mercredi 3 mai 2017

DISPARITIONS SUR L'OCÉAN ...



MEMENTO




 





                 Et la page, et la vague, et la porte, que

ferme le vent ...

La page crisse, se plisse, puis tourne enfin.



La vague s'enfle et s'affale.

La porte claque.



Un canot bleu, tout petit sur la mer : sur la page,

une minuscule virgule ...




L'alizé souffle depuis le mois de juin : Dans la salle

des Archives Nationales, les ventilateurs sont

immobiles. Une porte claque : Porte d'armoire.

On a ouvert un tiroir tout à l'heure, d'où l'on a

extrait le fichier des "Péris-en Mer".












_ " En cette saison, Monsieur, le vent a de brusques

 sursauts. Nos pêcheurs ne sortent pas. "






Archives en formes de litanies de voiliers et de

vapeurs égarés, heurtant des récifs ignorés ...

De grands vaisseaux, chargés de drap et de vins,

d'épices et de sucre. Les vagues cognent, les mâts

se brisent, les carènes s'ouvrent, les barrils s'en

vont au gré des courants ... Des jours et des jours,

des semaines et des mois, des barques dérivent.

Les pluies sont rares, les soleils ardents, les nuits

sont froides. Vaste, l'océan est vide. On ne sait pas

où l'on est. On ignore où l'on va.

rescapés du "Tulagi". Ils avaient dérivé quarante

jours , depuis les côtes de Ceylan. "

_ C'était en mille neuf cent quarante quatre.











_ " Un navire anglais, en mille neuf cent dix,

a recueilli, par neuf degrés trente huit de latitude

Nord et soixante degrés trente quatre de longitude

Est, le dernier survivant du "Sea-Queen ".

Son canot avait dérivé, au total, pendant quatre

mois.

_ "Ceux qui vinrent aborder à l'Ile-du-Nord

dérivaient depuis quatre mois …






Au registre, la page se tourne, que le temps a

jauni. Les listes sont longues. Les mentions sont

brèves :





_ " L'Administrateur des Iles-Eloignées, faisant sa

tournée, a découvert sur l'île Alphonse trois marins

du Cap-Comorin" ...





Les oiseaux et les poissons mangés crus, l'eau qui

manque, la peau qui cloque et se fend ...

Les compagnons qui meurent ...




 





Un collègue nous quitte : Il passe la porte et plonge

 dans la lumière. Comme d'habitude, sa chemise

est un peu fripée, son pantalon en accordéon, ses

cheveux roux sont en bataille. Trapu, il est court

sur pattes et se dandine un peu. Je ne vois plus que

 son dos, large. Mais avant qu'il ne se retourne, il

arborait un éclatant sourire ... Il regagne son

propre bureau, tout proche. Le vent souffle,

la porte claque :

                     À jamais, un homme a disparu !




 







La vague gonfle et roule. Il y a quatre jours, le petit

 bateau bleu a été tiré vers la mer. La page a été

tournée : Le bateau n'est pas revenu. Il ne

reviendra pas . Quelque part, aux Archives, un

tiroir est ouvert. Une fiche est prête, portant deux

noms, celui de mon collègue et celui de l'un de ses

amis : Deux hommes partis à la pêche...











Hier, un avion a tourné, venu de Diégo-Garcia.

On a vu un hélicoptère, des bateaux ...

La vague s'affale, lourde, retombant comme un

couvercle. La porte est close. Le registre sera

bientôt refermé. Deux femmes espèrent encore, et

des enfants, et des amis ...













_ " Moi, Monsieur, j'ai dérivé pendant vingt jours,

sur un canot, avec mon fils et mon mari ...

Nous avons recueilli la pluie sur une toile.

Un bateau grec nous a repêchés près des côtes de

l'Inde. Notre moteur était tombé en panne, tout

près de la plage de Praslin. Nous n'avions ni ancre,

 ni avirons, ni signaux. Il y avait du monde sur la

plage, tout près. On nous avait vus, mais on a cru

que nous pêchions ... Vingt jours, et le froid de la

nuit, les brûlures du soleil en plein jour, la soif,

la faim, le désespoir..."














_ Deux frères, il y a bien longtemps, dérivèrent

pendant des semaines, jusqu'aux côtes du

Mozambique ... `

                       Ils sont revenus sains et saufs !







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