_" Bien que relisant
souvent les
Instructions Nautiques, nous
n'étions pas
très sûrs de l'identité de
notre île et,
partant, de sa situation exacte : Étions-
nous sur Juan-de-Nova ou bien
sur
Astove? De l'avis général, nous devions
nous trouver sur Juan-de-Nova ... Nous
étions quelques-uns à ne pas en être
absolument convaincus.
_" Dès les premiers
jours, le charpentier,
aidé par quelques hommes, avait
entrepris de modifier le grand canot : Il
voulait l'allonger, portant
ainsi sa
longueur à trente pieds
hors-tout, alors
qu'elle n'était initialement que de vingt-
trois pieds. Il utilisait pour cela des pièces
de bois récupérées sur l'épave de notre
pauvre "Tiger". Son équipe
travaillait
d'arrache-pied. Nous avions
décidé que
Monsieur Spurs embarquerait,
dès que
possible, avec quelques
hommes. Ils
essaieraient d'atteindre les Seychelles.
L'alerte donnée, on
reviendrait nous
porter secours.
_" Une nouvelle
expédition jusqu'à l'épave
nous a permis de ramener trois barils de
viande de boeuf et un de viande de porc.
Ces salaisons seront réservées à ceux qui,
comme nous, doivent rester sur l'île. Nous
avons préparé un petit nombre de
messages, écrits sur du
papier à dessin :
Le "Tiger", de
Liverpool, s'est échoué
sur_" Juan-de-Nova ou l'île Farquhar,
Latitude dix degrés sud.
L'équipage et les
passagers se trouvent sur la côte est. Le
mouillage est au nord."
_" Ayant rédigé ces
messages, je les signai
de mon nom : " W. Stirling, Capitaine de
l'Armée Indigène de Bombay." Tous ces
messages furent placés dans des
bouteilles, que nous avons
cachetées. Elles
devaient être emportées par
nos amis et
lancées à la mer l'une après
l'autre ... Peut-
être quelqu'un les
trouverait-il ? Le grand
canot, dans sa nouvelle
structure, reçut un
nouveau nom de baptême : Nous lui
donnâmes celui de
"Hope", l'"Espoir" ...
Quel plus beau nom aurions-nous pu lui donner
?
_" Le mardi six
septembre, le "Hope" était
mis à la mer, non sans
difficulté car les
vents et les vagues n'étaient
guère
favorables ... Ayant tourné
la pointe sud de
l'île, il trouva un bon mouillage dans une
anse paisible. Son équipement
fut
complété. Le quinze
septembre, dès l'aube,
les onze hommes qui composaient l'
équipage étaient fin-prêts.
Partageant une
chope de brandy, nous avons trinqué au
succès ...
_" Nous nous sommes tous
serré la main,
formulant des voeux pour que le voyage
fût heureux et agréable ...
Tout le monde
étant à bord, les voiles hissées, le
"Hope"
appareilla à sept heures précises, par jolie
brise. Les conditions étaient
toutes
favorables. Restant à terre, nous
poussâmes tous un
triple"hourra !".
Jusqu'à huit heures, le bateau demeura
visible, puis il disparut à
l'horizon.
_" La vie a repris sur
l'île : Occupations
botaniques, pêche, recherche de tortues
de mer, ramassage du bois ... Pour ma
part, je m'amusai même à
semer quelques
graines et à planter quelques légumes.
Sibella , elle, s'était vouée
à la production
de sel pour améliorer notre nourriture :
Elle faisait évaporer de
l'eau de mer dans
une marmite...
_"Je n'étais pas encore
convaincu que
nous nous fûssions sur Juan-de-Nova. Je
relisais ce qu'écrivait Horsburg
à propos
d'une autre île, dénommée Astove :
" Astove est située
approximativement à
une latitude de dix degrés sud et à une
distance de dix lieues de
l'île de
Cosmolédo. C'est une petite
île basse sur
laquelle les navires français "Le Bon-
Royal" et "Le
Jardinier" ont fait naufrage,
dit-on. Une frégate française ayant vu
Juan-de-Nova le trente août
mille sept
cent soixante neuf fit naufrage, la même
nuit, sur les bancs de Providence, à
quarante ou cinquante milles plus au
nord. Cette île a été visitée
épisodiquement par d'autres
navires ... "
_" En fait, nous
l'apprîmes plus tard,
c'était bel et bien sur
Astove que nous avions
échoué et non pas sur Farquhar.
Cette erreur impliquait deux
conséquences, et chacune
d'entre elles
aurait pu être tragique :
*Nos camarades, partis sur le
"Hope"
n'avaient aucune chance de gagner les
Seychelles comme ils en avaient
l'intention, puisqu'ils ignoraient la
véritable position de leur point de départ
...
*Les secours que l'on aurait
pu nous
envoyer n'avaient guère de chances de
nous parvenir, que l'on ait
été alerté par
nos compagnons embarqués du "Hope",
ou bien qu'on l'ait été par l'un des
messages largués dans des
bouteilles ... En
fait ... nous ne pouvions que l'ignorer,
mais un secours éventuel ne pouvait,
qu'être fortuit, c'est à dire
bien
improbable.
*
_Effectivement, le voyage de
Monsieur
Spurs et de son équipage ne
fut pas du
tout conforme à nos
prévisions ... Ils
réussirent bien à s'en tirer, mais ce ne fut
qu'après avoir navigué longuement, en
suivant un itinéraire tout à fait imprévu ...
tant et si bien que lorsque
Monsieur Spurs
finit par arriver sur notre
île, (car il y
arriva tout de même ...),
nous n'y étions
plus : Nous étions partis depuis quelques
jours ...
