BRAZZAVILLE
LA MALACHITE
C’est une pierre que l’on utilise en
joaillerie. C’est un minerai de cuivre.
D’un vert profond, avec des cernes plus clairs.
Polie, la malachite fait de l’effet, sans contredit. Le morceau qui se trouve
sur le haut de mon secrétaire est taillé et poli en forme d’œuf, de la
grosseur, environ, d’un œuf de petite poule : un vrai bijou !
On me l’a offert à Brazzaville,
lorsque j’ai quitté le Congo après un séjour d’une année. Le vendeur … Disons
le contrebandier qui l’amenait du Zaïre voisin (Oui, oui, il y a eu un pays
qui, pendant quelque temps s’est appelé le Zaïre ! ... D’ailleurs, c’est un
autre nom du fleuve Congo.
Le contrebandier proposait une poignée d’autres minéraux, dont un
minerai de cuivre moins beau, mais cristallisé … Il proposait aussi des
ivoires. Je lui ai acheté une petite, toute petite statuette représentant la
Vierge Marie, très douce à regarder …
Ô, je sais … Les ivoires !
AU CONGO
J’étais au Congo en 1971. Je
n’y suis resté que quelques mois. Vous comprendrez aisément pourquoi, lorsque
je vous aurai sommairement décrit la période.
C’était une période troublée, très troublée.
Le Ministère qui nous accueillait commença par nous loger dans une maison de
plain-pied : En Afrique, on appelle cela une« case » et cela fait bien entendu
penser à la « Case de l’Oncle Tom », mais c’était une assez jolie maison, avec
un toit de tôle ondulée, comme il se doit en ce pays. Le problème nous apparut
dès le lendemain matin :
Nous fîmes la rencontre d’un jeune
couple qui avait débarqué du même avion que nous … Ils étaient logés, eux
aussi, dans une « case ». À leur arrivée, ils avaient déposé leurs bagages dans
la maison qui leur avait été affectée. Ils étaient partis souper chez des amis
: À leur retour … Ils n’avaient plus retrouvé une seule valise ! Le bloc du climatiseur
avait été dévissé de l’extérieur, on avait poussé le tout dans l’intérieur, on
était entré et l’on avait ouvert les fenêtres pour emporter tout ce qui pouvait
être emporté ! … Pourtant, cette soirée-là avait été extrêmement pluvieuse :
Une pluie comme il n’en tombe que dans ces pays proches de l’Équateur,
accompagnée d’éclairs et d’orages …
« Justement, nous a-t-il été raconté, le coup de tonnerre couvre
le bruit qu’ils pourraient faire : Des fois qu’il y aurait quelqu’un dans la
maison ! »
L’histoire avait été bien comprise : ce jeune
couple demanda aussitôt un autre logement, nous aussi.
Nous avons tout aussitôt obtenu un
appartement au quatrième étage d’un immeuble tout neuf, dit « Les 32 appartements
italiens ». –« Italiens », parce que l’immeuble, haut de huit étages s’il me
souvient bien, avait été construit et offert par l’Italie en échange de je ne
sais trop quoi.
C’était un bel immeuble. Les sols étaient entièrement
carrelés, les fenêtres étaient équipées de vitres à persiennes pour la
ventilation, chaque appartement avait deux longs balcons. Il y avait même des
vide-ordures (bouchés sans cesse par les déchets que l’on y jetait sans les
emballer et d’une sonorité qui permettait d’entendre la descente sur huit
étages des bouteilles que l’on y jetait!).
L’immeuble
des 32 appartements Italiens était surtout occupé par des Russes et leurs
puissantes épouses. Au petit matin, nous pouvions compter les bouteilles vides
alignées sur les paliers : Elles avaient contenu de la vodka et … Des chansons
! La nuit, les accès à l’immeuble étaient gardés : J’ignore qui les payait,
mais il y avait en bas de chaque escalier un Congolais qui veillait … armé
d’une lance digne des temps préhistoriques. En fait, les sentinelles n’ont
jamais servi à rien, mais peut-être leur est-il arrivé de dissuader des voleurs
?
