TOULON
Liesse à Oran, pour la célébration de la
libération de Paris. Tout le monde en fête,
sans distinctions : les “Arabes” comme les
Européens et tous au beau milieu de la rue.
Drapeaux, lampions, musiques et
chansons ;
J’avais treize ans.
Peu après, nous avons rejoint la France à
bord du tout premier paquebot en partance.
Il s’appelait le “Médi II “. Nous avions,
j’ignore à quel titre, mais sans doute
était-ce
parce que notre père s’était bien
débrouillé,
le statut de rapatriés sanitaires.
Nous avons débarqué à Toulon : ferrailles
tordues de la flotte sabordée, ferrailles
noires,
acérées et sinistres, émergeant des flots
...
C’était donc cela, la guerre ! Longues
files
d’hommes habillés de drap vert-de-gris, à
calots ou bizarre casquette. On lisait les
lettres
P.G. dans leur dos, (prisonnier de guerre).
Longues files d’hommes humiliés : Les
“Fritz”, montant les passerelles, les
redescendant avec des colis sur le dos,
fourmis ... hommes de bât !
... Le train : Wagons sales et puants.
Le train se détourne ou s’arrête, à chaque
pont
détruit ... C’est donc cela aussi, la guerre !
On nous oublie sur une voie de garage, cela
arrivera plusieurs fois. Des jeunes femmes
de la
Croix Rouge nous attendaient pour nous
ravitailler.
Nous avons mis sept jours et sept nuits
pour
arriver à Bordeaux où notre père nous
attendait. Nos cheveux étaient pleins de
poux
et
nos mains avaient la gale. Nous sentions le
rance et l’ordure.
Fossés anti-chars aux portes de la
Rochelle,
champs de mines dans les dunes d’Oléron,
dans les bosquets de Port-des-Barques et
ceux de Fouras. Je collectionnais les
petits
drapeaux en fer qui avaient servi à
signaler
les mines antipersonnel !
Canons tordus ... Tombes fraîches dans le
sable,
à
Boyardville et à Saint-Trojan-les-Bains :
Un piquet de bois surmonté d’un casque
d’acier.
À
Rochefort, il y avait des affiches sur les
portes de certaines maisons, proclamant des
cas “d’Indignité Nationale” et de
“Suppression des droits civiques”. On
racontait des histoires de femmes tondues.
On parlait des ruines de Royan “libéré”.
On racontait des histoires de “Résistants de la
dernière heure “.
Des prisonniers de guerre allemands ou
autrichiens, que l’on appelait tous des
“Boches”, n’est-ce pas ? coupaient du bois
de chauffage à la campagne au bénéfice des
familles d’officiers français, d’autres
recousaient nos galoches et nos chaussures,
d’autres encore, interminablement, portaient
des charges sur leur dos. Un chirurgien de
Constance faisait office de maître d’hôtel
au
carré des officiers. Il semblait qu’ils
étaient
tous là pour toujours ...
Nos parents faisaient du savon dans la cour
de
la maison, mêlant la soude et le suif. La
lessiveuse bouillait. On mettait des œufs
en
conserve, dans une gelée de silicate à
l’intérieur de la cuve en verre d’une
batterie
de sous-marin.
De longues expéditions en Vendée arrivaient
des
légumes, du beurre, des joues et des
queues de bœufs, des mamelles de vaches
parfois, dont notre mère faisait des
ragoûts.
-”Sur la route de la Rochelle. Trois enfants
ont sauté en jouant avec des explosifs.”
Mon adolescence fut l’occasion de voir
fleurir sur les murs des slogans
d’ingratitude :
“U.S. Go Home !” On distingue encore
quelques-uns de ces graffitis, sur certains
murs
de la Rochelle. Je ne tardai pas à coller
des
affiches pour le compte de l’association
« Paix et Liberté », ce qui me
conduisit parfois
au poste de police. Le Député, sur un coup
de
téléphone, nous en sortait vite, mais on
nous
confisquait nos pots de colle et nos pinceaux
!
Le
même député nous fournissait en bons
d’essence pour nos ballades.
On apprenait de temps à autre quelque
incarcération, pour marché noir la plupart
du
temps.
Mon ami Olivier travaillait à la S.N.C.F.
Il
était comptable à la gare de Rochefort.
-”Ne t’inquiète pas, le soir du Grand Soir, ils me
trouveront.”
Il avait de sérieux titres de résistance.
Il connaissait, disait-il, toutes les
caches d’armes
de la région. Dans les tiroirs de sa
commode,
il y avait un fusil-mitrailleur et quelques
mitraillettes. Je croisais parfois dans son
couloir une femme qu’il ne devait pas
mettre
ailleurs que dans son lit : Odeur de clandestinité !
Il était mon ami. Je tairai son véritable
nom.
J’appris un jour qu’il avait puisé dans la
caisse
de la S.N.C.F. pour acheter un ou deux
camions
qu’il louait à des entreprises locales et un
chalutier dans le port de La Rochelle !
C’est le chalutier qui le fit prendre je
crois.
On le jeta en prison. Il mourut peu après,
d’un
cancer … La Nature fait parfois bien les choses.
Un, parmi tant d’autresd’autres, qui ne
s’était
jamais remis de sa guerre ... Je ne renie
pas cette
amitié.
Voilà ce que fut la guerre pour moi,
ballotté,
tâtonnant, le cœur en bandoulière. Il me
fallut
ensuite apprendre le reste, beaucoup plus
tard,
à l’issue de cinq ou six années obscures
dans
des internats hostiles où me conduisirent
les
affectations paternelles.
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