_ Le quatorze octobre,
m'étant levé tôt le
matin, je vois arriver le canot, monté par
deux hommes. Je ne sais pourquoi ... un
pressentiment ... Je préviens Sibella ...
_ Les deux matelots, nommés
Ismaël et
Bobby quittent leur embarcation à la hâte,
sans même prendre le temps de ferler les
voiles ni de tirer l'embarcation au sec. Ils
pataugent dans la vase pour
essayer
d'arriver plus vite au rivage...Ils courent
jusqu'à notre campement :
_" Au large, il y a un
grand navire ! "
... Aujourd'hui, il y a
trente et un jour que
le grand canot est parti.
Nous pensons
qu'il a eu le temps d'atteindre les
Seychelles et que ce sont nos
amis qui
nous ont envoyé du secours
... Nous
faisons des signaux avec nos
pavillons ... A
dix heures, nous avons la
joie de voir, par-
dessus les arbres qui
entourent notre île
... Notre interlocuteur
est le
tonnelier du
bord et il s'appelle White.
_"Le Capitaine lui-même
nous rejoint
bientôt. Je le présente à Sibella. Il était
venu relâcher à Astove pour y pêcher la
tortue. Il nous demande de
faire nos
préparatifs car nous conduira jusqu'aux
Seychelles ... C'est lui qui nous apprend
que nous trouvons sur Astove et non pas
sur Juan-de-Nova.
_ Le seize octobre, nous
quittons notre
campement en laissant nos tentes debout.
Sur un panneau d'écoutille, j'écris en
grandes lettres, à la
peinture blanche :
_" Les passagers et
l'Équipage du
"Tiger"ont été
miraculeusement sauvés
par l' "Emma", de
Londres, Capitaine
Goodman, qui les a recueillis
et emmenés
aux Seychelles." Je signe :
"W.Stirling, Capitaine de l'Armée de Bombay".
_ Une lettre est placée dans
une bouteille
cachetée. Elle est destinée à
Monsieur
Spurs, au cas où il
réussirait à revenir
...Nous laissons aussi des provisions, nos
deux poules, qui couvent, et deux coqs ...
Tout cela pourra éventuellement rendre
service à ceux qui auront
peut-être
l'infortune de nous succéder un jour ...
*
_ Le premier novembre à
minuit nous
mouillons l'ancre à Mahé,
après une
traversée de quatorze jours.
Je débarque
immédiatement, avec le Capitaine
Goodman et le médecin. Nous
rencontrons
Monsieur George Harrison, représentant
du Gouvernement. Il nous
invite, Sibella et
moi à loger chez lui.
_"Un petit navire était
en construction. Il
était presque achevé et, par
un heureux
hasard, sa première destination était
prévue pour la côte de
Malabar ... Nous
retenons nos places pour Bombay ...
_ Quant à Monsieur Spurs et à
son
équipage, embarqués sur le
"Hope", j'ai dit
qu'ils avaient tenu leur promesse et
étaient revenus nous chercher sur les
lieux du naufrage ...
_"En fait, le jour où ils
avaient quitté
Astove, ils avaient aperçu
les îles
Cosmolédo ... Qu'ils avaient
prises pour
l'île Providence et ses
récifs, à cause de
l'erreur concernant leur point de départ ...
_"Toujours par suite de
cette erreur sur
leur point d'origine, ils avaient fait fausse
route sans s'en apercevoir ... Ne
parvenant pas, bien entendu, à atteindre
les Seychelles, leurs
provisions diminuant
sérieusement, ils avaient mis le cap sur
Zanzibar et la côte d'Afrique ... Ils étaient
arrivés à Zanzibar au bout d'une
navigation de seize jours.
Ils y furent très
bien accueillis par le Sultan, fils de l'Imam
de Mascate. On leur offrit le passage sur
un Dow, pour se rendre à
Bombay ... Mais,
avec ce dow, ils avaient rencontré les
vents de la mousson du
nord-est et
n'étaient pas parvenus à les remonter. Ils
s'étaient donc dirigés vers un port appelé
Brava, sur la côte d'Afrique. Ils y avaient
trouvé un petit schooner
anglais du nom
de "kite", lequel trafiquait la
poudre d'or,
l'ivoire, la gomme et
l'écaille de tortue ...
Surprise : Le Capitaine de ce schooner
nous connaissait ... En
entendant
prononcer nos noms, il se porta
volontaire pour aller nous
chercher sur
Juan-de-Nova ... Monsieur
Spurs, le
charpentier et le menuisier
du "Tiger",
laissant là le reste de
l'équipage
s'embarquèrent.
_ Ils arrivent à
Juan-de-Nova, où ils
comptaient nous trouver ... En fait, ils
trouvent ... Une famille de Français,
installée là avec ses noirs ! Ils repartent
vers Astove : Nous n'y étions plus ... mais
ils rencontrent un bateau, l'
"Étoile", venu
de Mahé avec Monsieur Blore pour tenter
de sauver ce qui restait de la cargaison du
"Tiger".
_ L' "Étoile"
retourne à Mahé avec ce que
l'on a pu récupérer ... Il y
a maintenant
cent-dix-huit jours que Monsieur Spurs a
quitté Astove à bord du "Hope" !
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