_
EN VOYAGE VERS L’INDE …
"Depuis notre départ du Cap, il ne nous
arriva que fort peu de choses ... À l'exception du mauvais temps. Les vents
étaient tout à fait fantasques : faibles mais changeants, puis soufflant tout à
coup en furieuses rafales.
_"Notre Commandant avait placé tant
d'espoirs dans ce si beau bateau que tout ce qui retardait notre avance
l'exaspérait. L'effet de l'alcool augmentait encore cette exaspération, tant et
si bien que, dès le passage du tropique du Capricorne, il avait tout à fait
perdu la raison.
_"Le quatre août il fut repris par le
délirium. On fut obligé de l'enfermer dans sa cabine. Il y poussait des
plaintes et des cris de désespoir. Il tenta de démolir la cloison pour
s'échapper ... On le transféra sous le gaillard d'avant, dans une pièce
spécialement aménagée. Il y resta sous la surveillance du docteur Deacon, celle
de Monsieur Spurs, du Maître d'équipage. Tous ceux qui pouvaient se rendre
utiles le surveillaient également.
_"Le Second assurait le commandement à
sa place, bien évidemment. Pour contrôler ses chronomètres, il fit mettre le
cap vers la terre ferme : Contrairement à toute attente, nous nous trouvions,
le neuf août, près de l'île Sainte-Marie, sur la côte est de Madagascar. Nous
la longeâmes jusqu'à quinze heures environ. Nous fûmes obligés de constater que
les deux chronomètres étaient faux : L'un affichait une erreur de quatre vingt
dix milles, l'autre une erreur de quarante milles. Ce matin-là nous perdîmes un
mât et un cacatois dans la bourrasque ...
_"Un peu plus tard, l'alizé du sud-est
étant bien installé, nous avions de faibles rafales, mais les pluies, elles,
étaient torrentielles. Le vent variait dans le secteur sud.
_"Nous avons filé huit à dix noeuds
pendant toute la nuit, qui nous avait pris dans les parages des onze degrés
trente de longitude est. Le début de la nuit fut très beau.
_"Le Capitaine Searight semblait aller
mieux. Le médecin et le second lui avaient passé ses vêtements et ils l'avaient
autorisé à quitter sa couchette pour s'asseoir sur une chaise, sur le pont. Ils
le surveillaient de près. Il n'avait pas dormi mais, tout de même, il semblait
aller mieux.
_"Le médecin crut pouvoir s'absenter un
moment. Il regagna sa cabine pour rédiger un rapport, laissant le Capitaine
sous la surveillance du Second, lequel veillait en faisant les cent pas ...
Profitant de l'occasion, le Capitaine se pencha vers sa couchette, qui était
proche, faisant mine de vouloir s'y allonger ... Tout à coup, il se tourne vers
la gauche et, avant que le Second ait pu faire quoi que ce soit, il fonce vers
un sabord qui était resté ouvert malencontreusement ... Il fonce avec toute la
vitesse dont est capable un dément ... L'alerte est aussitôt donnée et chacun
court pour essayer de le sauver ...
_"En ce qui me concerne, je cours
jusqu'à la dunette puis, revenant vers l'arrière, je cherche quelque chose à
lancer par-dessus bord. Je ne trouve rien, puisque tous les espars et toutes
les pièces de bois ont été solidement arrimés. Le bateau roule très fort.
Alors, je jette un coup d'oeil par-dessus le bord :
_"Jamais je ne pourrai oublier ce que
j'ai vu ! _ Le Capitaine était allongé sur le dos, sa tête et ses genoux
sortaient de l'eau. Il montrait une vigueur surnaturelle ... Son regard sauvage
de dément était terrible. Il fixait le bateau qui le dépassait. Il semblait
triomphant et ne paraissait pas du tout craindre de sombrer dans l'éternité ...
Le navire filait dix noeuds, toutes voiles dehors ... Immédiatement, les
drisses sont larguées, le bateau pivote, les voiles battant à tous les vents.
On met le canot à la mer ... Au même instant, une vague nous inonde ... Le
canot est submergé, retourné ... Miraculeusement son équipage est sauf, mais le
Capitaine Searight, lui, a disparu dans le chaos et la fureur des éléments.
_"On ne pouvait rien tenter de plus ...
Le bateau reprit le vent.
****************************************************
Allez à cette adresse pour lire d'autres aventures du XIX eme. siècle : http://marine-a-voiles-m-savatier.blogspot.fr/
Rien que des aventures authentiques à bord des grands voiliers sur la route des Indes : Assez exceptionnel !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire