SANTIAGO DU CHILI
Jusqu’à dix
heures du matin, personne
dans les rues de
Santiago … Désert,
rideaux des
boutiques fermés. Dix
heures :
Les « envahisseurs » :
Costumes
sombres, classiques, stricts,
chemises blanches, cravates,
coiffures
lissées, attachés-cases :
C’est la
Chaussée d’Antin, à Paris, c’est
La rue Sainte
Catherine à Bordeaux …
On court, on
trotte, en rangs serrés.
Malheur à celui
qui ne suivrait pas le flot !
Des employés
roulent dans des
brouettes des
sacs transparents pleins
de pièces de
monnaie : alimentation des
tiroirs-caisses
des magasins.
Le Palais de la
Moneda : Pas très
spectaculaire.
Ici périt le Président
Allende. La
place est nette.
Boutiques,
boutiques, boutiques :
On court, on
court !
Églises
austères, comme bâtiments
Louis XIV. Nefs
voûtées comme galeries
du Louvre .
Dans leurs églises, les
Chiliens
habillent leurs statues :
Beaucoup de
statues dans les églises, et
beaucoup
d’ex-voto. Confessionnaux
toujours
pleins : On confesse, on prie.
Mendiants,
beaucoup de mendiants,
femmes, hommes, un cul-de-jatte,
un autre qui
l’est presque. Sébiles
en matière
plastique, secouées.
Escalators,
escaliers, galeries
commerciales …
Comme à Québec,
comme à
Paris : « fast-food, hamburgers,
poulet rôti (« polo ») !
Place
d’Armes : Pedro de Valdivia sur
son cheval de
bronze, tous deux plus
grands que
nature. Les héros ont traîné
depuis Madrid et
jusque-là leurs
armures
rouillées et leurs épées…
Prendre conscience du fait que la
revendication
d’indépendance
des colonies
espagnoles d’Amérique du
Sud coïncide
avec l’arrivée de Joseph
Bonaparte sur le
trône ibérique.
C’était … Avant
hier !
Depuis mille
neuf cent quatre-vingt-douze
seulement un monument dédié
« Aux
Peuples Indigènes » …
C’est bien le
moins !
Dans les rues,
vers midi, tombe au
moins la moitié des vestons. On garde
les cravates sur
les chemises.
Pizzérias et
« fast-food » bondés :
On pose son
plateau là où on le peut.
Des voitures
blindées collectent les fonds
des
tiroirs-caisses .
Dans le
« Paseo Humada » , un petit
homme grimpe sur
un muret pour jouer
du saxo. Plus
loin, il y a un harpiste.
Une voix … Ô,
cette voix !
Une voix
de femme chante une déchirante
complainte.
Dans les
galeries commerciales :
« Petit
Papa Noël » … Tiens, c’est vrai,
c’est bientôt
Noël … Et c’est le bel été
austral !
Et puis, l’air
de « Docteur Jivago ».
Ici, comme
ailleurs, banderoles qui
proclament :
« Achetez maintenant, vous
paierez en février ! Offrez à votre
enfant
un vélo de couleur !»
Marché
central : ça sent le poisson !
Montagnes de
fruits : abricot, pêches et
cerises … Si
vous avez compris ce
que veut dire « corrazon de paloma»,
vous avez compris que ce peuple est
bien sorti d’un
essaim provenant
lui-même de la
ruche européenne.
Quelques
cabarets minables, entourant les
halles : Ils sentent la marée eux aussi.
Aller voir l’ancienne gare des
chemins de fer,
devenue le Centre
Culturel
Mapuche.
Pauvres Indiens
Mapuches ! La gare est
une structure métallique signée
Gustave Eiffel …
On songe à la gare
Saint Lazare.
Lorsque j’y arrive, il n’y a
rien à voir : C’est vide, on prépare une
exposition.
Aperçu le Musée
précolombien …
Par hasard.
