FESTIVITES NATIONALES ET RELIGIEUSES
C'était hier le jour de l'Assomption et la
fête nationale. Flaubert était
à Victoria, et Félicité sans doute dans
quelque galetas.
La procession défilait avec croix,
bannières, surplis, pistons et tubas.
Monseigneur avait mître en tête, et portait
la crosse épiscopale. Les
encensoirs balançaient, les chorales
chantaient. Plusieurs milliers de
personnes étaient là. Pantalons gris,
chemises blanches, ventres
arrogants ou ventres plats, chapeaux de
feutre ... Les messieurs
chantaient à pleins poumons, comme aussi les
dames, leurs épouses.
Celles-ci portaient toilette : Jeunes en
souliers à talons hauts,
vieilles en souliers bas, les unes en jupes
plates, les autres en robes
à ramages et bibis blancs.Les grandes -mères
à la taille la plus lourde
étaient aussi celles qui arboraient le plus
de froufrous, de tulles, de
voilages, de dentelles ... en jaune, en
mauve, en vert ... décolletés et
importants "avantages".
Elles portent bas blancs et demi-talons, leur front est ceint d'une couronne...
Voici les soeurs qui défilent en groupes
constitués portant bannières :
Soeurs en blouses blanches, venues
d'Irlande, soeurs aux voiles
bordés de lignes bleues, venues de l'Inde,
et qui ont le teint bistre.
Soeurs en bure brune, enfin, et à faces
noires ... Servantes de Dieu et
servantes des hommes .
Les bannières sont de soie, brodées comme en
pays cauchois ...
de coeurs, de devises, de fleurs et de
croix.
Fleurs sur l'autel, pour la messe concélébrée
. Orgue électronique,
clarinettes, hautbois. L' office est dit en
Français, les chants et les
litanies aussi.Les sermons sont prononcés en
langue créole.
_ Merveilles du récit de la Genèse :
_" Le Seigneur Dieu appela l'homme et lui
demanda :
_ Où es-tu ? ... L'homme répondit : _"
Je t'ai entendu dans le jardin.
J’ai eu peur, car je suis nu, et je me suis
caché". _ "Qui t'a appris que
tu es nu ?" demanda le Seigneur-Dieu ?
"Aurais-tu goûté au fruit que
je t'avais défendu de manger ? "
... Merveille, encore bien plus grande,
d'entendre, en Français cette
parole de Dieu, sous les frangipaniers et
sous les flamboyants !
_ " Abraham ! _ À tes descendants, je
donne ce pays, depuis le torrent
d'Egypte jusqu'à l'Euphrate. "
... Parole de Dieu, lue par des Créoles, sur
un îlot de l'Océan Indien
... Tandis que là-bas, en Palestine, des
gamins lapident les soldats des
Juifs ... Merveille de l'identification au
" Peuple élu ", en tant de lieux
sous
tant de cieux, à travers les lustres et les siècles ...
_ O ! Peuple créole, chantant Jérusalem
!
_ " Loué soit le Seigneur !"
_ Les répons alternent, entre la chorale et
le peuple... Coupons de
`
tissus bleu-ciel, pendus à la façade de
l'église-cathédrale...
Dirons-nous les pieds douloureux, gonflés,
et les chaussures que l'on
ôte ?
Dirons-nous les vieillards qui se redressent, les dents
déchaussées, les mentons en galoches, les
doigts tordus, égrenant
des chapelets ? Ici, ils sont les mêmes qu'à
Rouen ou à
Grand_Quévilly ! ... Le commerçant
florissant chante afin que ses
pêchés lui soient remis ... La postière, le
chauffeur, la grand'mère au
teint clair et celle au visage noir , la
vendeuse de courges, le marin,
le fils du Commissaire, celui du laboureur
... Ils sont tous ici ...
Et les enfants des écoles avec leurs
professeurs, tous en uniformes .
Ils sont là, chantant la gloire d'Israël et
de son Dieu. La procession
se forme : croix, bannières, enfants,
poussettes et landaus, les
religieuses, la fanfare et la foule. En
queue du cortège : La statue de
la Vierge ... aussi sulpicienne que celle de
Trouville ! Chants, fleurs,
cuivres et encens ... La tête du défilé
revient déjà, alors que la queue
ne s'est pas encore ébranlée.
On n'entend presque rien que du Français ...
entrecoupé de Créole ...
Il n'y eut pourtant ici que quarante années
de domination française ...
achevée en mille huit cent dix !
_ Mais que sera demain ? Il m'a semblé voir
là plus de vieux que de
jeunes, si l'on excepte les écoliers venus
en corps constitués.
Mais combien y avait-il de jeunes dans la
force de l'âge ?
_ Il y en avait, il y en avait ... Et les
bébés étaient si beaux dans leurs
atours ! L' âge venu,
chanteront-ils en Français comme leurs
grands-parents ?
_ Mais qu'exigerions-nous ?
_ En pays normand, chante-t-on encore , de
reposoir en reposoir, le
Dieu des Juifs et d' Israël ?
_ Le chante-t-on toujours à la Nouvelle-Orléans
?
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