jeudi 11 mai 2017

LES ÉDUCATEURS ...




LA FETE DES ENSEIGNANTS





Les fillettes sont en tutu, les cheveux nattés. Les garçons portent

pantalons longs gris-souris, petit gilet , chemise blanche à manches

longues et noeud papillon. Il n'y a que des souliers vernis, des

soquettes et des dentelles. 

Les papas portent aussi chemise blanche, les mamans robes à

passements, petit chapeau. 


Il ne manque que les saxos pour jouer des blues : On se croirait à la

Nouvelle-Orléans il y a soixante ans. 






Hier, il y avait assemblée et pique-nique sur la plage de Grande-Anse.

 Aujourd'hui, le corps enseignant est réuni sous des tentes, dans la

cour du Ministère de l'Education. Les tentes sont rouges et montées

sur tubes ; les sièges sont alignés comme à la parade ...



C'est la parade . Les enseignants du pays sont mille quatre cents :

Ils sont pratiquement tous là, depuis les "Miss" qui enseignent dans

les "Crêches", jusqu'aux dirigeants des institutions : Pantalons gris,

chemises blanches, robes à festons. On a dressé une estrade, une

chaire, et installé des microphones. Pendant toute la semaine, de

larges banderoles ont proclamé au-dessus des routes et des chemins

la dignité du corps enseignant :




_" Etre professeur, c'est le plus beau des métiers." 


_ " Le professeur doit avoir de l'autorité et être une autorité. " 


_ " Les professeurs forment les élites de demain." 











Devant l' " Ecole d' Education ", qui forme les enseignants de tous

niveaux, un panneau peint montre un arbre ... Que l'on pourrait

considérer comme un arbre généalogique : Le tronc, c'est le

professeur ... Les branches, ce sont les corps professionnels ...

Le rameau le plus haut, c'est le Président de la République ... 







Le voici, le Président : Sous les tentes, tout le monde se lève et

applaudit. Il s'assied au premier rang, au-milieu de tous ses Ministres

 Le Ministre de l'Education est là, bien sûr : C'est une poupée dodue

au sourire en coeur, en corolle de mousseline rose ... exquise ! 




L'hymne seychellois, puis les prières. Ces dernières sont dites en

Français, par un prêtre qui roule les "r" comme un Carcassonnais.

Utilisant une élocution onctueuse et modulée, comme il convient, il

 appelle la bénédiction de Dieu sur la profession à l'honneur, dont

les membres sont" si nobles " et " si dévoués ".

C'est samedi aujourd'hui, et c'est le " Teacher's Day ". Notons que le

samedi, habituellement non plus, n'est pas un jour de classe ...

En d'autres pays ... Mais, pour être juste, notons que toute la semaine

 se sont échelonnées dans tous les établissements, les cérémonies à

des enseignants, avec bouquets de fleurs, chansons, compliments et

discours ... 















Et je me demande si, dans mon vieux pays, on sait encore honorer

ainsi les éducateurs _ Le " Teacher's Day" ferait sourire ...

Faut-il penser qu'on leur refuse les honneurs, ou bien qu'ils s'en

seraient rendus indignes ?... Faut-il penser que c'est notre société

tout entière qui a perdu son âme et ses valeurs ? ... Et que, par voie de

 conséquence, nos éducateurs ne savent plus transmettre

ces dernières ? 








_ Et voilà : Il n'y a pas de saxos, mais il y a un énorme tuba,

étincelant de tout son nickel, un trombone, quelques autres

instruments à vent, et la chorale des enseignants prend place...

Le Chef porte petit gilet et noeud papillon lui aussi . Il manie la

baguette avec virtuosité. Cela rappelle " Autant en Emporte le Vent ",

 ou mieux encore, " La Couleur Pourpre ". La chorale chante l'union :

 " La Main dans la Main ", la noblesse, la fermeté, le progrès, et la

Nation. On chante aussi, avec accompagnement des cuivres,

" Le Labeur et La Confiance, et La Guerre à la Corruption et à

 L'Irresponsabilité ". Cà et là des ballons en baudruche, accrochés

en guirlande, éclatent à la chaleur : La première fois, on sursaute !

Il ne faut pas rire : Puiser quelque matière à rélexion peut-être ...

Tout en sachant que pareille prestation serait impossible chez nous,

et incomprise. Mais qui a raison?



