mardi 2 mai 2017

UN CHINOIS AUX SEYCHELLES ...


UN CHINOIS AUX SEYCHELLES ....


 



La boutique fait face au marché. Elle est très

ancienne. Bâtie en planches, elle était jadis peinte

en vert : Il en reste des traces. Toits de tôle ondulée

 montrant encore des traces rouges, mais pièces

 rapportées, de toutes les couleurs. Balcon en

avancée, avec des balustres. La porte ouvre sur

l'obscurité intérieure. Parfois une femme en sort :

large chapeau de paille battant des ailes au soleil,

qui glisse et descend dans la rue. On devine des

choses, là-dedans, et des gens qui bougent un peu,

au ralenti.





























" Kim Koon _ GENERAL MERCHANDISES", lit-on

 sur un panneau peint .


Il y a peu de Kim Koon aux Seychelles, mais ils se

sont soigneusement postés aux points cardinaux.

L'un vend des postes de télévision, l'autre des

climatiseurs, le troisième est photographe ...

Un quatrième fait on ne sait quoi, au fond d'une

impasse... Les plus jeunes arborent vitrines. Les

plus anciens vivent dans l'ombre.


























Ils ont trafiqué la vanille, le coprah, la cannelle,

le patchouli, la nacre, l'écaille, et même les peaux

 d'oiseaux de mer à duvet, dont on faisait les

houppes à poudrer les belles ... Ils ont vendu des

faïences, des brosses, du rotin, du riz, des clous,

des transistors, casseroles, chemises, ouvre-boîtes,

 bouchons, beignets, parfums, sandales ... Les ans

ont passé, les lustres et les siècles. Ils sont toujours

 là, derrière leurs comptoirs. La calculette a

remplacé le boulier, mais ils comptent toujours ...

 Chez les Kim Koon, on compte ce que l'on a eu, ce

que l'on aura ... Et l'on est les seuls à savoir ce que

l'on a . On compte, on compte ... On mesure, on

soupèse, on pèse, on calcule, on suppute.


























Mêmes yeux bridés, mêmes lunettes à monture

d'acier, mêmes crânes, tôt blanchis, tôt dégarnis ...

Sourire rare, rire plus rare encore, sec, discordant

un peu. Mêmes dents en or ...




L'ancêtre se trouve dans la boutique en bois, face

au marché. Il y est depuis deux siècles et demi ,

depuis la fondation de la ville... Il ne se tient plus

droit tout seul : On l'installe le matin, derrière son

 comptoir. Ses yeux sembleraient vifs, mais

quelquefois, ils chavirent. Sa peau est livide et

amincie. Sa mâchoire tombe un peu, entr'ouvrant

la bouche.











Quand est-il vraiment venu jusque là ? Comment y

est-il venu ? Etait-il cuisinier sur un de ces voiliers

dont le quart de l'équipage mourait à chaque

traversée ? Fut-il soutier, sur un vapeur des

Messageries-Maritimes ? Retourna-t-il un jour au

pays, pour prendre une femme de sa race et revenir

 Kim Koon est là, et ses fils et petits-fils ?

Dans la boutique, sur un mur, il y a un cadre qui

est de travers : On y voit la photo de la Reine

Elizabeth II à Victoria, entourée des Kim Koon.

Cela aurait tout aussi bien pu être la photo de ...

La reine Victoria ... entourée des Kim Koon !


_ Vous passez, comme vous le pouvez, entre les

comptoirs et les présentoirs, sous les chemises qui

 pendent au décrochez-moi-ça, Le regard se perd

un peu, parmi les pièces détachées pour

automobiles, hétéroclites ... Les sous-vêtements

féminins, les arrosoirs, les éventails, les bouteilles

de bière, les cuvettes de lavabos ...






















Kim Koon est là,

 l'ancêtre, sur un tabouret haut-perché.

En y prêtant attention, on voit bien qu'il est en fait

au bord du "Paradis-pour les ancêtres"...

Mais depuis si longtemps ! Son bras plonge dans le

 tiroir-caisse entrouvert : Maladie de Parkinson ...

La main tremble. Elle joue dans les billets de

banque ... Depuis la nuit des temps ... Et pour l'éternité !





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