samedi 25 août 2018

TOULON 1945





       TOULON








Liesse à Oran, pour la célébration de la

libération de Paris. Tout le monde en fête,

sans distinctions : les “Arabes” comme les

Européens et tous au beau milieu de la rue.

Drapeaux, lampions, musiques et chansons ;

J’avais treize ans.

Peu après, nous avons rejoint la France à

bord du tout premier paquebot en partance.

Il s’appelait le “Médi II “. Nous avions,

j’ignore à quel titre, mais sans doute était-ce

parce que notre père s’était bien débrouillé,

le statut de rapatriés sanitaires.












Nous avons débarqué à Toulon : ferrailles

tordues de la flotte sabordée, ferrailles noires,

acérées et sinistres, émergeant des flots ...

C’était donc cela, la guerre ! Longues files

d’hommes habillés de drap vert-de-gris, à

calots ou bizarre casquette. On lisait les lettres

P.G. dans leur dos, (prisonnier de guerre).

Longues files d’hommes humiliés : Les

“Fritz”, montant les passerelles, les

redescendant avec des colis sur le dos, fourmis ... hommes de bât !



... Le train : Wagons sales et puants.

Le train se détourne ou s’arrête, à chaque pont

 détruit ... C’est donc cela aussi, la guerre !

On nous oublie sur une voie de garage, cela

arrivera plusieurs fois. Des jeunes femmes de la

Croix Rouge nous attendaient pour nous

ravitailler.

Nous avons mis sept jours et sept nuits pour

arriver à Bordeaux où notre père nous

attendait. Nos cheveux étaient pleins de poux

 et nos mains avaient la gale. Nous sentions le

rance et l’ordure.











Fossés anti-chars aux portes de la Rochelle,

champs de mines dans les dunes d’Oléron,

dans les bosquets de Port-des-Barques et

ceux de Fouras. Je collectionnais les petits

drapeaux en fer qui avaient servi à signaler

les mines antipersonnel !


Canons tordus ... Tombes fraîches dans le sable,

 à Boyardville et à Saint-Trojan-les-Bains :

Un piquet de bois surmonté d’un casque d’acier.

 À Rochefort, il y avait des affiches sur les

portes de certaines maisons, proclamant des

 cas “d’Indignité Nationale” et de

“Suppression des droits civiques”. On

racontait des histoires de femmes tondues.

On parlait des ruines de Royan “libéré”.

On racontait des histoires de “Résistants de la

 dernière heure “.













Des prisonniers de guerre allemands ou

autrichiens, que l’on appelait tous des

“Boches”, n’est-ce pas ? coupaient du bois

de chauffage à la campagne au bénéfice des

familles d’officiers français, d’autres

recousaient nos galoches et nos chaussures,

 d’autres encore, interminablement, portaient

des charges sur leur dos. Un chirurgien de

Constance faisait office de maître d’hôtel au

carré des officiers. Il semblait qu’ils étaient

tous là pour toujours ...





                                    





Nos parents faisaient du savon dans la cour de

la maison, mêlant la soude et le suif. La

lessiveuse bouillait. On mettait des œufs en

conserve, dans une gelée de silicate à

l’intérieur de la cuve en verre d’une batterie

de sous-marin.


De longues expéditions en Vendée arrivaient

 des légumes, du beurre, des joues et des

queues de bœufs, des mamelles de vaches

parfois, dont notre mère faisait des ragoûts.



-”Sur la route de la Rochelle. Trois enfants

ont sauté en jouant avec des explosifs.”


Mon adolescence fut l’occasion de voir

fleurir sur les murs des slogans d’ingratitude :

“U.S. Go Home !” On distingue encore

quelques-uns de ces graffitis, sur certains murs

de la Rochelle. Je ne tardai pas à coller des

affiches pour le compte de l’association

« Paix et Liberté », ce qui me conduisit parfois

au poste de police. Le Député, sur un coup de

téléphone, nous en sortait vite, mais on nous

confisquait nos pots de colle et nos pinceaux !

 Le même député nous fournissait en bons

d’essence pour nos ballades.

On apprenait de temps à autre quelque

incarcération, pour marché noir la plupart du

temps.



Mon ami Olivier travaillait à la S.N.C.F. Il

était comptable à la gare de Rochefort.


-”Ne t’inquiète pas, le soir du Grand Soir, ils me

trouveront.”




Il avait de sérieux titres de résistance.

Il connaissait, disait-il, toutes les caches d’armes

de la région. Dans les tiroirs de sa commode,

il y avait un fusil-mitrailleur et quelques

mitraillettes. Je croisais parfois dans son

couloir une femme qu’il ne devait pas mettre

ailleurs que dans son lit : Odeur de clandestinité !

Il était mon ami. Je tairai son véritable nom.

J’appris un jour qu’il avait puisé dans la caisse

de la S.N.C.F. pour acheter un ou deux camions

 qu’il louait à des entreprises locales et un

chalutier dans le port de La Rochelle !

C’est le chalutier qui le fit prendre je crois.

On le jeta en prison. Il mourut peu après, d’un

cancer … La Nature fait parfois bien les choses.

Un, parmi tant d’autresd’autres, qui ne s’était

jamais remis de sa guerre ... Je ne renie pas cette

amitié.



                      





Voilà ce que fut la guerre pour moi, ballotté,

tâtonnant, le cœur en bandoulière. Il me fallut

ensuite apprendre le reste, beaucoup plus tard,

à l’issue de cinq ou six années obscures dans

des internats hostiles où me conduisirent

 les affectations paternelles.


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