mercredi 14 mars 2018

UN SI LONG VOYAGE ...




UN SI LONG VOYAGE

 
    Le premier « man-Tanna » que je vis à ma descente d’avion était planté au milieu du chemin – Torse nu, les cheveux abondants ébouriffés, un bout de tissus lui servant de cache-sexe. Il avait à la main droite, pendant le long du corps, un couteau à lame large de trois doigts et longue de près de trente centimètres : Un sabre d’abattage, fait pour se frayer un passage dans la brousse, à travers les buissons. J’appris ensuite que tous les « men-bush » avaient un sabre semblable. Ils s’en séparaient peu, l’utilisaient pour ouvrir une noix de coco, aussi bien que pour couper les bambous … Il semblait qu’ils venaient au monde avec cet outil à la main et qu’ils ne le lâchaient plus jusqu’à leur mort …

         Ainsi présenté, mon premier « man-Tanna » ressemblait tout à fait à la gravure que j’avais vue dans mon « Atlas des Colonies ». On me dit qu’il ne fallait pas m’inquiéter …

         L’ Administrateur français m’avait envoyé sa voiture, avec son chauffeur : Sa demeure se trouvait à quelques kilomètres, en haut de la colline, non loin de la maison de l’Administrateur britannique et tout près de l’école que je devais diriger.



         Bavardage : Le chauffeur me parlait des « John Froom ». D’autres que moi en ont savamment parlé, mais je vais essayer de dire ce qu’ils étaient. Je pense qu’il existe encore des adeptes de la secte. C’est une curiosité spécifique à Tanna. 

         Pendant la deuxième guerre mondiale, on se souvient de l’âpreté des batailles dans les îles du Pacifique … Une base américaine avait été construite à Port-Vila : Base arrière. Des contacts avaient été établis entre les Hébridais et les soldats américains. Un soldat, noir américain Racontait des histoires … Sans doute à l’heure où, sous le banian du « nakamal », on buvait le « kawa ». Sans doute parlait-il de la lutte des noirs, aux États-Unis, pour obtenir leur dignité …

         Bref … Dans l’imaginaire des « men-Tanna », il devint « John-Broom » - « Le balais » : Celui qui evait « balayer » les blancs.

         De bavardage en bavardage, de visite en visite … John Froom devint un demi-dieu, apparaissant de temps à autre là où on ne l’attendait pas et endoctrinant les « men-Tanna ». Ces derniers abandonnèrent les missions chrétiennes qui avaient évangélisé les populations. Ils se réfugièrent dans un village, au pied du volcan et … Je ne puis que narrer quelques-unes des manifestations de leurs rites : On en notera l’aspect tout à fait militaire…

         Au-milieu du village s’élevait un mât en haut duquel on montait un drapeau, tous les matin, pour le descendre le soir ….Comme à la caserne !

         Une « antenne » avait été installée : Un câble avait été tendu, figurant une installation de radio … L’opérateur conversait avec John Froom qui, pour l’instant se trouvait de l’autre côté du monde (Mais il disait qu’il reviendrait à Tanna et …) 
         Il disait qu’il ne fallait pas fréquenter les mission, catholiques ou protestantes. Il disait qu’il ne fallait pas envoyer les enfants à l’école, catholique, protestante ou laïque anglaise ou française … C’était complètement inutile car, lorsque John Froom reviendrait, avec des grands bateaux blancs, il apporterait d’un seul coup tout le savoir qui était l’apanage des blancs et tous les éléments de confort : Réfrigérateurs, automobiles, etc …
         En attendant, il fallait se tenir à l’écart et faire tous les exercices militaires … On vit un jour tous les John Froom défiler, traverser à pieds l’île tout entière … Chacun un fusil sur l’épaule … Un fusil en bois ! … Et se rendre en manifestation à Isangel, devant les bureaux des administrateurs !
         Une croix peinte en rouge fut érigée au lieu-dit « King Cross », cela devint un lieu de culte.
         Mais en trois années de séjour, les John Froom ne m’ont jamais gêné … Je crois que le mouvement s’essoufflait … Avec l’indépendance, sans doute a t-il disparu ?

         Mon école avait un internat. Elle comptait environ deux cents élèves. Je n’ai jamais eu de difficultés particulières avec la population …

         Je me souviens avec attendrissement de ce petit garçon aux cheveux blonds crépus … C’était la nuit. Tout dormait dans le dortoir … Il était assis dans son lit, il avait à la main une lampe électrique et … Il s’amusait à faire courir un pou sur une feuille de papier blanc …

        


         

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