vendredi 12 avril 2019

ÉCHOUEMENT ... (à suivre)











 





A dix heures du matin, la marée étant

basse, nous sortîmes de notre cabine en

 nous agrippant à un filin : le pont était si

 mouillé et tellement incliné qu'il était

impossible de se tenir debout. Nous étions

 prêts à débarquer.




On s'occupa d'abord de mon épouse,

 Sibella, et, comme on ne pouvait

 envisager de se servir d'une chaise, on lui

 passa une corde autour du corps. On la

descendit, lentement,

précautionneusement dans le grand canot.

 Ensuite, ce fut le tour de la servante, puis

 le mien et enfin celui du docteur.




Il y avait dans l'embarcation, en plus de

nos bagages et de nos armes à feu, quatre

 moutons vivants, de la volaille, un porc,

 deux chiens greyhounds, un terrier, un

jeune chiot et dix-neuf personnes. Le soleil

 brillait mais les embruns nous arrosaient.

Le bateau plongeait sans cesse. Nous ne

pouvions rien voir.




Il était midi lorsque nous nous sommes

éloignés de notre pauvre navire pour

gagner le rivage ... qui nous paraissait si

peu engageant ! Le grand canot était

 manoeuvré à l'aviron, mais il était en

même temps remorqué par un canot à

 quatre rameurs. Le Commandant était

 resté à bord, en compagnie du steward en

 attendant que nous ayons débarqué. Le

petit canot retourna les chercher pendant

 que les autres membres de l'équipage

débarquaient les provisions et le matériel.

Je voulus les aider, mais ils refusèrent.

Sibella et la servante s'occupaient des

choses fragiles : cartes, livres, compas. Elle

 plaçait tout cela dans un trou au milieu du

sable, trou qui n'était pas autre chose que

le nid déserté d'une énorme tortue de mer ...

Tout ayant été rangé en sécurité, au-

dessus du niveau de la marée haute, je me

mis à prospecter pour trouver un endroit

propice à l'installation de notre

campement. Le vent et le sable nous

 cinglaient. Tout près, je trouvai ce que je

cherchais : Le sol était de bonne qualité,

l'endroit était abrité par une dune de

quatre à cinq pieds de haut que recouvrait

une broussaille vigoureuse d'un vert vif ...


 



Le vallon surplombé par la dune était

 également verdoyant. Un espace fut

nettoyé pour dresser une tente. On

 apporta rapidement des espars, des

 voiles, tout ce qu'il fallait ... La tente fut

dressée pour les passagers et le matériel.

Le grand canot et le youyou furent traînés

 jusqu'à ce qu'ils soient en sécurité, au-

dessus du niveau des hautes-eaux. Un feu

 fut allumé pour les hommes d'équipage

qui allaient dormir autour de lui. Avant la

 nuit, nous étions à l'abri. Nous avions des

 couvertures pour préparer nos couches et

nous étendre, nous avions à boire et à

manger. Nous avions même eu droit à une

 gorgée de thé chaud. Tout le monde était

sauf et en sécurité. Nous invitâmes

l'équipage à se joindre à nous pour la

prière du soir, seuls quelques-uns, peu

 nombreux, s'étaient déjà effondrés dans

un lourd sommeil dû à l'épuisement. Nos

prières montèrent vers les cieux,

remerciant Dieu de nous avoir tirés de

cette terrible situation.



*


_"Pouvez-vous seulement imaginer ce que

représente un tel débarquement ? _ Les

seuls êtres vivants que nous avions pu

apercevoir sur l'île étaient quelques petits

crabes et des oiseaux de mer, blancs, qui

avaient tout l'air d'être ébahis de nous voir

 là, sur ce rivage qui leur appartenait.





_" Pouvez-vous imaginer ce que cela

 représente ? _ Nous nous trouvions un

 instant auparavant sur un navire tout

neuf, jaugeant soixante-quinze tonneaux,

ayant appareillé de Liverpool le trois mai

mille huit cent trente six ... Pour ma part,

j'étais alors Major de l'Armée des Indes. Je

 rejoignais mon affectation à Bombay.

 Mon épouse, Sibella m'accompagnait,

ainsi que sa servante, Louise ...


 


_" Et puis ... Quand on y repense …




_"Le temps était couvert. Le ciel était chargé de grains. D'après les calculs,

 compte-tenu de la distance qu'il estimait

 avoir parcourue depuis l'île Sainte-Marie,

le Commandant pensa qu'il était temps de

changer de cap. On vira à minuit. La nuit

était sombre et pluvieuse. Le vent soufflait

du secteur sud. Le navire filait huit à neuf

noeuds ...



_" Le douze, alors que j'étais allongé sur ma couchette, au côté de Sibella ... Le navire talonne !




