LA COMMUNAUTE
FRANCAISE ....
PORTRAIT D'UNE
COOPERANTE.
Elle est apparue d'un coup : Clac !... Comme
ça ! ... Venue sur un
petit
nuage.
Elle était dans un fauteuil en rotin, vêtue
de coton froissé. On n'avait
disposé qu'un seul couvert à sa table nappée
de blanc.
Port très droit, menton haut. Ses doigts
tambourinaient, sans aucun
bruit perceptible : Les doigts de la main
gauche. Jeune, de l'allure,
un chignon sévère, mais non sans
charme.
Elle était en lévitation.
Evidemment, la première fois, cela surprend
!
Sa
table était placée dans l'angle de la terrasse, à l'endroit où celle-ci,
surélevée, prend un peu une allure d'estrade :
Il faut monter une
marche pour accéder là. Les pieds de la
table reposaient bien sur le
sol, comme il se doit, mais pas ceux du
fauteuil.
Elle avait déjà ses habitudes à l'auberge,
étant là depuis quelques
jours. Nous avons fait connaissance.
Je crois bien que c'est depuis sa naissance,
qu'elle est sur son petit
nuage : Son papa et sa maman ont dû l'y
déposer très vite, et très
précieusement. Je suppose qu'ils ont dû
veiller ensuite avec
assiduité à ce qu'elle n'en redescendît
point. Ils sont instituteurs tous
les
deux.
Scolarité sans histoires : La petite est
intelligente. Baccalauréat avec
mention, tandis que d'autres lançaient des
pavés au Quartier-Latin.
Licence, agrégation de grammaire, le tout
dans le même élan.
Les agrégatifs, cette année-là, planchaient
sur Madame Bovary ...
Au
Cambodge, on découvrait les massacres des Khmers-Rouges.
Mais revenons à notre première rencontre ...
Elle était en lévitation,
je l'ai dit ... À quelques centimètres
seulement du sol ... Mais quand
même !
Elle s'aperçut que je la regardais : Sa
gorge rougit. Son fauteuil
descendit d'un cran, d'un seul coup. Il
n'alla point jusqu'à toucher le
sol cependant ... Son menton trembla ... Ses
doigts émiettaient du
pain. On eût dit, un peu, qu'on la
surprenait en train de chipper des
confitures. Alors, le fauteuil entreprit une
série de curieux
mouvements : Un cran après l'autre, il
montait, puis redescendait.
Parfois il sautait plusieurs crans à la fois
... Siège et personne
s'immobilisèrent enfin à un niveau moyen ...
On eut dit que rien ne
s'était produit. Son regard passait
par-dessus ma tête : A trois doigts ...
Je la connais mieux aujourd'hui. Je sais
qu'elle est réellement arrivée ici ...
Comme ça : Clac ! Sans presque s'en rendre
compte elle-même !
Quelqu'un dirait qu'elle était arrivée là
" sans toucher les bords " ! ...
Il me faut réfléchir au bien-fondé de la
formule ...
Naguère, elle eut un mari, qui avait été au
préalable son ami
d'enfance. Il monta sur le petit nuage en sa
compagnie. Il y resta
quelque temps : Le temps d'une glissade au
Maroc, puis jusqu'au
Togo. Il passa lui-aussi le concours de
l'agrégation.
Elle s'aperçut trop tard qu'il descendait en
route.
C'est à ce moment-là qu'elle se rendit
compte qu'elle tenait à lui...
Elle écrit beaucoup : A son papa, à sa
maman, à son mari aussi, bien
qu'une procédure de divorce soit en cours
...
Paris pendant un an, dans une griserie de
spectacles et d'activités
culturelles ... Ensuite, elle devait partir
en Chine pour le compte des
services d'action culturelle du Ministère
des Affaires Etrangères ...
On tuait, à ce moment-là, sur la Place
Tien-An-Men ... C'est pourquoi,
au
lieu d'aller en Chine, elle est arrivée aux îles Seychelles.
Je crois que nous sommes amis. J'observe son
petit nuage : Parfois
il vire au rose, parfois il vire au gris. Je
la trouve souvent encore en
lévitation, mais parfois il lui arrive de
redescendre à terre pendant
que je lui parle ... On dirait que c'est par
inadvertance ...
C'est très étrange alors : Dès que ses pieds
touchent le sol, elle est
toute nue ... Comme ça ... D'un seul coup !
C'est d'ailleurs une fausse-maigre. Elle est
plutôt bien faite.
Sa poitrine est menue, avec une discrète
envie près du sein droit.
Dès qu'elle s'aperçoit que je la vois, elle
reprend de l'altitude :
La voici de nouveau vêtue.
Elle a pêché un Créole ici, dès son arrivée.
Il a les épaules larges et la
poitrine puissante, le teint clair, les yeux
bleus, la barbe blonde, fine
et bouclée. On dirait un dieu du Rhin : Il a
vingt ans.
_ " Il me fait penser à mes neveux
..."
Elle s'est mis en tête d'assurer l'avenir de
ce garçon sans instruction
ni parchemin ...
_ " Je n'ai pas d'enfant ... Ma vie
servira peut-être ainsi à quelque
chose ! "
_ Le gars, certainement, a tiré le gros-lot
: Jolie femme, libre,
intelligente et douce ... Maison au bord de
l'eau, comme on en voit au
cinéma ... Une voiture neuve, le vivre et le
couvert, une femme de
ménage pour l'entretien du linge ...
Il vient de se faire offrir le bateau dont
il rêvait : Avec deux moteurs
de cent quinze chevaux.
_ " Je voudrais tant lui donner un
métier, un but ! "
Lui, vous explique : _ " Ici, je
mettrai les sièges, là, le réservoir ...
On achètera les moulinets et les cannes ...
"
_ Vous savez combien cela consomme de
carburant, ces moteurs ?
_ " Je te rembourserai. "
Un ami servira de rabatteur : Il travaille
dans une agence de tourisme
: On
fera du charter pour la pêche au gros ...
Ma chère Laurence, de tout mon coeur, je
vous souhaite le succès.
Pourtant, songez-y, l'alisé est régulier :
Un jour il déplace les nuages ...
Inexorablement ... Il vous faudra bien vivre
encore ...
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