samedi 13 avril 2019

ÉCHOUEMENT - 3 (ET FIN ...)


                    


_" Bien que relisant souvent les

Instructions Nautiques, nous n'étions pas

très sûrs de l'identité de notre île et,

 partant, de sa situation exacte : Étions-

nous sur Juan-de-Nova ou bien sur

 Astove? De l'avis général, nous devions

 nous trouver sur Juan-de-Nova ... Nous

 étions quelques-uns à ne pas en être

 absolument convaincus.




_" Dès les premiers jours, le charpentier,

 aidé par quelques hommes, avait

 entrepris de modifier le grand canot : Il

voulait l'allonger, portant ainsi sa

longueur à trente pieds hors-tout, alors

 qu'elle n'était initialement que de vingt-

 trois pieds. Il utilisait pour cela des pièces

 de bois récupérées sur l'épave de notre

 pauvre "Tiger". Son équipe travaillait

d'arrache-pied. Nous avions décidé que

Monsieur Spurs embarquerait, dès que

possible, avec quelques hommes. Ils

 essaieraient d'atteindre les Seychelles.

L'alerte donnée, on reviendrait nous

porter secours.

_" Une nouvelle expédition jusqu'à l'épave

 nous a permis de ramener trois barils de
 viande de boeuf et un de viande de porc.

 Ces salaisons seront réservées à ceux qui,

 comme nous, doivent rester sur l'île. Nous

 avons préparé un petit nombre de

messages, écrits sur du papier à dessin :

 
Le "Tiger", de Liverpool, s'est échoué

sur_"  Juan-de-Nova ou l'île Farquhar,

Latitude dix degrés sud. L'équipage et les

 passagers se trouvent sur la côte est. Le

 mouillage est au nord."



_" Ayant rédigé ces messages, je les signai

 de mon nom : " W. Stirling, Capitaine de
 l'Armée Indigène de Bombay." Tous ces

 messages furent placés dans des

bouteilles, que nous avons cachetées. Elles

devaient être emportées par nos amis et

lancées à la mer l'une après l'autre ... Peut-

être quelqu'un les trouverait-il ? Le grand

canot, dans sa nouvelle structure, reçut un

 nouveau nom de baptême : Nous lui

donnâmes celui de "Hope", l'"Espoir" ...



 Quel plus beau nom aurions-nous pu lui donner ?




_" Le mardi six septembre, le "Hope" était

mis à la mer, non sans difficulté car les

vents et les vagues n'étaient guère

favorables ... Ayant tourné la pointe sud de

 l'île, il trouva un bon mouillage dans une

anse paisible. Son équipement fut

complété. Le quinze septembre, dès l'aube,

 les onze hommes qui composaient l'

équipage étaient fin-prêts. Partageant une

 chope de brandy, nous avons trinqué au

 succès ...

_" Nous nous sommes tous serré la main,

 formulant des voeux pour que le voyage

fût heureux et agréable ... Tout le monde

 étant à bord, les voiles hissées, le "Hope"

 appareilla à sept heures précises, par jolie

brise. Les conditions étaient toutes

 favorables. Restant à terre, nous

poussâmes tous un triple"hourra !".

 Jusqu'à huit heures, le bateau demeura

visible, puis il disparut à l'horizon.



_" La vie a repris sur l'île : Occupations

 botaniques, pêche, recherche de tortues

 de mer, ramassage du bois ... Pour ma
part, je m'amusai même à semer quelques

 graines et à planter quelques légumes.

Sibella , elle, s'était vouée à la production

 de sel pour améliorer notre nourriture :

Elle faisait évaporer de l'eau de mer dans

 une marmite...




_"Je n'étais pas encore convaincu que
 nous nous fûssions sur Juan-de-Nova. Je

relisais ce qu'écrivait Horsburg à propos

 d'une autre île, dénommée Astove :

" Astove est située approximativement à

 une latitude de dix degrés sud et à une

distance de dix lieues de l'île de

Cosmolédo. C'est une petite île basse sur

 laquelle les navires français "Le Bon-

Royal" et "Le Jardinier" ont fait naufrage,

 dit-on. Une frégate française ayant vu

Juan-de-Nova le trente août mille sept

 cent soixante neuf fit naufrage, la même

 nuit, sur les bancs de Providence, à

 quarante ou cinquante milles plus au

 nord. Cette île a été visitée

épisodiquement par d'autres navires ... "

_" En fait, nous l'apprîmes plus tard,

c'était bel et bien sur Astove que nous avions 

échoué et non pas sur Farquhar.

 Cette erreur impliquait deux

conséquences, et chacune d'entre elles

 aurait pu être tragique :



 


*Nos camarades, partis sur le "Hope"

 n'avaient aucune chance de gagner les

 Seychelles comme ils en avaient

 l'intention, puisqu'ils ignoraient la

 véritable position de leur point de départ

...
            
*Les secours que l'on aurait pu nous

 envoyer n'avaient guère de chances de

nous parvenir, que l'on ait été alerté par

 nos compagnons embarqués du "Hope",

 ou bien qu'on l'ait été par l'un des

messages largués dans des bouteilles ... En

 fait ... nous ne pouvions que l'ignorer,

 mais un secours éventuel ne pouvait,

qu'être fortuit, c'est à dire bien

improbable.







