OLÉRON NAGUÈRE
LES
ANNÉES PASSENT …
Passent les saisons, passent les années. Les hommes
changent et changent les choses.
Lorsque j’étais enfant, je passais mes vacances au
Douhet … Quand j’étais en France ! ). Ce serait peu dire que je
fréquentais la côte Est de l’île d’Oléron : Je peux dire sans mentir que,
de Saint Denis aux Saumonards, j’ai foulé tous les sables, fouiné sous toutes
les roches, pataugé dans toutes les « casses », fouillé dans tous les
« creux ».
J’ai
posé des « tramails en travers de toutes les « coursières et sur
toutes les « banches ».
De temps à autres, j’allais de l’autre côté, sur la
« Côte Sauvage »pour pêcher des « crabes de roche » que je
ne trouvais pas sur « Ma côte » où l’on ne ramassait que des
« bourses » ou des « bataillés ».
Vous connaissez les « bourses » …
Les
Parisiens les appellent des « dormeurs » et c’est vrai qu’ils ont le
mouvement aussi lent que celui d’un « unau » bien connu des amateurs
de mots croisés … Mais les « bataillés » connus des estivants sous le
nom
« d’étrilles », ou de
« crabes-sardines » en raison de leur dernière paire de pattes
palmées et de leur aptitude à nager… Les « bataillés »… Les
estivants les appellent les « crabes enragés », c’est tout
dire ! …
Les « crabes-enragés », en fait,
c’étaient plutôt les « crabes rouges »
Et les « crabes-verts » qui faisaient le
bonheur des enfants lorsqu’ils les prenaient dans leurs épuisettes, mais que
nous jugions « juste bons à faire la soupe » …
Sur « Ma »côte, que je ne fréquente plus
guère, à dire le vrai, on ramasse encore des « bataillés » … Je ne
sais si l’on en ramasse toujours autant que du temps de mon enfance … Sur la
« Côte Sauvage », par contre, il n’y a plus depuis plusieurs années
de « crabes de roche ». Y a-t-il encore des homards ? – Nous en
pêchions parfois lorsque nous allions « mouiller nos balances pour pêcher
des crevettes roses qui grouillaient au pied des « murs d’écluses » …
Je crains qu’il n’y ait plus guère de crevettes ni de homards.
Les connaisseurs venaient pêcher la sole à la
« foëne » tout au long d’une zone qui va de Saint Denis à Plaisance.
-
« À la
foëne », dites vous ?
-
« Oui, on
prononce « fouine » et c’est un harpon à trois, quatre ou cinq dents
… On se promène à marée basse et à marée montante et on pique dans le sable en
marchant : On faisait de belles pêches, souvent.
-
Souvent aussi on
prenait un « lapin de mer », c’est à dire une « torpille »
… Un poisson électrique, quoi … On
se faisait un plaisir d’encourager
-
Quelque naïf à y
porter la main …
Parfois on entendait un grand cri : « Au
bourgeois ! »
C’était plus sérieux : Quelque pêcheur à la
« foëne » avait marché sur un « bourgeois » … Un gros
poisson que l’on appelle aussi un « bourget » ou un « ange de
mer »… Ces bêtes-là prenaient un malin plaisir à rester à marée basse au
beau milieu d’une « casse » chauffée par le soleil, au centre d’un
banc de sable. C’est un poisson qui peut peser jusqu’à une trentaine de kilos
et dont la morphologie tient du requin … C’est d’ailleurs un squale, mais son
ventre est aplati et il arbore deux petites ailes comme celles des raies. Tout
un tas de récits parlent du « bourgeois » et certains en font un
monstre … Ce qu’il y a de certain, c’est que c’est un poisson impressionnant et
si le pêcheur crie très fort son « Au Bourgeois ! »,
c’est qu’en marchant dessus, on se ferait bien
casser une jambe d’un seul coup de queue !
À ma connaissance, il n’y a plus de
« Bourgeois » sur la côte de l’île d’Oléron …
Je suis triste un peu lorsque, maintenant, je me
promène sur « Ma » côte … À marée haute, on voyait souvent passer des
marsouins qui batifolaient de Fouras aux Saumonards … La dernière fois que j’en
ai vus, et c’était il y a fort longtemps … Ils étaient trois … Morts … Tout ce
qu’il y a de plus morts … Ils gisaient sur le sable, à marée montante, au pied
de l a balise du Douhet.