Nous étions proches de l’aérodrome de
Brazzaville et nous avions le bénéfice de tout le bruit des atterrissages et
des décollages. Le dimanche, des« sportifs » européens se distrayaient en
sautant en parachute : C’était très beau et très coloré. Mais ce qui faisait le
plus de bruit, c’était la circulation automobile : Nous étions au bord du seul
tronçon d’autoroute du pays et les chauffeurs des voitures comme ceux des
camions s’en donnaient à cœur joie : J’ai même appris là qu’un camion pouvait
continuer à rouler après l’éclatement de l’un de ses pneus … Une voiture aussi,
d’ailleurs !
Le soir, au moins une fois par
semaine (Il me semble bien que c’était le samedi …), nous avions droit
à la musique des Kimbanguistes (J’écris comme cela se prononce). Le Kimbanguisme,
m’expliqua-t-on, c’est le rite d’une secte d’inspiration chrétienne qui
recherche la spiritualité par le chant et par la danse. Je n’ai pas approfondi,
mais il me semble que les rites sont inspirés par des pratiques évangélistes
américaines … Cela commençait le soir, peu avant la tombée dujour. Cela se passait
juste au pied de notre immeuble : De nos balcons, nous apercevions des gens,
hommes et femmes, qui tournaient comme une ronde en chantant et en frappant
dans leurs mains. Ils tournaient, tournaient, tournaient … Cela durait jusqu’au
matin ! … Les boules Quiès, ce n’est vraiment pas suffisant pour dormir !
Un matin, nous avons été réveillés par un vacarme épouvantable : Les
chars d’assaut étaient dans la ville : De vieux chars d’origine russe, dont les
chenilles grinçaient, grinçaient ! Les tourelles tournaient, les canons
visaient les fenêtres et les portes. Les chars étaient vieux, mais il y en
avait beaucoup et les soldats dont les têtes et les bustes émergeaient des
tourelles ne semblaient pas avoir envie de rire! Nous apprîmes qu’un coup d’état
avait été déjoué de justesse et que les chars s’en allaient prendre position
devant « Radio Brazzaville » pour éviter toute intrusion. Nous n’en sûmes pas
plus, et il eut été malséant de chercher plus ample information.
On disait qu’un certain Diawara, réfugié au Zaïre
voisin avait franchi le fleuve Congo et qu’il était « activement recherché ».
Je ne me souviens plus du nom du Président de la République Populaire du Congo
à l’époque, mais qu’importe ! Ce que je sais, c’est que la République Populaire
appliquait une doctrine de « Socialisme Scientifique ». Les enfants, lorsqu’ils
accueillaient quelqu’un dans leur école se levaient tous comme de bons soldats
: Debout derrière leurs pupitres et leurs bancs, ils s’écriaient tous en chœur
: « Tout pour le peuple, rien que pour le peuple ! ». Ils tendaient le bras et
fermaient le poing.
J’étais affecté à un « Institut de
Recherche » abrité dans les locaux d’un ancien hôpital. Je n’y rencontrais
jamais personne et l’on n’y recherchait à l’évidence … Que des raisons de ne
pas y venir. Je n’y ai jamais reçu aucune directive et mon travail ne
débouchait jamais sur rien.
Mon épouse allait au marché à
Potopoto ou à Bacongo … Des foules en boubous hantaient les étalages, sur
lesquels on vendait … Des macaronis par petits paquets de trois ou quatre
unités :
- « Tu prends deux paquets ou trois
paquets »
- « Non, donne-m’en un seul : C’est trop cher ! »
Les vendeurs vous proposaient, dans de
grandes bassines de matière plastique rouge ou bleues, des masses grouillantes
de chenilles noires et velues. On avait vu ceux qui faisaient la cueillette en
gaulant les branches des arbres le long des routes et des rues … Ma foi, je
n’ai jamais voulu en manger, mais pourquoi les chenilles seraient-elles plus
mauvaises que les criquets que je faisais griller, au Maroc, quand j’étais
petit ? Et pourquoi, les chenilles seraient-elles plus mauvaises que les
crevettes ? Un médecin français m’a dit qu’elles étaient « bourrées de vitamines
» !
Sur d’autres étals, on proposait du poisson qui venait de
Pointe-Noire ou du fleuve Congo. Le poisson attirait les mouches encore plus
que les chalands.
