mercredi 15 août 2018

MENTON ET LES CITRONS





MENTON
               





                                   Certaines villes ont une couleur, une odeur, un costume ou des costumes, et même une température, une atmosphère …

                                                
Vous allez à Menton ? … Jaune, indubitablement et sans aucune hésitation : Jaune d’or, plus jaune que l’or … Le soleil, les chapeaux de paille, les mimosas en février, les pièces de monnaie aux guichets du casino.

Ocres : Ocre jaune et ocre rouge aux façades de la vieille ville. Bleu, bien sûr, le bleu de la Méditerranée. Blanc des palais « Belle Époque » : Le palais du Louvre, le palais d’Orient, le palais Carnolès, le palais Gléna, Winter-Palace, Riviera, Lutecia, Imperial … Que de balcons, que de fenêtres face à la mer !
                                                
Menton sent le citron, le citron … Jaune, jaune d’or ! À Menton, les avenues sont bordées de citronniers, d’orangers et de mandariniers. À Menton, pour le carnaval, on construit des chars, des monuments et des monstres débonnaires, ornés de citrons, d’oranges et de mandarines. Mais le parfum du mimosa ! Et l’odeur de la mer, alors !







    Vous avez dit Menton ? - Chapeaux de paille, évidemment : On les appelle des panamas, je ne sais trop pourquoi ; on pourrait tout aussi bien les appeler autrement. Capelines pour les femmes, ou chapeaux niçois si vous voulez … Mais ici, ce n’est pas Nice. Chapeaux hauts-de-forme aussi et peut-être plus encore … Bicornes, tricornes … Avec plumets et sans plumets. Bonnets à poil, peut-être … Épaulettes garnies, passepoils, baudriers, ceinturons et galons : Ambassadeurs, officiers de haut-rang,importants industriels, sabres, épées, glands dorés et gants blancs. Robes fourreaux, boas de plumes, escarpins à talons hauts…

Caniches toilettés, levrettes fragiles, chevaux à robes lustrées, calèches ou cabriolets, capotes baissées, éventails. Les domestiques et les grooms sont discrets, mais portent tunique et pantalon rayé d’un filet rouge.

On parle l’anglais, on parle le russe, on parle l’italien, on parle le français, qui est de bon ton. Les cannes sont d’ébène à pommeau d’ivoire ou d’argent. Le cou des dames est orné de perles et de diamants, le gilet des hommes est barré d’une chaîne d’or. Certains portent monocle, d’autres lorgnon. Quelques amours de jumelles ou de lorgnettes ornées de nacre … Dame, on les pointe sur les voiles qui s’inclinent devant la Promenade du Soleil.







J’ai dit « jaune », évidemment : C’est pour son soleil que l’on vient à Menton et l’on y vient surtout en hiver, bien sûr !
Mais j’ajouterai le vert, tous les verts même : Aux pentes des montagnes proches, c’est toute la gamme qui fait écrin. En janvier ou février, il peut encore y avoir quelques écharpes de neige : hermine … Leur luxueuse présence renforce le plaisir de la température ressentie. Et puis, les jardins et les parcs : Jardins de la Madone, jardins de Val Rhameh, jardins de Carnolès, jardins Biovès, les Colombières, le Clos du Peyronnet, Maria Serena, Fontana Rosa : Citronniers et orangers, mandariniers, pamplemousses, palmiers, aloès et cactées … Fleurs jaunes, fleurs rouges … Et même des roses en février ! – Si, si, il y en a encore quelques-unes !

J’y insiste : Menton, son casino, le Palais de l’Europe, la Promenade du Soleil, celle de Garavan, l’abbatiale Saint Michel, la rue Carnot et … Et … Comment y va-t-on ?

Eh bien, allons-y par le chemin de fer … Ah bien oui ! Le chemin de fer, quand on demeure à La Rochelle !

Souvenez-vous, pour aller à Séville par voie aérienne, vous avez décollé en direction de … Londres ! – « Low-coast » oblige ! Eh bien, pour aller de La Rochelle à Menton, par le train vous passez … Par Paris ! - Vitesse oblige : Passer par Bordeaux, Toulouse et Marseille, c’est beaucoup plus court et plus logique, mais cela  vous obligerait à emprunter des trains express régionaux, beaucoup plus lents et s’arrêtant à toutes les gares. Cela vous obligerait aussi à changer de train au moins trois fois, en traînant vos bagages sur les quais et ahanant dans les escaliers des passages souterrains :  Descendre aux enfers et remonter péniblement vers le jour … Bref … (Si l’on peut dire !) En passant par Paris, vous gagnez plus de trois heures et beaucoup de quiétude. Il est vrai qu’à Paris, il faut changer de gare, prendre un bus pour cela et puis reprendre le T.G.V. à la gare de Lyon …