Assez beau bâtiment,
beau
cloître : On y sert du café
et des
croissants parisiens :
« Cafe croissants … The
french bakery cafe. »
Plazza de Armas :
Kiosque à musique …
C’est le soir et pour le moment, on y joue
aux échecs : Des dizaines de
petites tables sur
lesquelles on joue en silence …
Petits boulots, comme à
Bangkok :
Antiques
chambres noires des
photographes
ambulants, boîtes
des cireurs de
chaussures …
Tous les autres passent à l’ombre,
emprunte le
trottoir au soleil, il sera
pour toi
seul ! De la même façon, sur
la place, tous
les bancs sont libres,
au soleil.
Il y a partout
des Pères Noël !
Lorsque je reviens, vers
vingt-deux heures,
les magasins sont encore ouverts
et les
achats vont bon train. La foule
est encore
incroyablement dense dans les rues
de
Santiago et les Chiliens se
rendent sur la place
en famille. Le kiosque a été évacué par
les joueurs d’échecs. Ils
continuent à se livrer
à leur sport favori, mais dans les allées.
L’Armée du salut
s’est installée à leur
place, pendant
que des jeunes filles et des
soldats font résonner
leurs tambourins.
Au centre de la
place, la célébration de
la Nativité a
fait … naître des Pères
Noël auprès de
chaque photographe.
D’un côté dansent des acrobates, de
l’autre des
artistes proposent des dessins :
Caricatures ou
tableaux peints à la bombe
à peinture. Les prédicateurs de je ne
sais quelles
sectes bibliques
prêchent avec
véhémence. On
s’assied, on se
promène, on bavarde.
La chose que je
ne saurai pas, c’est
l’heure à
laquelle les gens se couchent :
Je serai parti
me coucher avant eux !
Pablo … Pablo Neruda …
C’est un peu pour toi que je suis
venu ici.
Je t’ai cherché à la « Chascona », ta maison
De Santiago. Je
t’ai cherché à
« Isla Negra », dans ta maison au bord de
la mer.
Voix profonde et forte de Pablo …
Pardonne moi si je te tutoie,
c’est ainsi que
l’on parle avec les morts, en
signe de fraternité.
Tu es entré en communisme, je
pense,
comme on est amoureux, parce qu’on
croit
en l’amour, comme on entre en
religion parce
qu’on croit en Dieu. Forte gueule
et grandes
tapes dans le dos, comme
Hemingway.
Est-ce que tu t’es réveillé un
jour, toi
qui mourus à l’arrivée de
Pinochet ?
As-tu senti un jour, toi qui
chargeais les fusils
de balles et de mots … Pour que
fleurissent les
coquelicots … As-tu senti un jour
que tout
cela n’était
qu’utopie malfaisante? Je ne te
fais point reproche d’avoir tant parlé des
fumées
Madrid, mais
d’avoir si peu dit à
propos des
Alakalufs et des
Yaghans
assassinés. Mais peut-être
ne t’ai-je pas
assez lu ?
Il n’empêche, Pablo : Ce monument
« Aux Peuples Indigènes », visage brisé
arraché au rocher, séparé des symboles
de sa race …
J’aurais aimé que toi,
avec les formidables matériaux de
ta voix, tu
dressasses semblable
monument … Pas
pour te disculper :
Les pauvres
types que la misère et le
destin jetaient
sur ces terres, venant
d’Espagne, n’ont
rien à se faire
pardonner :
Ils ont vécu - Mais il te
revenait sans
doute de dire que le train
roulant vers
Temuco écrasait des
hommes – Et ton
père n’y est pour rien,
bien sûr !
Le dernier mot du visiteur, qui n’est
passé que rapidement, si rapidement !
- Dans ton
bureau et dans ta chambre,
Tous ces objets
rassemblés –
J’allais écrire
entassés
– Toutes ces
maisons construites …
Car tu en as une
troisième, je le sais,
à Valparaiso.
Toutes ces maisons
achetées et
modifiées, toutes ces pierres
et tous ces
symboles, toute ces couleurs
– Et je me
souviens du bleu des
lapis-lazuli - C’était bien, tout cela,
pour lutter
contre l’impermanence ?
– C’était bien
pour lutter contre la mort,
n’est-ce
pas ? – Tentative vaine !
… Et la
girouette, à « Isla Negra », la
girouette qui a
la forme d’un poisson,
la girouette
chante l’impermanence !
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