait la tête sur les épaules, la
jeune Yvette !
La France, la Suisse, l’’Italie,
l’’Égypte, l’’Inde … L’Orient … Ah ! L’Orient ! … Bombay …
Dar-Es-Salam !
En Égypte, elle rencontre L’Aga khan …
Ils se plaisent … Elle se convertit à l’Islam et ils se marient …
Pensez donc : L’Aga-Khan ! …
Le chef spirituel des Ismaëliens ! – Le deuxième rameau des
Chi’ites ! _ Tous les ans, ses fidèles le pèsent et lui offrent son poids
en lingots d’or !
Là, j’ai senti que les roucoulements de la
tourterelle s’étranglaient …
Yvette Labrousse devenait reine, en quelque
sorte, et même plus que reine ! Elle a changé son prénom qui est devenu
« Om Abibeh ». Elle a reçu de l’Aga-Khan le titre de « Mater
Salamar ». Elle est maintenant reconnue parmi les plus hautes
personnalités du monde ! – Et, en plus, elle est couverte de bijoux !
– Les truands, d’ailleurs, l’ont bien appris, qui, un jour, arrêtent la voiture
du couple sur la route de l’aéroport de Nice et subtilisent le coffret de
bijoux qui reposait sur les genoux de la Bégum … Six millions de bijoux !
Mais pourquoi, pourquoi cette statue
est elle ici , dans le jardin d’enfants » ?
– C’est le petit rouge gorge qui m’a
soufflé la réponse – Il était caché dans les broussailles.
La bégum et l’Aga Khan
s’étaient fait construire une villa sur la colline, au Cannet … Cette
villa, ils l’avaient baptisée « Yakimour », ce nom étant une
contraction des noms des propriétaires et une évocation du mot
« Amour ».
L’Aga Khan disparu en
1957, la Bégum finit sa vie à la villa « yakimour ». Mais elle
participait à la vie locale. Elle fit tant de bien autour d’elle que la maison
de retraite du Cannet porte son nom et que la statue du « Jardin des
Oliviers » rappelle son souvenir. Elle est morte le premier juillet de
l’an 2 000.
Et le petit rouge-gorge
s’est envolé … En direction de la « Maison Rose » !
Pour arriver jusqu’en haut de
la colline, il a dû infléchir son vol vers le haut : Il fallait qu’il
survole le Penh-Chaï.
Le « Penh Chaï »…
C’est la résidence dans laquelle j’habite. Ici, on ne parle pas d’immeubles, on
parle de « Résidence » … ou bien on parle de « Château »
ou bien, même, de « Palais » … À la rigueur on parle de
« Mas » … Cela fait chic.
La « Résidence
dans laquelle j’habite, donc, s’appelle le « Parc Penh-Chaî » … Parc,
parce que la Résidence est construite tout en rond, au pied d’une légère
colline. Elle enserre une plantation d’oliviers millénaires. C’est superbe mais
pourquoi « Penh-Chaï » ? – Remarquez que cela vous
classe : Vos interlocuteurs ouvrent des yeux tout ronds et en restent
bouche bée !
Je suis allé demander une
explication aux pigeons bizets qui tournaient au pied des oliviers et qui
picoraient dans la pelouse. Ils étaient au moins une trentaine : Chacun sait
ça - Le pigeon, c’est voyageur !
« Penh-Chaï » … Je
pense aussitôt à « Pnom-Penh » ! – Vous me direz que c’est bien
loin, Pnom-Penh – C’est vrai, c’est loin, c’est très loin, c’est au
Cambodge ! Mais il se trouve que j’ai vécu dans ces coins-là … Alors,
« Penh-Chaï » ! Cela me dit évidemment quelque chose.
Je cherche sur mon ordinateur.
Je trouve tout de suite un « Penh-Chaï » … C’est un cheval … Un cheval
de course … Un crack !
… Et le cheval de course me
fait remonter jusqu’à un Monsieur de Cannes : Eugène Lizero (1907-1987) …
Il était architecte et il a laissé beaucoup de traces dans le coin : C’est
lui qui a construit tous les hippodromes de la région – (Tiens-tiens ! …)
Il a aussi construit la plupart des immeubles modernes de la ville de Cannes,
dont la résidence qui s’appelle « le Penh-Chaï », dont la
construction s’est achevée en 1977 …
Mais il paraît que le
lieu s’appelait ainsi bien avant la construction de la résidence … Soit !
Mais pourquoi ce nom asiatique ?
Pourquoi ?
Pourquoi ? …
J’ai bien trouvé une
autre indication sur internet : J’ai découvert un titre ;
« Penh—Chaï » sur un post lui-même titré :
« Pnom-Penh » Le post était écrit en Anglais – Je possède mal cette
langue. C’était l’histoire d’un orphelin cambodgien pour lequel une association
organisait un parrainage. Le garçon avait dix ans et s’appelait
« Chaï » … D’où ce titre : « Penh-Chaï ». La prochaine
fois que je déjeunerai chez le sympathique Cambodgien qui tient un restaurant
près de la gare de Cannes j’en saurai plus …
Et le pic-épeiche
s’évertuait à frapper du bec sur le tronc d’un olivier. Il avait une calotte
aussi rouge que celle
d’un cardinal à la cour du Vatican … Il devait s’évertuer à me faire entrer
dans la tête quelque chose que je n’ai pas compris. De dépit, il s’est envolé
et il est parti … Vers la « Maison Rose »!
Nota : Je
chercherai « Yakimour…
***
La « Maison Rose » ne
s’appelle pas « Yakimour » ; elle n’est pas la maison de la
Begum Aga Khan … Il paraît qu’elle a été habitée par le chanteur corse Tino
Rossi . C’est le pic épeiche qui me l’a dit en s’en allant !
Je chercherai « Yakimour »
un de ces jours … Elle est dans le coin !
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