De La Rochelle à Paris, le train ne s’arrête que trois fois : Niort, Poitiers, Saint Pierre des Corps. On a aperçu les immeubles de la périphérie de Tours, et puis on a traversé de vastes plaines à céréales. Là où l’on aurait pu jouir du panorama, que l’on sait délicieux, des arbres, souvent, cachaient la vue … Dommage ! On approche assez vite de Paris : Les passagers s’agitent dans les couloirs, récupèrent les vêtements sur les étagères des porte-bagages :

«  Tu oublies ton écharpe : Elle était sous ta veste ! »

Files serrées, groupements impatients. Quelques voyageurs philosophes restent assis. Certains, même, ont jugé qu’ils avaient encore le temps de terminer leur lecture. Ce sont les sages.

Paris, gare  Montparnasse. – « Où se trouve la porte donnant accès aux autobus » ? – « Là » : Descendre les escaliers … Esplanade, La tour … Il pleut.

                                                 «  Prendre le 91 ! »

Des terrasses de cafés, des vitrines de magasins …

    «  Combien de stations encore ? »

Bon, cela s’est bien passé, nous sommes à la gare de Lyon … Je vous passe le récit de ces instants, vous connaissez :

    «  Regarde tes billets : Quel est le numéro de la voiture ? »

    Bon, nous avons trouvé nos places. Le train avance, doucement d’abord, puis il prend de la vitesse au moment où apparaissent les bâtiments des zones industrielles … C’est parti. Il n’y a plus qu’à se carrer dans son siège et laisser aller.








    Je reprends ma lecture … Ah ! oui, je ne vous l’avais pas dit : Depuis La Rochelle, je lis « La Semaine Sainte », de Louis Aragon : Prose superbe. C’est le récit du retour de Napoléon, après son exil à l’île d’Elbe : La remontée vers Paris, un fourmillement de troupes, de généraux, de maréchaux, de cavaliers épuisés, de fantassins boueux. S’en va-t-on vers Calais ou bien vers Lille ? Où est le Roi ? Où est l’Empereur ? … Pas facile de suivre le fil ! De la Rochelle à Paris, ça allait encore : On était tranquille. Mais à partir de Paris ! … Comment voulez-vous que je m’y retrouve parmi tous ces Princes, parmi tous ces Ducs, tous ces Barons, ces Commandants et ces Capitaines ? D’autant qu’ils emmènent pour la plupart, soit leur épouse, soit leur maîtresse : Vous savez encore vous, qui était le Prince de la Moskova ? Qui, Marmont ? Qui le général Ruty ? Quelqu’un se souvient-il que Macdonald n’a pas toujours été le propriétaire d’une chaîne de restaurants « fast food » ? - Qui prenait Madame de Visconti pour une productrice de cinéma italienne ? - À tout ce monde-là se mêle Théodore Géricaud, le peintre, dont il faudrait se souvenir qu’il fut Mousquetaire gris, avant de peindre le « Radeau de la Méduse ! !

    Dans le calme, on parvient à suivre, à voir à travers cet essaim échappé de son nid et qui bourdonne dans tous les sens … Mais quand vous avez, à votre gauche, un quarteron qui ne cesse de rire à gorges déployées, en s’en  racontant « de bien bonnes » ! – Je ferme le livre au premier arrêt : Ah oui ! Nous devons être à la hauteur de Lyon. Je ne me souviens plus du nom de cette nouvelle gare, en rase campagne : Béton, triste béton ... On ne s’arrêtera plus avant  Avignon, puis Aix-en-Provence. Regarder le paysage ! Ah bien oui ! – Le paysage ! Le soleil gênait ma voisine : Elle a tiré le store. Plus de paysage ! J’essaye de sommeiller, mais aller donc sommeiller quand les conversations vont si bon train ! – En prendre son parti.

    Après Aix-en-Provence … On ne vous l’avait pas dit ? … Après Aix, le T.G.V. roule à la vitesse d’un T.E.R. J’ai été surpris : Il ne s’arrête ni à Marseille, ni à Toulon je crois. Où ai-je aperçu la Méditerranée pour la première fois … Si bleue, (Ah ! Je vous y prends, vous l’attendiez, cet adjectif ! - N’est-il pas vrai ?)

    Aix-en-Provence, Les Arcs-Draguignan, (Tiens, j’ai laissé passer Le Cannet-des-Maures où j’ai vécu mes dix-huit ans au soleil des jeunes filles en fleurs !), Saint-Raphaël-Valescure, Cannes, Nice-Ville, Antibes … J’ai aperçu Marina-Baie-des-Anges (Après tout, peut-être pas si moche que ça, cette pyramide de béton ?), Monaco (Ah ! Monaco !), Roquebrune-Cap-Martin … J’en oublie peut-être, et je ne suis pas certain de les avoir citées dans l’ordre …







    Menton … Enfin ! Il est dix-neuf heures ; nous sommes partis de La Rochelle à sept heures du matin : On aurait eu le temps d’aller à Los Angelès … par avion, il va sans dire !


