LE NAUFRAGE DU TIGER
_"Charpentiers et hommes
d'équipage,
dans le noir, s'efforçaient de dégager le
grand canot et les youyous
... les seules
embarcations qu'il nous restât encore. En
lieu sûr, ils entreposaient sur le pont des
jambons, des alcools, de
l'eau, des biscuits,
des casseroles, des avirons, des voiles, des
outils : tout ce qui pouvait
nous être utile.
Les porcs, les moutons, les volailles, tous
les animaux vivants furent transférés du
grand canot dans les
chambrées, à l'abri,
jusqu'à ce que les
embarcations soient
prêtes. Avec un pont incliné
à quarante
cinq degrés, que l'eau rendait glissant et
que la mer assaillait à
chaque instant, on
peut imaginer le travail que
cela
représente !
Monsieur Spurs, à tout
moment, me
demandait quelle heure il
était ... Enfin le
jour se leva. Il était à peu près cinq heures
et demie. Le navire n'était pas encore
démembré. Nous pouvons
constater que
nous sommes échoués à l'ouest
d'un
rocher émergeant à fleur d'eau, du côté le
plus exposé à la fureur des
lames ... A un
quart de mille, le rivage est sablonneux,
avec quelques broussailles
éparses. Je
m'aventure sur le pont vers six heures.
Cela me permet de prendre la mesure de
la situation : Le navire est couché sur le
flanc. Ses mâts brisés ont été emportés
par la mer. Il ne reste plus
que la bôme du
foc, avec ses voiles qui pendent ... Le
pavois est à moitié enfoncé.
Les hommes,
accaparés par leur labeur, se meuvent en
silence ...
La mer emporte les mâts : Ils
dérivent
avec leurs voiles et leurs
cordages ... Tout
le gréement traîne le long du bord ...
Quant à l'île, elle est basse, sableuse,
inhospitalière ... De gros rochers et des
coraux acérés encombrent ses
rivages.
Dans l'ensemble, cela paraît
tout à fait
misérable ...
_"Le charpentier, aidé
par l'équipage, s'est
mis à démolir le pavois à coups de haches
pour qu'il soit plus facile de mettre les
canots à la mer. A huit, ils
pratiquent une
énorme brèche. Le grand canot est mis à
l'eau. Le Commandant y monte
avec
quelques hommes pour chercher
un
endroit propice au
débarquement ...
Bientôt ils sont de retour :
Entre les
écueils, il y a une petite
plage qui est tout
ce qu'il nous faut ... Nous
nous dirigeons
vers elle ... Quelques espars et des cages à
poules ont déjà été rejetés par la mer ...
*
_"C'est à la mi-marée
que nous avons
débarqué. La mer s'étant retirée, le navire
était couché sur le rocher, calme.
La côte
sous-le-vent était
découverte. A travers les
eaux claires, nous pouvions
apercevoir le
fond rocheux. Le Commandant nous
conseilla de placer nos objets de valeur
dans un coffre et mettre
celui-ci dans le
grand canot, qui était à l'eau maintenant,
rempli d'objets et de matériel de première
nécessité. Nous suivîmes le
conseil, mais
cela fut malaisé : Tout avait
été chamboulé
dans notre cabine ... Ce
n'est qu'avec
beaucoup de difficultés que
nous sommes
parvenus à ouvrir quelques
malles et
quelques portes ... Pour
ouvrir un tiroir,
notre cabine se trouvant sous-le-vent,
nous étions pratiquement obligés de le
soulever à la verticale!
Les poignées de cuivre me
coupaient les
doigts et, comme la mer était
entrée à flots
par les hublots brisés, le
sol était couvert
de verre cassé provenant des
vitres et des
bouteilles. Je m'y blessai sérieusement les
pieds. Ces rapides expéditions étaient
donc dangereuses. Par ailleurs, nos malles
s'avéraient toutes trop
grosses, trop peu
maniables. Il était difficile de songer à les
utiliser. Le seul bagage qui soit utilisable
était un coffre chinois posé sur ma
couchette. Il contenait mes livres précieux
... Je les jetai sur le plancher mouillé.
J'arrachai cependant la carte du monde
qui se trouvait dans mon
atlas : Je la
plaçai soigneusement sur ma
poitrine,
pensant qu'elle pourrait nous être utile
plus tard ... Je réussis à mettre dans le
coffre le peu d'argent que
j'avais, les bijoux
de Sibella, les médaillons qui contenaient
les mèches de cheveux des enfants,
quelques petits cadeaux que
ces derniers
nous avaient offerts, quelques couverts en
argent, un peu de linge de rechange, des
petites choses comme du fil, des couteaux,
des médicaments, un tire-bouchon, des
aiguilles, des rubans, des
crayons, des
porte-plume, du papier, de l'encre ... Ce
qui me tomba sous la main ...
_"Je bourrai également
mes poches avec
tout ce que je pus trouver
d'utilisable :
Robinson Crusoë, dont je pensai qu'il
pouvait nous donner des
idées, un
thermomètre, du savon, des objets de
toilette ... Avant d'aller à terre, je fis un
ballot avec des vestes de laine et des
pantalons ... J'en pris autant que je
pouvais en emporter car je
savais combien
nous en aurions besoin, lorsque nous
serions exposés au froid et à
la pluie ! Je
fis un autre ballot avec des
couvertures, y
ajoutant quelques livres et
du matériel à
dessin ...
_"En quittant le bateau,
nous étions bien
tristes. Nous étions obligés d'abandonner
notre cabine, nos malles, nos tiroirs
remplis d'objets de valeur, la plupart de
nos affaires ... Nous étions à peu près
certains de ne jamais rien
revoir de tout
cela.
_"Au moment où le navire
s'était échoué,
Sibella avait jeté à la mer ses clefs et la
bague de rubis qu'elle
portait au doigt ...
Son alliance avait failli suivre ...
Heureusement, elle l'avait remise à son
annulaire.
_"Avant de rejoindre
notre embarcation,
nous nous sommes assis par terre, dans
notre cabine. Nous regardions la mer,
transparente. Les crêtes des rouleaux
déferlants étaient blanches comme la
neige, elles étincelaient au soleil en
passant devant nous ...
_"Regarde, Sibella,
regarde comme le
soleil est radieux ..."
_"Il sourit ... Mais pas
pour nous !"
*
Il faut dire que, vraiment,
depuis sa mise à
l'eau, le "Tiger", notre navire,
avait couru
de malchance en malchance ... Il y a des
bateaux comme cela, dont les hommes
d'équipage disent qu'ils ont "la
poisse". Il
était pourtant beau et solidement
construit. A tous points de vue, c’était un
véritable modèle d'architecture navale.
Il avait commencé, lors de
son lancement,
par aller heurter le fond, à la sortie du
chantier de construction.
Ensuite, il était
entré en collision avec deux autres
navires. Un coup de vent
avait abattu un
de ses mâts ... Puis le cacatois, à son tour,
s'était abattu ! Il avait
appareillé de
Liverpool le trois mai mille
huit-cent
trente-six pour un voyage qui
était prévu
sans escale jusqu'à Bombay. Il emmenait
vingt et une personnes à son bord.
( à suivre )
Hier soir, j'ai lu vos derniers envois. Une soirée de séjour aux Seychelles, avec des pirates, des trésors, Louis XVII, des voyageurs naufragés... Merci pour vos récits. Michel ! Bon week-end à vous et à Sophie !
RépondreSupprimerJe vous envoie quelques photos de ma paisible promenade terrestre au soleil.