jeudi 17 novembre 2011

LE MUSÉE PIERRE BONNARD







Je ne veux pas que l'on m'explique l'oeuvre d'art. J'accepte à peine que l'on me raconte la vie de l'artiste et qu'on la replace "dans son époque". Je suis ainsi, et je n'ai pas envie que l'on "m'éduque". L'oeuvre d'art, je suis en face d'elle ... Je la regarde ... Je ne la touche pas ... Je la perçois. Elle me parle ou elle ne me parle pas.

L'artiste a fait une recherche. Il a tenté de trouver le trésor de la Golconde, ou de pénétrer au coeur même du mystère. Il a réussi et il est satisfait, plus riche de l'or qu'il a trouvé. Il n'a pas réussi et il boit pour se consoler. Il peut finir par se pendre par désespoir. Il a tenté le diable, il a bravé les interdits, il a pris le chemin pavé de braises ... C'est pour lui. Il faut craindre les artistes qui travaillent pour d'autres qu'eux mêmes. Je suis devant une oeuvre d'art, en l'occurrence il s'agit d'un tableau ... Que me dit ce tableau ? Et d'abord me dit-il quelque chose, à moi ? Je ne prétends pas être moi-même un "artiste", mais enfin, comme tout le monde, je me suis essayé parfois à chercher "Le" secret. Je ne veux pas que l'on me demande de m'expliquer : J'ai "fait" ... C'est à dire qu'une relation s'est établie entre moi et mon sujet, entre le sujet que j'ai choisi, ou qui s'est imposé à moi. Cette relation, elle a éveillé des perceptions, des sentiments, des émotions qui me sont personnelles et qui ne seront certainement pas les vôtres si vous vous placez devant le même sujet. Elles ont encore moins de chances d'être les vôtres si vous vous placez devant la représentation que j'en donne : Que pourriez vous savoir des borborygmes qui agitaient mes entrailles alors que je peignais ou alors que je rêvais ?

Je n'ai donc pas accepté l'audioguide que me proposait l'hôtesse. J'ai payé mon billet d'entrée et j'ai aussitôt pris l'ascenseur. Bâtiment tout de verre, propre, net ... Le Ministre de la Culture l'a inauguré il y a à peine quelques mois ... Mais, m'a-t-on dit, les collections qui avaient été prêtées pour l'occasion par le musée d'Orsay ne sont plus là.

En effet, elles ne sont plus au Cannet. Quelques toiles cependant, peu nombreuses, issues des collections d'Orsay ou appartenant au musée du Cannet ... Trop peu nombreuses et ... Ce ne sont sans doute pas les meilleures !

J'entends d'ici les rumeurs, je sens l'agitation des "purs" et des "fervents" ... Qui suis-je pour faire "la fine bouche" ? - Je ne fais pas la "fine bouche", mais enfin, combien y a-t-il vraiment de tableaux ici ? Beaucoup de petits dessins au crayon à mine de plomb ... Études sur le vif sans aucun doute ... Une inscription sur un mur nous explique la méthode de travail de Pierre Bonnard : -"Je me promène dans la campagne, dit-il en substance, je bavarde avec ceux que je rencontre, je prends des croquis, je rêve ... Et je rentre chez moi pour peindre". Que l'on me pardonne si je ne rapporte pas ici les mots exacts pour cette citation. Je crois cependant que mes phrases en rendent bien le sens ... Et puis après tout, je maintiens ce que j'écrivais plus haut : Seule l'oeuvre m'intéresse. C'est elle qui est devant moi, non pas le peintre. Les études au crayon ? - Oui, Pierre Bonnard a un bon coup de crayon ... Mais enfin, Pierre Bonnard, c'est un peintre de la lumière, non ? - Un peintre des couleurs. Et c'est bien la lumière, et ce sont bien les couleurs, que sont venus chercher tant d'artistes dans les collines de Provence : Matisse, Van Gogh, Gauguin, pour n'en citer que trois parmi les plus connus. Alors ... Les lithographies, les dessins d'illustration de livres d'enfants, les affiches pour les music-halls ... Oui, bien sûr, et l'on songe parfois à Toulouse-Lautrec ... Mais enfin !