_ Nous avons chez nous d'autres cultes. Il faut prendre la mesure. 




















Autre réflexion , qui devrait donner du grain à moudre à nos

diplomates, si prompts à se moquer, si insistants pour la "sauvegarde

 " et " l'expansion" de la langue française : L'insistance agace parfois,

 alors qu'ici, les prières récitées et les textes chantés sont en Français,

 en bon Français ! Nous avons dit ailleurs quel est le statut de la

langue française, né de l'organisation sociale et religieuse.

... Mais tout le reste de la cérémonie, y compris les discours, s'est

déroulé en Anglais. On reprendra les chants une deuxième fois,

toujours en Français, et c'est en bavardant en Créole, que l'on

prendra les rafraîchissements...






Langue française : Langue sacrée ... Mais pour combien de temps

encore ? 


_ O ! ... Et puis ... En France, il y a combien de temps que le Latin ne

jouit plus du statut de " langue sacrée" et qu'il a disparu de nos

cérémonies religieuses ? 



_ Discours du Ministre, discours du Président, et puis, discours du

président de la toute nouvelle " Association des Enseignants

Seychellois " ( " Elle n'est pas un syndicat : Elle est une association

de professionnels responsables qui veulent montrer qu'ils sont

capables d'évoluer et de progresser ensemble . " ) _ On pourrait ici

poser quelques questions : ... Robes, chapeaux, cravates, tubas et

trombones, certificats, diplômes et récompenses ... Mais plutôt que

de dire ce que l'Association " n'est pas" ... N'aurait-il pas mieux valu

dire ce qu'elle sera ? 












À la fin des choses ... Au bout du compte ... N' en revenons-nous pas à

 la même question que celle qui fait sourire aux " Trois Messes Basses

du Curé de Cucugnan : Au-delà du rite, quelle est la consistance de la

 foi, quelle est la solidité de la volonté ?








_ Demeurons lucides cependant : Les discours d'aujourd'hui ne sont

 pas risibles du tout _ Ils mettent l'accent sur les valeurs morales et

civiques . Ils parlent de ce que nous n'avons plus guère.



Ne moralisons pas trop, mais demandons nous où nous en sommes

nous mêmes. Il est vrai qu'une nation qui n'honore plus ses

éducateurs perd, ou a perdu le sentiment de ses valeurs. Il est vrai

qu'un éducateur qui ne serait point honorable n'aurait plus rien à

transmettre ... Que le désespoir. 




Chez nous, on envoie les diplômes par la poste,( Quand il existe

encore des papiers qui les attestent ...). Chez nous, un inspecteur

d' Académie peut vous remettre le diplôme établissant votre

admission dans l'Ordre des Palmes Académiques en vous disant :

_" Je ne sais pas ce que cela vaut encore ...") 














Aux Seychelles, on honore encore les enseignants. On leur remet des

 certificats de reconnaissance pour plus de vingt cinq ans de services,

pour plus de quarante ans de services ... Et, aux quatre plus anciens,

on remettra de belles médailles, auxquelles on ajoutera un billet

pour des vacances au Kenya, à Singapour ou en Europe. La France,

elle, a encore ses médailles réservées aux enseignants : Médaille de

 bronze, d'argent , ou d'or... Mais elles ne sonnent ni le bronze, ni

l'argent, ni l'or : L'imprimante d'un ordinateur les inscrit au

" Bulletin Départemental de l'Enseignement, ( Quand il existe ), et

c'est tout . 

_ Alors, ici, ne boudons pas notre plaisir ... 




_Angélisme ? _ Peut-être _ Mais , bon sang, que les enseignants

étaient heureux ! 


_ " ... Même si cela ne leur apporte pas plus d'argent à la fin du mois"

 ... disait un dignitaire de façon fort lucide. Et puis, la convivialité de

ces cérémonies, cela n'est pas rien non plus ! ... Les images du

pique-nique organisé sur la plage montraient des visages bien

épanouis, derrière les marmites où était puisé le poulet au curry ... 
















Un mot encore, le dernier ... Ces gens là ... Fils d'esclaves et de

domestiques, ont adopté les valeurs dont se réclamaient leurs

maîtres en même temps qu'ils copiaient leurs vestons, leurs robes,

leurs fêtes et leurs petits-fours _



Qui y trouverait à redire ?














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