Je suis triste quand je vois cette côte …
« Ma » côte … On y capturait des hippocampes lors des grandes marées
de septembre … Il y a bien longtemps que je n’en ai plus entendu parler. Il
reste des « serpents de mer » … des syngnathes, en termes savants.
Ils sont de la même famille et on peut les faire sécher au soleil pour les
conserver à la maison …Tout comme les hippocampes …Pauvres bêtes !
On
allait, pendant les nuits sans lune traquer les mulets : Les
« meuils » qui étaient parfois « longs comme le bras »… On
les attirait à la lueur d’une lampe à acétylène et on les assommait avec un
« espiot’ », autrement dit avec un sabre de fer forgé … Le même que
celui qui nous servait à « virer » les roches pour déloger les « bataillés »
… Parfois, de la même façon ; on assommait une « loubine », que
les estivants nous appris à nommer des « bars » et qu’en
Méditerranée, on nomme des « loups », je ne sais pourquoi, mais cela
fait bien !
Il y avait des rougets, mais lorsqu’on en prenait
dans nos tramails, ils étaient à moitié dévorés par les crabes : C’est
fou : Les crabes leur déchiquetaient le ventre avant que la marée basse
nous eût permis de marayer le filet !
Y a-t-il encore des « cigales » ? …
Vous savez, ces crustacés qui avancent à reculons, comme des langoustes en
miniatures !
On ne voit plus sur le sable, à marée basse, les
seiches que l’on trouvait en quantités invraisemblables au moment des
« malines » de Pâques … Vous savez bien : Les
« malines » …Les grandes marées : Le coefficient était fort et
l’océan se retirait et montait beaucoup plus loin que d’habitude … Les seiches
avaient presque toutes la tête arrachée … Par les marsouins qui en faisaient
leur régal, disait-on …
Nous posions à marée basse des lignes dormantes,
boëtées avec des tronçons d’anguilles : Nous prenions ainsi des raies et
des « touilles » … Le « touille », encore appelé
« chien de mer » est un squale … Un squale inoffensif, mais j’en ai
pris qui faisaient bien trente kilos … Et je me souviens d’une nuit où j’ai dû
m’en coltiner deux sur le dos … Du fond de l’anse de Plaisance jusqu’à la
maison du Douhet … Ils pesaient lourd sur mes vertèbres !
Mes enfants ont encore pêché sur cette côte :
Je me souviens d’eux qui s’extasiaient en levant leur carrelet : C’était
tout un spectacle, que de voir sauter les « moines », autrement dit
les « éperlans » … Ils sautaient dans le fond du filet comme autant
d’escarbilles au-dessus d’un feu de joie !
Mes enfants ont aussi connu les heureux jours où
l’on pêchait autant d’anguilles que l’on en voulait … À la nasse … à la
« bourgne » … On « mouillait » des fagots de sarments dans
les « ruissons » des marais et, le lendemain, on les jetait dans
l’herbe …
Il n’y avait plus qu’à les ramasser … Oui, mais ça
glisse, ces bêtes-là ! …
Les Anguilles, il y en avait partout, et en
quantité invraisemblable ! Certains les pêchaient au « salé » …
Le salé, c’est encore une sorte de harpon, mais équipé d’un manche très long,
très lourd … On pique dans la vase et on prend les anguilles ente les pointes
du harpon … Ente les « bues » …
Bien entendu, on prenait aussi les anguilles au
carrelet …
Plus rarement en Oléron, mais tout de même … Il
arrivait que vous rencontriez un homme ou deux, penchés sous un vaste parapluie
bleu, immobiles : Ceux-là, ils pêchaient les anguilles « à la
vermée » ? Savez-vous pêcher à la vermée ? – Une longue canne en
bambou, du fil à pêche, un gros flotteur mi-blanc, mi-rouge … Dans l’eau on
sait qu’il y a une pelote de vers de terre, enfilés sur des brins de laine …
Pas d’hameçon … Le bouchon plonge, relevez la ligne d’un seul trait, sans
secousses … L’anguille régurgitera le ver avec le brin de laine
… Vous avez pris soin de faire
pendre le parapluie ouvert (on l’appelle une « mauve » en raison de
sa couleur), l’anguille tombe dedans : Il n’y a plus qu’à la
ramasser : Pas facile ! – Se munir d’une couteau !
