UNE HISTOIRE
D' HOMME - DE - BOIS
_ " Un géant, Monsieur ! ... Et ce visage ! ...
Ces yeux ! ... Ah ! Monsieur ! Je
ne suis
sujet, ni à l'imagination, ni à la sensiblerie. J'ai voyagé un peu
partout ; j'ai vu des choses extraordinaires. On me
dit raisonnable et posé.
Mais là,
Monsieur, j'ai poussé un hurlement et j'ai pris mes jambes à mon
cou !
C'était en mille neuf cent soixante quatorze.
L'aéroport n'était ouvert que
depuis trois
ans. J'arrive de Londres en fin d'après-midi. Je suis seul, mais
content de
l'être. Le temps de récupérer ma valise, je me fais conduire à
mon hôtel, à Bel-Air. Il fait chaud et l'air est
moite.
Une douche ... Je me change : Me voilà prêt. La nuit
est tombée très vite. Il
n'y a pas de
lune. J'ai fort envie d'aller, sans attendre, faire un tour jusqu'à
la ville. Mon
hôte m'indique le chemin. Me voilà parti.
La route est étroite et sinueuse. En ville, pas un
chat, et très peu
d'éclairage. Je tourne autour de la curieuse horloge
qui se veut une
réplique miniature de Big-Ben et je prends le chemin
du retour.
Je grimpe la côte, perdu dans mes pensées. Un
crapaud halète, cherchant
son juste ton. L'air embaume le gardénia. Il fait
très sombre. Des arbres
immenses
tendent leurs bras dont on ne fait que deviner les extrémités.
Un bruit de pas derrière moi : Quelqu'un me suit. Il
garde la distance : pas
de craintes
... Pourquoi en aurais-je ? ... De toute façon, celui qui
m'agresserait aurait peut-être des surprises !
Les pas sont réguliers. Je me contente de jeter un
coup d'oeil par-dessus
mon épaule
avant chaque virage. Je grimpe la côte, régulièrement. Et puis
tout à coup …
... Ah ! Monsieur ! ... Un géant, Monsieur, un vrai
géant, au beau milieu du
chemin ! Plus
haut qu'une armoire ! ... Deux mètres cinquante, peut-être ?
... Et des
yeux qui luisent ! ...
D'où sort-il, celui-là ? ... Pas un mot. Je
m'arrête. Tout à coup, la peur me
prend : Une vraie panique, Monsieur ... Le géant
bouge un peu ... Je pense
qu'il essaie
de m'attirer vers la gauche ... Vraiment, il était immense,
Monsieur ! J'esquive ... Et c'est alors, que je
pousse un hurlement ! Et je
prends mes jambes à mon cou .
Je ne sais pas si celui qui me suivait tout à
l'heure a vu ce qui se passait ...
Il me dépasse
en courant, crochète ... Je ne l'ai jamais revu !
Certains, sans doute, auraient été retenus par la
crainte du ridicule ... Moi,
je raconte
tout à mes hôtes. J'apprends alors que ma rencontre a eu lieu
tout près du vieux cimetière de Bel-Air. Là sont
inhumés les plus anciens
habitants de Mahé, ceux qui ont débarqué ici à la
fin du dix-huitième
siècle, venant de Bretagne, de l'Ile-de-France, ou
de Bourbon. Ils reposent
là avec leurs fils et leurs filles, sous les dalles
chamboulées, envahies par la
végétation.
La plupart des stèles sont brisées et les
lavandières viennent ici étendre
leur linge sur le sol pour le faire sécher.
_ Et c'est maintenant que mon histoire devient
curieuse ... Tout le monde
sait ici ...
On vous le confirmera ... qu'un véritable colosse a vécu aux
Seychelles, au temps des premiers habitants. Il
s'appelait d' Argent,
selon les uns, Savy selon les autres ... Peu importe
... C'était un géant peu
ordinaire ! Tout enfant, dit-on , il vous soulevait
un sac de riz avec le petit
doigt et recommençait aussi souvent qu'on le voulait
! Puis il a grandi, en
taille et en carrure ... Il vous soulevait une
lourde pirogue et, à lui tout seul,
il la
traînait sur toute la largeur de la plage pour la mettre à l'eau ! Il était
certainement plus fort que dix hommes qui auraient
uni leurs efforts.
On en vint à le craindre : N'allait-il pas, un jour,
se servir de sa force pour
terroriser et soumettre tout le monde ?
_ Vous pouvez voir sa tombe, Monsieur, au cimetière
de Bel-Air ... C'est
celle qui est surmontée d'un obélisque, juste en
face de l'entrée. Elle
mesure neuf pieds six pouces, ce qui fait deux
mètres quatre vingt cinq !
... L'histoire ne dit pas qui l'a empoisonné, mais
elle dit qu'il a bel et bien
été
empoisonné.
Vous observerez, Monsieur, que les lavandières
respectent cette tombe :
Elles n'y étendent point leur linge, et s'écartent
au passage.
_ Le géant sort de son tombeau parfois, par les
nuits sans lune ... Beaucoup
l'ont rencontré ... Tous ne s'en sont pas vantés ...
Il arpente les environs du
cimetière. Le
soir où je passai par-là suivait une journée pendant laquelle
des
travailleurs, pour la première fois depuis longtemps, avaient fait un
débroussaillage ... Avait-on dérangé le géant dans
son sommeil ?
_ Doutez-vous, Monsieur ?
_ Me prenez-vous pour un esprit crédule ? ... Lisez
Vincent W. Ryan, ancien
évêque de l'
île Maurice ... Douterez-vous d'un évêque ? ... Vous trouverez
son livre aux Archives Nationales.
_ " Au cours d'une de mes tournées, écrit-il,
on me montra le chapeau et
les
chaussures d'un ancien habitant : monsieur Savy. L'ensemble était à la
mesure du personnage ... Qui mesurait plus de sept
pieds ! "
... Celà fait combien, exprimé en mètres ?
Ouaouh !
RépondreSupprimerLe squelette est impressionnant, comparé à la silhouette humaine... Mais y aurait-il un effet trompeur de perspective ?
Néanmoins, au moins un géant existe vraiment, d'après le photo de groupe au début du récit. Que la vie doit être compliquée, pour lui.
J'adore ces histoires !