samedi 12 novembre 2011

LE ONZE NOVEMBRE SUR LA CROISETTE




Aujourd’hui, nous sommes le onze novembre. Nous étions assez nombreux ce matin,autour du Monument aux Morts du Cannet. Il y a toujours quelque chose d’assez curieux dans ces rassemblements : Sexagénaires desséchés recoiffant des bérets verts ou des bérets rouges, septuagénaires ventripotents arborant leurs barrettes de décorations pendantes, civils battant du tambour ou sonnant du clairon. Quelques épouses sont là aussi, prêtes à photographier leur époux. ( Dame, il y aura une remise de médailles !)– « Ouvrez le ban ! » - « Aux Champs ! », puis un haut-parleur qui fait entendre la Marseillaise et le God Save the Queen …. ( Nous sommes sur la Côte d’Azur !) Cela se poursuit par la lecture d’un message du Président de la République puis se termine par une invitation à l’apéritif, à l’initiative de la municipalité. C’est un peu grotesque, mais c’est aussi touchant : Souvenirs, souvenirs ! … Un certain râle, qui se prolonge et que j’entends depuis plus de cinquante ans … Je ne suis pas allé prendre l’apéritif.


L’après-midi, nous avons pris le bus pour aller sur la Croisette. Je pense que tout le monde avait eu la même idée : Il faisait beau et nous venions de subir quatre ou cinq jours de mauvais temps. Cannes est une ville qui se résume, si on la considère, à la promenade de la Croisette, en front de mer, et à la rue d’Antibes, qui est parallèle à la Croisette. Les Cannois appellent ce cœur de ville « la Banane » et en effet, sur le plan, la ville apparaît, entre le littoral et la voie ferrée, comme un croissant ou une « banane ». Le reste, au-delà, c’est autre chose : Les immeubles grimpent très vite aux collines, parmi les cyprès et les pins. L’agglomération a la forme d’un éventail. Quand on habite Le Cannet ou le quartier de La Californie, il faut dévaler les pentes pour aller en ville.


Ils ont dévalé les pentes, tous ceux qui sont là, sur la Croisette : Ceux qui marchent, ceux qui courent, ceux qui sont assis sur les chaises bleues que la municipalité met à leur disposition. Des enfants slaloment sur leur planche à roulette ou leur trottinette, des petits chiens, bien toilettés, peinent à suivre leur maîtresse. Les marchands de glaces sont là, les artistes peintres aussi, et les marchands de journaux dans leurs kiosques. Près du palais des festivals, le carrousel fait tourner ses chevaux de bois qui rutilent.


Comme la tempête a sévi ces jours-ci. Tout le monde, en ce jour férié est venu se rendre compte des dégâts : Les restaurants qui sont sur la plage, en contrebas, ont été bien touchés, verrières cassées , salles envahies par une épaisse couche de sable. Une ou deux pelleteuses remplissent d’énormes sacs jaunes qu’elles entassent. Des protections dérisoires ont été élevées à la hâte. Peu de commentaires finalement, et peu de contemplation. Au bout du compte, on peut se demander pourquoi on autorise l'installation de restaurants sur les plages ... Des gens déjeunent au milieu des décombres, d’autres jouent aux cartes en bas de l’escalier.


Sur la Croisette, les promeneurs défilent. Ils ont l’air de venir tous, ou à peu près tous, de l’ouest et de se diriger vers l’est, du palis des festivals vers le port Pierre Canto. La promenade est inondée de soleil et les visages irradient. Des marchands à la sauvette proposent des chapeaux de paille et des lunettes de soleil. Parvenus au port Pierre Canto, les promeneurs semblent disparaître. Où vont-ils ? – Peu d’entre eux poursuivent jusqu’au square de Verdun, où les chrysanthèmes et les jacinthes ont beaucoup souffert des embruns. Dans le square de Verdun sont élevés des monuments commémoratifs de la dernière guerre, ( Cannes n’en est pas avare ) …


Je remonte la file à contre courant jusqu’au palais des festivals. Peu de promeneurs dans ce sens là, est-ce parce qu’on a le soleil dans les yeux ? Je prends une rue perpendiculaire et je vais dans la rue d’Antibes : Ils sont tous là ! Une foule immense, descendant les trottoirs : Celui de droite comme celui de gauche. Cette fois-ci, c’est de l’est à l’ouest que s’écoule la foule, sur deux rangs, sur trois rangs, quatre ? – Beaucoup de boutiques sont ouvertes en ce jour férié : Chaussures, vêtements, galeries d’art, que sais-je encore ? - Peu de promeneurs entrent par les portes. Les gens déambulent, très silencieux, désoeuvrés, les yeux dans le vague. Comme la rue est en sens unique, les voitures glissent silencieusement, dans le même sens que les badauds : Une Lamborghini jaune citron conduite par un vieux, une Jaguar noire et luisante, un cabriolet décapoté dont je ne distingue pas la marque, mais dont les chromes étincellent … Des Mercédès, noires elles aussi, et puis quelques Peugeot décapotables qui, ma foi, ne déparent pas dans le paysage. De temps à autres, un promeneur plus pressé que les autres se faufile en zigzagant : Il est juché, celui là, sur une mécanique étrange, qui fait beaucoup de bruit ….


Est-ce parce que nous sommes le onze novembre ? Est-ce à cause de la cérémonie de ce matin ? – Le spectacle de ces foules dont les personnages vont tous dans le même sens, pressés les uns contre les autres ? Sur chaque trottoir, un fleuve coulant vers … vers où ? Non pas un fleuve emportant ces foules, mais les foules étant elles-mêmes ce fleuve, continu, incessant. Et personne, presque, pour remonter le courant !



Dante y verrait l’allégorie de la condition humaine : Les hommes, les femmes, les enfants, accompagnés de leurs petits chiens … Les hommes, les femmes, les enfants, et les chiens … soumis à leur destin … Des familles entières, des générations entières, marchant vers leur fin, allant s’engloutir vers on ne sait quoi. Ils s’arrêtent aux feux rouges, repartent aux feux verts, hésitent aux feux orange. Ils obéissent aux lignes blanches, aux pointillés qui traversent les carrefours, aux panneaux indicateurs …. Ils ne sont pas maîtres de leur direction, ni même de leur rythme …. Ils avancent, pratiquement tous à la même vitesse. Parvenus au bout de la rue d’Antibes, est-ce qu’ils tombent dans l’abîme ? Quelques uns parviennent-ils à continuer leur chemin, marchant sur les cendres de ceux qui les ont précédés ? Jusqu’à quand la procession ?


Je suis revenu à moi dans le bus qui me ramenait vers le Penh-Chaï, au Cannet, sur les hauteurs. Le bus ? – Une vingtaine de places assises, tous les autres passagers debout, s’accrochant où ils peuvent, à ce qu’ils peuvent … Balancés, ballottés, cognés, heurtés dans tous les sens. Comment, dans ces conditions, voulez-vous poursuivre une méditation ? – Mais c’est peut-être aussi bien comme cela : La méditation m’entraînait trop loin !

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