_" Les deux premières fois, il n'y eut que

des raclements insignifiants ... Si légers

que je ne bougeai pas ... Je restais allongé,

 écoutant intensément ... Je voulais croire

que ce n'était pas vraiment une côte que

 nous avions touchée ... Que nous avions

 eu la chance de ne frôler que l'un des

innombrables récifs si fréquents dans ces

 mers tropicales ...




 

_"Hélas ! Il se passa moins d'une minute

 avant qu'une vague nous ait soulevés ... Le

navire retomba de tout son poids sur les

rochers. Il y eut un horrible craquement.

 La roue de la barre vola en éclats. La

mécanique se brisa. Le navire entier

craquait, comme s'il allait à l'instant être

 réduit en pièces. Il continuait à taper sur

 la roche. Au bout d'une demi-heure, il se

coucha sur le flanc gauche ... A partir de ce

 moment, il se mit à taper encore plus

lourdement. Les vagues déferlaient, se

 brisaient sur la coque, nous

submergeaient avec une violence de plus

en plus grande. Pour ajouter à l'horreur de

 la situation, à chaque coup de boutoir, la

cloche du bord tintait ...






_" Dès le premier choc, nous nous étions

 tous précipités sur le pont. Nous gardions

 le silence le plus complet. Au bout d'un

moment, le charpentier proposa au

Commandant de couper les mâts pour

 alléger le bateau. Celui-ci, en effet, à

chaque lame, cognait avec une telle

violence que son démantèlement était à

craindre ...




_"Attendons que le jour se lève ... Il ne

faut pas faire de bêtises ..."




-" Une heure plus tard, cependant, le

navire continuant cogner aussi fort sur les

rochers, le Commandant lui-même

ordonna de couper les mâts ... Ils

s'abattirent avec un fracas épouvantable. A

partir de ce moment, le bateau resta en

 repos.


-"Pendant tout ce temps-là, l'équipage, sur

 le pont, était demeuré parfaitement calme

 et discipliné. Sibella, la servante, le

docteur et moi-même, nous étions restés

 sur nos couchettes, offrant au Ciel nos

 prières ...

 

Le Commandant arriva : _ " Voudriez-

vous avoir l'amabilité de descendre jusqu'à

la cabine inférieure : Nous allons couper le

mât de misaine."



_" L'inclinaison du navire était telle, et le

pont était si mouillé, que nous avions

l'impression de nous trouver perchés sur

la crête d'un mur ! Il nous était quasiment

 impossible de nous déplacer ... Sibella

était assise tout en haut, du côté au vent.

En frappant la coque, une lourde vague la

projeta au loin. Elle tomba à plat-ventre :

 Elle ne pouvait rien faire et je ne pouvais

rien pour l'aider ... Un moment plus tard,

profitant d'un instant favorable, en

 rampant, nous avons gagné la cabine

inférieure. Nous nous sommes assis à
même le plancher, du côté sous-le-vent.

_" Je fis alors quelques expéditions

 jusqu'à notre cabine, promettant chaque

fois à Sibella de revenir très vite : Nous

nous étions juré de périr ensemble si nous

devions être noyés en cas de

démembrement du navire ... Je parvins à

 ramener notre literie : Nous nous en

servîmes pour nous asseoir de façon

acceptable. Je ramenai aussi des

vêtements chauds qui se trouvaient à

 portée de mes mains ... Nous nous

habillâmes du mieux qu'il nous était

possible. Mais nous étions tout mouillés et

 nous grelottions de froid. Nos montres,

 nos chaînes d'or et quelques bibelots

furent mis en sécurité.





_" Attentif à notre sort, le Commandant

ne fit couper le mât de misaine qu'au

moment le moins dangereux. Nous étions

toujours assis à l'intérieur du bateau et

nous adressions toujours au Ciel nos plus

pressantes prières ... Il y avait peu de

chances pour que le navire demeurât

 entier jusqu'au jour : Il était plein d'eau et

 les caisses de la cargaison cognaient sous

le pont. A travers les lattes de ce dernier,

nous apercevions les lumières de la nuit ...

 Autant dire que chaque vague déversait

des torrents dans la cabine ... Le navire

cognait de plus en plus fort sur le roc. A

chaque assaut de la mer on entendait une

détonation telle que nous aurions pu

croire que la coque avait explosé.

             


_"Et le vent soufflait toujours

 furieusement. La pluie l'accompagnait par

 intermittences. La nuit était noire. Nous

 ignorions complètement sur quoi nous

 avions fait naufrage : Était-ce sur un

écueil ou sur une île ?

                     (À SUIVRE .... DÈS DEMAIN !)


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