THAILANDE
ET CAMBODGE
DES PETITS CAILLOUX, CHAPITRE VI
« LA TROUPE, EN ENTRANT, SE TROUVA DANS UN COULOIR DE
MARBRE DONT LES MURS S’ORNAIENT DE TENTURES OU ÉTAIENT REPRÉSENTÉES DANS L’OR
ROUGE OU L’ARGENT LE PLUS PUR TOUTES SORTES DE BÊTES SAUVAGES ET D’OISEAUX, AUX
YEUX FAITS DE PERLES ET D’HYACINTHES, ET DONT LA VUE LAISSAIT PANTOIS … »
(Les Contes des Mille et Une Nuits).
(Les Contes des Mille et Une Nuits).
LA PIERRE DE SAVON
De Thaïlande, où je suis resté
pendant plus de six mois, travaillant pour l’Unesco dans les camps de réfugiés
cambodgiens, je n’ai pas rapporté de pierres précieuses. Dieu sait pourtant
s’il y en a ! À Bangkok, j’ai vu des saphirs, j’ai vu des rubis, des
émeraudes, des topazes, des pierres de lune, des yeux de chat … J’en ai vu,
j’en ai vu ! Certain magasin, une vulgaire baraque de bois à Bangkok, présentait,
et présente encore, je suppose, de pleins éventaires de pierres
précieuses : Longues tables à casiers, comme des tables de marchand de
fruits … Et les pierres rangées dans les casiers, comme autant de framboises,
de fraises, de pommes ou d’oranges. Des étangs de pierres précieuses …
J’étais
accompagné d’une jeune fille. Le joaillier tenta bien de flatter mon
amour-propre afin de me faire offrir une pierre à ma compagne. Il avait mal
compris : La jeune fille n’était guère que le guide de l’hôtel. Je passai
outre. Mais le chatoiement des couleurs !
J’ai vu les « mines » de rubis, dans la région de Trat. Pauvres gens, pieds nus, qui creusent des trous dans la terre rouge, sous le soleil, et qui lavent cette terre à grands jets d’eau …
Je n’ai pas rapporté de pierres
précieuses, mais j’ai ramené une figurine de danseuse khmère finement sculptée
qui est maintenant placée dans ma bibliothèque. Elle est en « pierre de
savon », autrement dit en saponite. C’est une pierre de couleur claire,
légèrement verdâtre, tendre, très lisse.
(Garuda, avatar de Vishnu, appelé Khrouth en Thaï ... Emblème de la monarchie Thaïlandaise).
DES CAMPS DE RÉFUGIÉS CAMBODGIENS
Bambous Bambous
riz en sacs
boîtes de thon
bois fendu saignant
Citernes percées
Norias de camions rouillés déglingués
bringuebalants
Pistes rouges de terre poudreuse
Anthrax des nuages levés par les
roues
Rouges feuillages
Rouges les murs
Rouges les herbes et les toits
Mares rouges
Y baignent des buffles noirs
Fleur de lotus
Pays de cuivre
Arbres brûlés vifs
crucifiés
morts debout
Bassins secs des rizières craquelées
Ruines des temples d’autrefois
Latérite
Rocs
Casemates et fusils
Les pneus crissent
La radio grésille
Les voitures vastes vaisseaux
climatisés
vitres levées
Parpaings nus des rues des villages
tôles
banderoles
Toitures cornues des pagodes dorées
Sculptures de monstres ailés aux becs
et aux griffes aiguisées
Dragons et serpents
Sur les bas-côtés vitrines à
roulettes des marchands de canards laqués
boutiques
bassines multicolores
cuvettes d’aluminium
gelées roses
sucreries
mangues durions sapotilles
pommes-cythère pommes-étoiles
mangoustans
multitude de fruits aux noms et aux
saveurs inconnus
Feuilles de latex blanc qui sèchent
sur un fil
comme une lessive sous les hévéas
Cages de bois où tressautent
tourterelles et mainates
balais
paniers et nasses de rotin
marmites fumantes de soupe au poulet
Riz violet
Bambous
Bonzes épaule nue robe safranée en
quête de leur repas quotidien
Dans la cour d’une école enfants
bleu et blanc
Qui saluent le drapeau
Haut-parleurs dans la ville
Toute circulation arrêtée à l’instant
Hymne national !
Comprenne qui pourra derrière
les vitres fermées de nos voitures bleues frappées aux marques des Nations
Unies : Un spectacle à travers le hublot d’un sous-marin !
Étranges insectes chromés nickelés transportant
hommes et sacs sur trois roues pétaradant : version moderne du vélo-pousse
“sam-lô - Ne pas oublier qu’on roule à gauche !
Ce soir, nous dînerons à Chantabury
Luxe
Hôtel
béton
piscine
orchidées
climatisation
chanteuses aigres-douces
légumes-fleurs dentelés en étonnantes
corolles
Galons et étoiles généraux et
colonels soieries
Qu’est-ce donc qui se négocie ici ?
À l’aube
nos vaisseaux longeront des collines écorchées sanglantes sous les griffes
d’antiques installations mécaniques : Ici on lave les terres à rubis.
C’est
ici, non loin de Pailin, que se joue la guerre, que s’échangent les armes et
les gemmes. En de noirs ateliers des artisans dépenaillés polissent les pierres
qui ruissellent aux présentoirs de la ville
Un pont sur le torrent
Descendre de voiture
Bambous, bambous, bambous
Claies de bambou murs et cloisons,
toits, tables d’école, bancs des écoliers
Chemins râpeux
C’est ici que rôdent les loups mais
il ne faut pas le dire ...
Baudriers de munitions de
mitrailleuses, pistolets automatiques, casquettes vertes et treillis de même
couleur, sandales de lanières taillées dans le caoutchouc des vieux pneus,
écharpes
Regards de profil
Seize ans peut-être
Les soldats de Pol Pot !
Et les femmes sont aux portes
entrebâillées
vêtues de noir et portant leur enfant
sur un bras
Masques de cuivre
Chaleur moite de serre
Frissons dans le dos
Nous sommes là dans l’un des camps
qui abritent des Khmers Rouges.
Sous la protection de l’armée Thaï et
aux bons soins des Nations Unies ...
Bambous, bambous, bambous
Trois cent mille Cambodgiens réfugiés
dans les camps, tout au long de la frontière thaïlandaise, depuis Surin, au
nord, jusqu’à Trat, au sud .
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