On ne saurait parler d’Oléron sans
« causer » des « écluses » … Depuis les Sables Vignier
jusqu’à Chassiron, en passant par Domino, Chaucre, on peut voir ce qu’il reste
de ces pêcheries communautaires … Et après, en redescendant il y en avait
encore : Des murs de pierre élevés à la main, entourant des surfaces d’au
moins un hectare chacune …. Le principe est simple : La mer monte et le
poisson entre dans l’ « écluse » … Elle redescend et le poisson
est piégé.
Ah ! Les grandes marées de
« meuils » ou d’ "aiguilles" … (Que Monsieur Larousse ... Vous connaissez ...? - Ce monsieur là les appelle des orphies, soit !) Parfois, on était obligé
de retourner à la maison pour atteler le cheval et venir chercher la marée sur
l’estran ! – Mais, le plus souvent, on revenait avec, dans sa corbeille,
une ou deux « loubines » ou bien un ou deux « piésâs » …
Entendez une ou deux plies …
-
Pas grave, on a de
quoi manger ! »
Une fois, je m’en souviens …C’était un tout petit
coefficient, la mer n’avait pas beaucoup baissé J’étais juché sur le mur des
« Blanchardières », devant la passe des Boulassiers … Les écluses
avaient à peine « dérasé », c’est dire que seule la crête du mur
émergeait … Une « taire » énorme longeait les murs, cherchant
une issue. Elle devait bien peser vingt-cinq kilos ! Ces choses-là, ça
arrive ! C’était beau : Elle agitait ses ailes comme un grand oiseau
… Et puis … Et puis la mer est montée et j’ai
vu partir le grand oiseau !
Allez …C’est aujourd’hui jour de grande
« maline ». Le coefficient est très fort … Au-dessus de
« cent-vingt » … Ils sont tous là, regardez bien : À la passe de
Plaisance ou bien dans le recoin de l’ancienne poudrière, au port du Douhet …
On les voit à Saint-Denis, près de l’abri du canot de sauvetage …
À Chassiron, au bas de la falaise, aux huttes
Seullières … À Chaucre, à Domino, dans le creux de la dune …Et à Boyard, du
côté de La Perrotine, le dos au mur de la jetée pour parer le vent …
Ils
sont à Bellevue … Ils sont au
Château, au pied des remparts de la citadelle … À Saint-Trojan, à l’extrémité
de la petite plage … Ils sont à Gatseau … Les femmes portent la quichenotte qui
leur couvre la nuque et les joues … Elles portent aussi de larges pantalons
bouffants, tous bleus, d’un bleu délavé. Les hommes roulent une dernière
cigarette, la mouillent d’un coup de langue, puis soulèvent leur béret pour
mettre le paquet de tabac à l’abri en-dessous … Ils sont presque tous venus de
leurs villages à bicyclette ou bien, et surtout les femmes, juchées sur
l’incroyable tricycle que la coutume a nommé « crèv’sot’ », ce qui
dit bien ce que cela veut dire …
Ils sont là … Il est « deux heures avant
marée » La mer a bien baissé, on ne va pas tarder à rejoindre,
s’éparpillant en éventail, la laisse de basse mer et on la suivra dans son flux
et dans son reflux
…Voyez les : Les femmes ont un petit panier
d’osier à la main …Elles vont aux huîtres la plupart du temps, ou bien elles
vont aux « coutelets » ou aux « sourdons » … Les coutelets,
(Le cruciverbiste dont je parlais tout à l’heure appellerait ces coquillages
des solens) … Il faut une fourche et un solide coup de reins pour les extraire
du sable dans lequel ils se cachent … Gare aux coupures, ce n’est pas pour rien
qu’on les appelle des « coutelets » !... il paraîtrait qu’en
d’autres lieux on les ferait tout simplement sortir de leur trou en y versant
trois grains de gros sel ! … Les « sourdons », c’est ce que les
« baignassout’ » appellent des coques.