    Menton, c’est une ville d’artistes, tout le monde sait cela. Mais pourquoi faut-il que les édiles aient cru bon de couper la tête à tous les peintres, les sculpteurs, et, sans doute les écrivains qui ont fréquenté les promenades de la ville : Les jardins de Carnolès me donnent des frissons dans le dos lorsque, plongeant dans leurs collections d’agrumes, je me vois obligé de déambuler entre les alignements de têtes qui semblent avoir chu de l’estrade d’une guillotine ! – Têtes de pierre, il va sans dire, que le temps, le soleil et les pluies ont grisées de mousses et de lichens.

    Et quand on parle d’artistes, on ne peut faire autrement que parler de Jean Cocteau. Je l’avais laissé à Milly-la-Forêt, il y a bien des années. Je l’y croyais toujours : Il était enseveli dans une chapelle dont il avait lui-même décoré les murs. Sur la dalle de sa tombe est écrit « Je reste Avec Vous ». Il faut croire qu’il « reste avec nous », même quand on se trouve dans la ville française la plus éloignée de la région parisienne : « Je Reste Avec Vous » … C’est écrit aussi à Menton, sur une paroi du bastion qu’il a choisi pour lui servir de musée. J’aurais bien voulu voir la chapelle de Villefranche, qu’il a aussi décorée … Une autre fois !


              



    Je n’ai pas une passion absolue pour Jean Cocteau, mais il faut reconnaître qu’outre son statut  mondain et apparemment léger, on peut, sans hésitation, lui accorder le statut d’artiste … Qu’est-ce qu’un artiste sinon quelqu’un qui est fondamentalement angoissé, obsédé par le visage de la mort ? Pauvre Jean … Au bastion : Tapisserie d’Aubusson représentant, d’un dessin hallucinant et de couleurs agressives Judith portant, ensanglantée, la tête d’Holopherne, tranchée… Horreur splendide ! Sur les parois de la salle des mariages, à la mairie, de superbes scènes énigmatiques où ne peuvent se lire que l’épouvante, le désarroi et la détresse : Noces aux  airs de fatales corridas … Désespoir d’Orphée : Eurydice s’évanouit aux Enfers ! Au plafond caracole  le poète sur un fougueux Pégase qui l’emporte on ne sait où dans le temps et dans l’espace : Dans le vide … L’ange Heurtebise, déguenillé comme un sale gosse, lance les astres, par poignées, à la face du poète.

    Pauvre, pauvre Jean qui n’a cessé de chercher les cœurs parmi les ors et les clinquants … Pauvre Jean, que l’épée d’académicien, arme d’opérette, n’a pas su  protéger tout à fait !

    Sur la promenade, juste à côté du bastion, on construit un nouveau musée, de béton, pour abriter les œuvres du pauvre Jean.

    - « Je vous livre le secret des secrets. Les miroirs sont des portes par lesquelles la Mort va et vient. Ne le dites à personne. Du reste, regardez vous toute votre vie dans une glace et vous verrez la Mort travailler comme des abeilles dans une ruche de verre. »

    - « Ma démarche morale est celle d’un homme qui boîte, un pied dans la vie, un pied dans la mort ».

    On entend : - « Maman, tiens-moi la main » !







    Orphée, tu abandonnes ta lyre ? – Le clown est triste : Sur le mur du fond, dans la salle des mariages, la capeline de la mariée est de travers. À la place de l’œil du marié, Cocteau dessine un petit poisson … Pirouette ! Mais la pirouette ne dissimule pas les affres du poète.

    Au fond, Jean Cocteau, je l’aime bien : Et qu’importent les cabrioles … J’irai, la prochaine fois, si je le puis, voir la villa dont il a décoré les murs, et puis, j’irai, nul doute là-dessus, j’irai jusqu’à Villefranche pour en visiter la chapelle : Ce n’est pas très éloigné de Menton.
Peut-être y retrouverai-je l’étoile qui suit sa signature:

                                                 - « Je reste avec vous ! »



    En y réfléchissant bien, je crois que c’est cela Menton : Un éclat du soleil dans le coin d’un miroir, fugitif, trompeur…! - Grimaces des pantins de carnaval, en ce jour de février, et masques des enfants ! Le clown a besoin d’être mystifié, il le veut. Mais l’odeur et les ors des citrons, oranges et mandarines !

    Grimace : Sur le trottoir de la Promenade, à petit pas, Carabosse pousse son déambulateur, à tout petits pas … Et ricane !


 








                                                    













                          





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