Mon épouse défaillit un matin devant un éventaire qui proposait …
des dépouilles de petits singes écorchés, dont on aurait pu croire qu’ils
étaient des fœtus humains … Je crois qu’elle ne retourna jamais au marché de
Potopoto. Elle prit l’habitude, pour faire ses provisions, d’aller en voiture à
quelques kilomètres de la ville. Là, il y avait une exploitation maraîchère
tenue par des Chinois … On voyait peu les Chinois, en ville, mais ils étaient
là. On ne les voyait qu’à pied, et allant trois par trois : Deux pour servir de
témoins au troisième, en cas d’incident.
Des incidents, il y en avait et l’on m’avait prévenu
:
-« Si jamais tu as un accident de la
route, surtout, ne t’arrête pas : Tu te ferais lyncher ! File le plus vite
possible jusqu’au poste de police ».
Le poste de police … Le poste de police … On disait aussi
qu’en cas de procès verbal, il n’y avait qu’à payer en petite monnaie ! En tout
cas, la police ne retrouvait jamais les voitures ou les motos, ni les
mobylettes volées : En moins d’un quart d’heure, elles étaient dépecées et les
pièces détachées étaient dispersées et vendues aux quatre coins de la ville !
Mais je reviens aux Chinois … Lorsque
mon épouse avait acheté quatre salades et deux kilos de haricots, peut-être
aussi des carottes ou des patates douces, elle prenait le chemin du retour et
se dirigeait vers la ville ... Ah bien ouiche ! … Il y avait des barrages, sur
la route : Les miliciens, en tenue militaire, kalachnikov pointées, arrêtaient
les voitures, se faisaient montrer « les papiers », inspectaient les intérieurs
et … finissaient par vous laisser passer … à condition que vous leur donniez
une partie de ce que vous transportiez! Il arriva que mon épouse eut ses
paniers vides en arrivant à la maison ! Ils étaient nombreux, les barrages routiers,
les uns derrière les autres !
Le soir, c’était pire encore ! Des gamins de quinze
ans surgissaient des fossés pour arrêter les voitures. Ils étaient munis d’une
lampe électrique et demandaient
« les papiers !»
Parfois ils avaient si peur eux-mêmes qu’ils saisissaient votre carte
d’identité en tremblant. D’une main, je tendais ma carte, de l’autre,
j’écartais le canon de la mitraillette. Il arriva que partent des rafales et
qu’elles fussent meurtrières. On pouvait couper court en offrant quelques
billets.
Diawara, les troupes gouvernementales finirent par l’avoir : Son corps
fut exposé au milieu du stade de football…
Je pourrais
continuer longtemps à conter les joyeusetés de la République Populaire
Socialiste et Scientifique du Congo. J’en ai conté quelques-unes
ailleurs.
Dès que
cela a été possible, je suis parti avec ma famille vers d’autres horizons. Je
n’ai pas vu grand’chose du pays car nous étions consignés dans la ville.
D’autre part, je n’ai guère de goût pour les petits groupes d’expatriés
geignards ou « papoteurs » dans le genre de ceux qui fréquentaient les
abords de la piscine du « club des Caïmans » de Brazzaville. Tout au plus
pourrais-je rêver à des temps meilleurs, où l’on pourrait songer autour des
baobabs et auprès des rapides du Congo … Devant l’hôtel Cosmos qui avait été
notre premier lieu d’hébergement, le fleuve s’élargissait et charriait de
véritables îles de jacinthes d’eau …
L’un de nos amis entraînait l’équipe nationale de football du Congo. Il
conduisait ses joueurs, à l’aube, dans la forêt, afin de recueillir dans les
excréments des gorilles ou des chimpanzés, des prophéties relatives au match
prochain … Ou bien il surveillait les bois des buts, sur le terrain : Si les
pique-bœufs se perchaient sur une barre plutôt que sur l’autre, c’était
l’équipe qui débuterait le match en jouant de ce côté qui gagnerait : On gonfle
le moral de ses joueurs comme on peut!– Et il paraît que cela marchait ! Ô les
charmes de l’Afrique !
(Carte du Congo)
« ON RACONTE ENCORE, SIRE, Ô
ROI BIENHEUREUX, QUE L’ÉMIR MUSA FUT SAISI DE L’ÉMERVEILLEMENT LE PLUS VIF À
LA VUE D’UNE FEMME AUSSI BELLE … »
(Les Contes des Mille et une nuits)
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