LETTRE OUVERTE À
MESSIEURS LES JURÉS
Je ne sais pas qui vous êtes, sans aucun doute bardés de titres et de compétences, mais je voudrais vous communiquer quelques réflexions, après les décisions que vous avez prises à l'occasion du Salon des Artistes du Monde, à Cannes.
Probablement, si vous avez regardé ce que j'ai écrit à propos de cette exposition, probablement avez-vous été surpris que je n'aie pas montré une seule des oeuvres que vous avez couronnées : Je crois fermement que vous avez manqué de discernement et de "fraîcheur".
Ne sentez-vous pas que le public ne vous suit pas ? Il n'est, pour s'en rendre compte, que de constater que le prix du public a été décerné à une oeuvre que vous n'aviez pas choisie.
Notre époque connaît l'angoisse et a besoin de fraîcheur. Elle revient aux oeuvres joyeuses, aux oeuvres amusantes, expressives, aux oeuvres dont la facture est soignée.
Albert Chatelet, dont vous reconnaîtrez peut-être la compétence, écrivait :
"Un nouvel académisme qui se croit d'avant-garde s'instaure ainsi à travers le monde. L'avenir le reconnaîtra-t-il ou lui assurera-t-il le sort des "pompiers" du XIX eme siècle , en faisant réapparaître sur le devant de la scène ceux qui, dans le calme de leur atelier, continuent à croire aux qualités plastiques d'une oeuvre ?"
Nous ne saurions prophétiser, ni dire ce que sera l'oeuvre d'art dans les temps à venir ... Mais considérez la multiplication des ateliers d'art dans le monde entier ... Condidérez ce besoin de s'exprimer, de dire ... Considérez ce besoin de tendresse, d'humanité, d'intelligibilité, de rêve !
Partout, des gens, jeunes et vieux, se réunissent, travaillent ...
"Le triomphe si total de l'Abstraction ne pouvait que susciter une réaction opposée. La représentation du réel, de la réalité de la vision, n'avait certes pas perdu ses droits dans les années 50 : Dans tous les pays, elle était restée pratiquée par un bon nombre de peintres et la grande majorité du public la préférait à ce qui, faute d'une préparation suffisante, était tenu pour un art de l'élite ...." ( Albert Châtelet)
Ne sentez-vous pas la force de cet art qui, dans le domaine de la peinture comme dans ceux de la sculpture ou du cinéma et de la télévision, exprime sur le modèle de la bande dessinée l'humour de toute une génération, son angoisse et son besoin de gaîté ... "Art Populiste", direz-vous ? - Mais il n'est plus d'art "populiste"depuis Marcel Duchamp ... Il n'est plus d'impératifs bourgeois ... Ou bien on pourrait considérer tout autant que l'instant est si précieux qu'il ne faut pas le sacrifier à un avenir qui ne s'annonce pas si glorieux que cela !
Il faut rendre cet hommage à notre temps : Angoissé par l'atome, par les techniques et par les antagonismes ... Angoissé par l'éclipse des dieux et des certitudes, notre temps a besoin de beauté, d'amour, de tendresse .... C'est un retour à l'esthétisme ! Messieurs les jurés, il ne faut pas vous enfermer dans vos normes ni dans vos certitudes : Vous ne faites pas du bien à l'Art ! ... Vous détachez le public de la beauté .... Je sais bien que "La beauté", Rimbaud l'a "assise sur ses genoux" ... Je sais bien qu'il "l'a insultée" ... Peut-être serait-il temps de la réhabiliter !
Faute de réhabilitation .... Dans quels abîmes ne tomberons-nous pas !
Les "psy" ne seront pas assez nombreux pour combattre les dépressions ! ...
Et pourtant ... Il y a tant de beauté autour de nous !
Et pourtant, il y a tant d'artistes qui la cherchent, cette beauté, qui la créent !
" L'histoire de l'Art, aussi bien que l'histoire, ne saurait être prospective. Ce que sera la peinture ou l'art de demain ne peut faire l'objet de supputations gratuites. Bien plus, il est fort à parier que le panorama tenté, dans les pages précédentes, se trouvera largement révisé lorsque le temps aura fait son oeuvre et permis de mieux distinguer les perspectives d'une production proliférante et largement diversifiée." (Albert Châtelet, in "L'Histoire de l'Art - Larousse éditeur).
Je le répète, à mes risques et périls (dont celui de paraître béotien, ce que je revendique ...) : Au sein d'un jury chargé d'apprécier les oeuvres des artistes, il faudrait toujours qu'il y ait un enfant ... Gageons que son regard serait différent et plus frais !
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