Pierre Bonnard est peut-être surtout un peintre de nus. Nous savons tout de son épouse, à sa toilette dans le tub, derrière la porte entrebaillée ... Que sais-je : Le portrait de son épouse dans la baignoire est reparti au musée d'Orsay : C'est lui que l'on a montré sur tous les écrans de télévision au moment de l'inauguration du musée du Cannet. Je ne soulèverai pas ici la problématique de la représentation du nu, je remarque simplement que c'est, dans presque tous les cas, une femme que l'on montre nue ... Un moyen de pénétrer au Paradis ? ... Un moyen pour les "machos" ? Mais allons, laissez-nous rêver ! Encore y faut-il une ambiance.

Pierre Bonnard a peint la Méditerranée. Il y a même fait figurer des baigneurs, surpris au moment du coucher de soleil. Il a fallu au critique d'art toute une science pour faire la louange de ce tableau où je ne vois qu'empâtements et couleurs violentes, formes indéfinies : Permettez au béotien, sans attenter le moins du monde à l'opinion des fervents admirateurs, permettez de ne pas admirer : Un enfant de six ans ferait mieux, me semble-t-il. Mais passons ... Fenêtre ouverte sue la colline, arbres et verdure ... Matisse aussi a exploré la vue de la fenêtre.

Ce qui m'a semblé le plus intéressant, à part le paravent sur les panneaux duquel figurent, en noir, des personnages qui ont valu à Bonnard le surnom de "Nabi japonisant", ce qui m'a paru le plus intéressant, c'est un grand panneau, dont le haut est arrondi en demi cercle : "Vue sur Le Cannet" ... Là se retrouvent les couleurs qui n'appartiennent qu'à la Provence : Verts des palmes, jaunes éclatants des mimosas en fleurs, orange tendre des toits, ocres des murs. Ce panneau, destiné initialement à décorer un intérieur, éclate de lumière : C'étatit ce que je venais chercher dans une collection d'un "Nabi" post-impressionniste. Une note nous "explique" que ce tableau est merveilleux par ses couleurs, par la représentation des différents plans qui donnent la profondeur du paysage ... Je n'avais pas besoin de lire la notice : J'avais reconnu le paysage, vu du haut des collines qui dominent Le Cannet ... Du temps de Pierre Bonnard, il n'y avait pas tant d'immeubles de béton ; La végétation était plus libre, plus abondante, plus sauvage, la vieille ville était plus dégagée, plus resserrée aussi, le panorama était plus ouvert ... Mais je retrouvais bien ici la Provence ... La Provence telle que l'avaient faite en moi les "Lettres de mon Moulin" d'Alphonse Daudet, telle qu'avaient contribué à la faire Mistral, Mireille, les vignerons de Vidauban, les bartavelles de Marcel Pagnol, la Femme du Boulanger, le "Père Fournier" qui demeurait à "la Grande Bastide", au Cannet des Maures, les chansons de Gilbert Bécaud, les romarins et les oliviers, et cette fille si belle avec sa chevelure rousse : Elle habitait à Saint Raphaël.

Et c'est pour ça que je ne veux pas que l'on "m'explique" le tableau, ni même que l'on me raconte tout de suite la vie de l'artiste qui l'a peint : Le tableau qui est en face de moi, c'est à moi qu'il parle ... Ou ne parle pas. Et s'il me parle, c'est parce que j'y mets quelque chose de moi-même, quelque chose de ma vie, quelque chose de mes émotions, quelque chose que j'ai aimé ou que je n'ai pas aimé. Plus tard, beaucoup plus tard ... Peut-être chercherai-je à connaître Pierre Bonnard : Après tout, il est mon frère, comme il est le vôtre ... Mais, pour l'instant, laissez moi contempler le tableau, laissez-moi, au delà du tableau, me chercher moi-même et ... Peut-être, trouver le "trésor".

Je retournerai au musée Bonnard. Il n'est pas très éloigné de chez moi. Peut-être les collections se seront-elles enrichies ?

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