Ou bien les femmes vont aux palourdes … Ce n’est
pas ce qui manque … Mais, bien sûr, ne demandez pas où vont celles qui vont se
répandent sur l’estran, de la Perrotine à Saint-Trojan … Celles-là vont dans
les parcs à huîtres et ne manqueront pas de travail !
Les
hommes portent la « gourbeille » dans le dos, et , en bandoulière,
ils ont « l’espiot’ », la « foëne » Ceux qui ont, en plus
la « trioule » à la main, bien roulée, vont aux écluses … La
« trioule », c’est un petit filet … Un métre carré tout au plus,
plombé dans le bas et fixé des deux côtés à un bâton … On s’en sert pour piéger
le poisson dans les coursières de l’écluse. On écarte les manches, on pousse
devant soi et … Le tour est joué … On referme la « trioule » !
-« Tiens ! Voilà deux gars qui portent
un « boyard » … Un brancard … Ils marchent l’un derrière l’autre … On
entend claquer leurs bottes quand ils traversent une « casse » où il
reste de l’eau : Ils vont réparer les murs de l’écluse : Dame, les
tempêtes font des dégâts ! Le « boyard » sert à porter les
roches… Peut-être même qu’il servira à rapporter les corbeilles, si elles sont
trop lourdes !
Allons …
Jusqu’à ce que la marée remonte, on fouillera, on fouinera, on traquera
tout ce qui bouge … Et puis on remontera jusqu’à la dune. On parlera peu :
L’Oleronnais est un « taiseux ». On sait qu’on se retrouvera … À peu
près toujours les mêmes … Pour les fenaisons, pour les moissons, pour les
battages, pour les vendanges et, tout au moins en ce qui concerne les hommes,
pour l’ouverture de la chasse !
Entre temps, peut-être bien qu’on se retrouvera
encore pour « essentiner » un marais, du côté de la Saurine, derrière
Sauzelle : Le marais, une fois vidé avec une motopompe, on ramassera les
anguilles. Peut-être bien que l’on terminera en allumant le feu dans les
aiguilles de pin qui recouvrent une « églade » monstrueuse … Les
moules de bouchots artistiquement disposées sur une planche …
Quest-ce qu’un Oleronnais ?
demandiez-vous ?
–
Un Oleronnais(ou une
Oleronnaise … Est un « Gars », ou une femme qui est ce qu’on
voudra et comme partout ailleurs : Un cultivateur, un boulanger, un
marchand de tabac, un ostréiculteur, un peintre en bâtiment, une mère de
famille ou un garde-champêtre … Mais c’est toujours : Un
cultivateur-pêcheur à pied … Un boulanger-pêcheur à pied … Un buraliste, un
ostréiculteur, un peintre en bâtiment, une mère de famille ou un
garde-champêtre … Tous bassiers, ou à peu près tous ! – Vous savez bien ce
que c’est qu’un « bassier » - Pardi, c’est c’est un pêcheur à
pied : Il fréquente l’estran à marée basse !
–
Tous vivant au rythme
de la respiration de l’Océan et à l’heure des marées …De jour et de nuit !
L’annuaire des marées est affiché dans la cuisine,
à côté du calendrier des poste et … Que l’on ne nous parle pas de l’heure
« légale », ni de l’heure d’été et de l’heure d’hiver : Les
marées marchent au soleil et à la lune ! C’est l’annuaire des marées qui
règle le temps …. Et le cadran solaire qui se trouve sur le mur de l’église de
Saint-Georges, accompagné d’une inscription
Que voilà :
-
« Nous passons
ici-bas comme une ombre légère. Nous marchons à grands pas vers notre heure
dernière »
-
Et
c’est signé par l’Abbé Chaumeil, desservant de ce temps-là … Méditez, gens
d’Oléron, « Taiseux » ou « javassants » !
Savez-vous seul’ment s’collé qu’in’
« javasse » ? … O’lé in’ pie comme celle -là qui
« javasse » dans l’ grand « tremb’ » de mon jardin …
A l’
arrête pas d’ « javasser » !
On me pardonnera les fautes d’orthographe
dans la langue d’Oléron ; J’ai longtemps découché d’avec mon île … Je
demanderai à ma cousine Ricou, celle qui habite à la Berguerie, juste à côté de
Dolus … Elle saura bien , elle, comment il faut dire les choses et comment il
faut les écrire !
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