*


_Effectivement, le voyage de Monsieur

Spurs et de son équipage ne fut pas du

tout conforme à nos prévisions ... Ils

 réussirent bien à s'en tirer, mais ce ne fut

 qu'après avoir navigué longuement, en

 suivant un itinéraire tout à fait imprévu ...

tant et si bien que lorsque Monsieur Spurs

finit par arriver sur notre île, (car il y

arriva tout de même ...), nous n'y étions

 plus : Nous étions partis depuis quelques

 jours ...








_ Le quatorze octobre, m'étant levé tôt le

 matin, je vois arriver le canot, monté par

 deux hommes. Je ne sais pourquoi ... un

 pressentiment ... Je préviens Sibella ...



_ Les deux matelots, nommés Ismaël et

 Bobby quittent leur embarcation à la hâte,

 sans même prendre le temps de ferler les

 voiles ni de tirer l'embarcation au sec. Ils

pataugent dans la vase pour essayer

 d'arriver plus vite au rivage...Ils courent

 jusqu'à notre campement :



_" Au large, il y a un grand navire ! "

              

... Aujourd'hui, il y a trente et un jour que

le grand canot est parti. Nous pensons

 qu'il a eu le temps d'atteindre les

Seychelles et que ce sont nos amis qui

nous ont envoyé du secours ... Nous

faisons des signaux avec nos pavillons ... A

dix heures, nous avons la joie de voir, par-

dessus les arbres qui entourent notre île                                   
                                                                                   ... Notre interlocuteur
                                     est le tonnelier du

 bord et il s'appelle White.




_"Le Capitaine lui-même nous rejoint

 bientôt. Je le présente à Sibella. Il était

 venu relâcher à Astove pour y pêcher la

tortue. Il nous demande de faire nos

 préparatifs car nous conduira jusqu'aux

 Seychelles ... C'est lui qui nous apprend

 que nous trouvons sur Astove et non pas

 sur Juan-de-Nova.



_ Le seize octobre, nous quittons notre

 campement en laissant nos tentes debout.

 Sur un panneau d'écoutille, j'écris en

grandes lettres, à la peinture blanche :




_" Les passagers et l'Équipage du

"Tiger"ont été miraculeusement sauvés

par l' "Emma", de Londres, Capitaine


Goodman, qui les a recueillis et emmenés

 aux Seychelles." Je signe : "W.Stirling, Capitaine de l'Armée de Bombay".



_ Une lettre est placée dans une bouteille

cachetée. Elle est destinée à Monsieur

Spurs, au cas où il réussirait à revenir

 ...Nous laissons aussi des provisions, nos

 deux poules, qui couvent, et deux coqs ...

 Tout cela pourra éventuellement rendre

service à ceux qui auront peut-être

 l'infortune de nous succéder un jour ...




 



*

_ Le premier novembre à minuit nous

mouillons l'ancre à Mahé, après une

traversée de quatorze jours. Je débarque

 immédiatement, avec le Capitaine

Goodman et le médecin. Nous rencontrons

 Monsieur George Harrison, représentant

du Gouvernement. Il nous invite, Sibella et

moi à loger chez lui.




_"Un petit navire était en construction. Il


était presque achevé et, par un heureux

 hasard, sa première destination était

prévue pour la côte de Malabar ... Nous

 retenons nos places pour Bombay ...







_ Quant à Monsieur Spurs et à son

équipage, embarqués sur le "Hope", j'ai dit

 qu'ils avaient tenu leur promesse et

 étaient revenus nous chercher sur les

lieux du naufrage ...


 




_"En fait, le jour où ils avaient quitté

Astove, ils avaient aperçu les îles

Cosmolédo ... Qu'ils avaient prises pour

l'île Providence et ses récifs, à cause de

 l'erreur concernant leur point de départ ...





_"Toujours par suite de cette erreur sur

 leur point d'origine, ils avaient fait fausse

 route sans s'en apercevoir ... Ne

 parvenant pas, bien entendu, à atteindre

les Seychelles, leurs provisions diminuant

 sérieusement, ils avaient mis le cap sur

 Zanzibar et la côte d'Afrique ... Ils étaient

 arrivés à Zanzibar au bout d'une

navigation de seize jours. Ils y furent très

 bien accueillis par le Sultan, fils de l'Imam

 de Mascate. On leur offrit le passage sur

un Dow, pour se rendre à Bombay ... Mais,

 avec ce dow, ils avaient rencontré les

vents de la mousson du nord-est et

 n'étaient pas parvenus à les remonter. Ils

 s'étaient donc dirigés vers un port appelé

 Brava, sur la côte d'Afrique. Ils y avaient

trouvé un petit schooner anglais du nom

 de "kite", lequel trafiquait la poudre d'or,

l'ivoire, la gomme et l'écaille de tortue ...

 Surprise : Le Capitaine de ce schooner

nous connaissait ... En entendant

 prononcer nos noms, il se porta

volontaire pour aller nous chercher sur

Juan-de-Nova ... Monsieur Spurs, le

charpentier et le menuisier du "Tiger",

laissant là le reste de l'équipage

 s'embarquèrent.


_ Ils arrivent à Juan-de-Nova, où ils

 comptaient nous trouver ... En fait, ils

 trouvent ... Une famille de Français,

 installée là avec ses noirs ! Ils repartent

 vers Astove : Nous n'y étions plus ... mais

ils rencontrent un bateau, l' "Étoile", venu

 de Mahé avec Monsieur Blore pour tenter

 de sauver ce qui restait de la cargaison du

 "Tiger".

_ L' "Étoile" retourne à Mahé avec ce que

l'on a pu récupérer ... Il y a maintenant

 cent-dix-huit jours que Monsieur Spurs a

 quitté Astove à bord du "Hope" !


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire