vendredi 21 novembre 2014

OLÉRON NAGUÈRE ...





OLÉRON NAGUÈRE









LES ANNÉES PASSENT …



Passent les saisons, passent les années. Les hommes changent et changent les choses.


Lorsque j’étais enfant, je passais mes vacances au Douhet … Quand j’étais en France ! ). Ce serait peu dire que je fréquentais la côte Est de l’île d’Oléron : Je peux dire sans mentir que, de Saint Denis aux Saumonards, j’ai foulé tous les sables, fouiné sous toutes les roches, pataugé dans toutes les « casses », fouillé dans tous les « creux ».

 J’ai posé des « tramails en travers de toutes les « coursières et sur toutes les « banches ».
De temps à autres, j’allais de l’autre côté, sur la « Côte Sauvage »pour pêcher des « crabes de roche » que je ne trouvais pas sur « Ma côte » où l’on ne ramassait que des « bourses » ou des « bataillés ».






Vous connaissez les « bourses » …
 Les Parisiens les appellent des « dormeurs » et c’est vrai qu’ils ont le mouvement aussi lent que celui d’un « unau » bien connu des amateurs de mots croisés … Mais les « bataillés » connus des estivants sous le nom
« d’étrilles », ou de « crabes-sardines » en raison de leur dernière paire de pattes palmées et de leur aptitude à nager… Les « bataillés »… Les estivants les appellent les « crabes enragés », c’est tout dire ! …
Les « crabes-enragés », en fait, c’étaient plutôt les « crabes rouges »
Et les « crabes-verts » qui faisaient le bonheur des enfants lorsqu’ils les prenaient dans leurs épuisettes, mais que nous jugions « juste bons à faire la soupe » …

Sur « Ma »côte, que je ne fréquente plus guère, à dire le vrai, on ramasse encore des « bataillés » … Je ne sais si l’on en ramasse toujours autant que du temps de mon enfance … Sur la « Côte Sauvage », par contre, il n’y a plus depuis plusieurs années de « crabes de roche ». Y a-t-il encore des homards ? – Nous en pêchions parfois lorsque nous allions « mouiller nos balances pour pêcher des crevettes roses qui grouillaient au pied des « murs d’écluses » … Je crains qu’il n’y ait plus guère de crevettes ni de homards.







Les connaisseurs venaient pêcher la sole à la « foëne » tout au long d’une zone qui va de Saint Denis à Plaisance.

-    «  À la foëne », dites vous ?
-    « Oui, on prononce « fouine » et c’est un harpon à trois, quatre ou cinq dents … On se promène à marée basse et à marée montante et on pique dans le sable en marchant : On faisait de belles pêches, souvent.







-    Souvent aussi on prenait un « lapin de mer », c’est à dire une « torpille » … Un poisson électrique, quoi …  On se faisait un plaisir d’encourager
-    Quelque naïf à y porter la main …

Parfois on entendait un grand cri : « Au bourgeois ! »

C’était plus sérieux : Quelque pêcheur à la « foëne » avait marché sur un « bourgeois » … Un gros poisson que l’on appelle aussi un « bourget » ou un « ange de mer »… Ces bêtes-là prenaient un malin plaisir à rester à marée basse au beau milieu d’une « casse » chauffée par le soleil, au centre d’un banc de sable. C’est un poisson qui peut peser jusqu’à une trentaine de kilos et dont la morphologie tient du requin … C’est d’ailleurs un squale, mais son ventre est aplati et il arbore deux petites ailes comme celles des raies. Tout un tas de récits parlent du « bourgeois » et certains en font un monstre … Ce qu’il y a de certain, c’est que c’est un poisson impressionnant et si le pêcheur crie très fort son « Au Bourgeois ! »,
c’est qu’en marchant dessus, on se ferait bien casser une jambe d’un seul coup de queue !

À ma connaissance, il n’y a plus de « Bourgeois » sur la côte de l’île d’Oléron …

Je suis triste un peu lorsque, maintenant, je me promène sur « Ma » côte … À marée haute, on voyait souvent passer des marsouins qui batifolaient de Fouras aux Saumonards … La dernière fois que j’en ai vus, et c’était il y a fort longtemps … Ils étaient trois … Morts … Tout ce qu’il y a de plus morts … Ils gisaient sur le sable, à marée montante, au pied de l a balise du Douhet.






Je suis triste quand je vois cette côte … « Ma » côte … On y capturait des hippocampes lors des grandes marées de septembre … Il y a bien longtemps que je n’en ai plus entendu parler. Il reste des « serpents de mer » … des syngnathes, en termes savants. Ils sont de la même famille et on peut les faire sécher au soleil pour les conserver à la maison …Tout comme les hippocampes …Pauvres bêtes !







 On allait, pendant les nuits sans lune traquer les mulets : Les « meuils » qui étaient parfois « longs comme le bras »… On les attirait à la lueur d’une lampe à acétylène et on les assommait avec un « espiot’ », autrement dit avec un sabre de fer forgé … Le même que celui qui nous servait à « virer » les roches pour déloger les « bataillés » … Parfois, de la même façon ; on assommait une « loubine », que les estivants nous appris à nommer des « bars » et qu’en Méditerranée, on nomme des « loups », je ne sais pourquoi, mais cela fait bien !

Il y avait des rougets, mais lorsqu’on en prenait dans nos tramails, ils étaient à moitié dévorés par les crabes : C’est fou : Les crabes leur déchiquetaient le ventre avant que la marée basse nous eût permis de marayer le filet !







Y a-t-il encore des « cigales » ? … Vous savez, ces crustacés qui avancent à reculons, comme des langoustes en miniatures !

On ne voit plus sur le sable, à marée basse, les seiches que l’on trouvait en quantités invraisemblables au moment des « malines » de Pâques … Vous savez bien : Les « malines » …Les grandes marées : Le coefficient était fort et l’océan se retirait et montait beaucoup plus loin que d’habitude … Les seiches avaient presque toutes la tête arrachée … Par les marsouins qui en faisaient leur régal, disait-on …

Nous posions à marée basse des lignes dormantes, boëtées avec des tronçons d’anguilles : Nous prenions ainsi des raies et des « touilles » … Le « touille », encore appelé « chien de mer » est un squale … Un squale inoffensif, mais j’en ai pris qui faisaient bien trente kilos … Et je me souviens d’une nuit où j’ai dû m’en coltiner deux sur le dos … Du fond de l’anse de Plaisance jusqu’à la maison du Douhet … Ils pesaient lourd sur mes vertèbres !







Mes enfants ont encore pêché sur cette côte : Je me souviens d’eux qui s’extasiaient en levant leur carrelet : C’était tout un spectacle, que de voir sauter les « moines », autrement dit les « éperlans » … Ils sautaient dans le fond du filet comme autant d’escarbilles au-dessus d’un feu de joie !

Mes enfants ont aussi connu les heureux jours où l’on pêchait autant d’anguilles que l’on en voulait … À la nasse … à la « bourgne » … On « mouillait » des fagots de sarments dans les « ruissons » des marais et, le lendemain, on les jetait dans l’herbe …
Il n’y avait plus qu’à les ramasser … Oui, mais ça glisse, ces bêtes-là ! …
Les Anguilles, il y en avait partout, et en quantité invraisemblable ! Certains les pêchaient au « salé » … Le salé, c’est encore une sorte de harpon, mais équipé d’un manche très long, très lourd … On pique dans la vase et on prend les anguilles ente les pointes du harpon … Ente les « bues » …

Bien entendu, on prenait aussi les anguilles au carrelet …

Plus rarement en Oléron, mais tout de même … Il arrivait que vous rencontriez un homme ou deux, penchés sous un vaste parapluie bleu, immobiles : Ceux-là, ils pêchaient les anguilles « à la vermée » ? Savez-vous pêcher à la vermée ? – Une longue canne en bambou, du fil à pêche, un gros flotteur mi-blanc, mi-rouge … Dans l’eau on sait qu’il y a une pelote de vers de terre, enfilés sur des brins de laine … Pas d’hameçon … Le bouchon plonge, relevez la ligne d’un seul trait, sans secousses … L’anguille régurgitera le ver avec le brin de laine

… Vous avez pris  soin de  faire pendre le parapluie ouvert (on l’appelle une « mauve » en raison de sa couleur), l’anguille tombe dedans : Il n’y a plus qu’à la ramasser : Pas facile ! – Se munir d’une couteau !

On ne saurait parler d’Oléron sans « causer » des « écluses » … Depuis les Sables Vignier jusqu’à Chassiron, en passant par Domino, Chaucre, on peut voir ce qu’il reste de ces pêcheries communautaires … Et après, en redescendant il y en avait encore : Des murs de pierre élevés à la main, entourant des surfaces d’au moins un hectare chacune …. Le principe est simple : La mer monte et le poisson entre dans l’ « écluse » … Elle redescend et le poisson est piégé.






Ah ! Les grandes marées de « meuils » ou d’ "aiguilles" … (Que Monsieur Larousse ... Vous connaissez ...? - Ce monsieur là les appelle des orphies, soit !) Parfois, on était obligé de retourner à la maison pour atteler le cheval et venir chercher la marée sur l’estran ! – Mais, le plus souvent, on revenait avec, dans sa corbeille, une ou deux « loubines » ou bien un ou deux « piésâs » … Entendez une ou deux plies …

-    Pas grave, on a de quoi manger ! »

Une fois, je m’en souviens …C’était un tout petit coefficient, la mer n’avait pas beaucoup baissé J’étais juché sur le mur des « Blanchardières », devant la passe des Boulassiers … Les écluses avaient à peine « dérasé », c’est dire que seule la crête du mur émergeait … Une  « taire » énorme longeait les murs, cherchant une issue. Elle devait bien peser vingt-cinq kilos ! Ces choses-là, ça arrive ! C’était beau : Elle agitait ses ailes comme un grand oiseau … Et puis … Et puis la mer est montée et j’ai
vu partir le grand oiseau !


Allez …C’est aujourd’hui jour de grande « maline ». Le coefficient est très fort … Au-dessus de « cent-vingt » … Ils sont tous là, regardez bien : À la passe de Plaisance ou bien dans le recoin de l’ancienne poudrière, au port du Douhet … On les voit à Saint-Denis, près de l’abri du canot de sauvetage …
À Chassiron, au bas de la falaise, aux huttes Seullières … À Chaucre, à Domino, dans le creux de la dune …Et à Boyard, du côté de La Perrotine, le dos au mur de la jetée pour parer le vent …

 Ils sont  à Bellevue … Ils sont au Château, au pied des remparts de la citadelle … À Saint-Trojan, à l’extrémité de la petite plage … Ils sont à Gatseau … Les femmes portent la quichenotte qui leur couvre la nuque et les joues … Elles portent aussi de larges pantalons bouffants, tous bleus, d’un bleu délavé. Les hommes roulent une dernière cigarette, la mouillent d’un coup de langue, puis soulèvent leur béret pour mettre le paquet de tabac à l’abri en-dessous … Ils sont presque tous venus de leurs villages à bicyclette ou bien, et surtout les femmes, juchées sur l’incroyable tricycle que la coutume a nommé « crèv’sot’ », ce qui dit bien ce que cela veut dire …

Ils sont là … Il est « deux heures  avant marée » La mer a bien baissé, on ne va pas tarder à rejoindre, s’éparpillant en éventail, la laisse de basse mer et on la suivra dans son flux et dans son reflux

…Voyez les : Les femmes ont un petit panier d’osier à la main …Elles vont aux huîtres la plupart du temps, ou bien elles vont aux « coutelets » ou aux « sourdons » … Les coutelets, (Le cruciverbiste dont je parlais tout à l’heure appellerait ces coquillages des solens) … Il faut une fourche et un solide coup de reins pour les extraire du sable dans lequel ils se cachent … Gare aux coupures, ce n’est pas pour rien qu’on les appelle des « coutelets » !... il paraîtrait qu’en d’autres lieux on les ferait tout simplement sortir de leur trou en y versant trois grains de gros sel ! … Les « sourdons », c’est ce que les « baignassout’ » appellent des coques.


Ou bien les femmes vont aux palourdes … Ce n’est pas ce qui manque … Mais, bien sûr, ne demandez pas où vont celles qui vont se répandent sur l’estran, de la Perrotine à Saint-Trojan … Celles-là vont dans les parcs à huîtres et ne manqueront pas de travail !


 Les hommes portent la « gourbeille » dans le dos, et , en bandoulière, ils ont « l’espiot’ », la « foëne » Ceux qui ont, en plus la « trioule » à la main, bien roulée, vont aux écluses … La « trioule », c’est un petit filet … Un métre carré tout au plus, plombé dans le bas et fixé des deux côtés à un bâton … On s’en sert pour piéger le poisson dans les coursières de l’écluse. On écarte les manches, on pousse devant soi et … Le tour est joué … On referme la « trioule » !

-«  Tiens ! Voilà deux gars qui portent un « boyard » … Un brancard … Ils marchent l’un derrière l’autre … On entend claquer leurs bottes quand ils traversent une « casse » où il reste de l’eau : Ils vont réparer les murs de l’écluse : Dame, les tempêtes font des dégâts ! Le « boyard » sert à porter les roches… Peut-être même qu’il servira à rapporter les corbeilles, si elles sont trop lourdes !

Allons …  Jusqu’à ce que la marée remonte, on fouillera, on fouinera, on traquera tout ce qui bouge … Et puis on remontera jusqu’à la dune. On parlera peu : L’Oleronnais est un « taiseux ». On sait qu’on se retrouvera … À peu près toujours les mêmes … Pour les fenaisons, pour les moissons, pour les battages, pour les vendanges et, tout au moins en ce qui concerne les hommes, pour l’ouverture de la chasse !

Entre temps, peut-être bien qu’on se retrouvera encore pour « essentiner » un marais, du côté de la Saurine, derrière Sauzelle : Le marais, une fois vidé avec une motopompe, on ramassera les anguilles. Peut-être bien que l’on terminera en allumant le feu dans les aiguilles de pin qui recouvrent une « églade » monstrueuse … Les moules de bouchots artistiquement disposées sur une planche …








Quest-ce qu’un Oleronnais ? demandiez-vous ?

  Un Oleronnais(ou une Oleronnaise … Est un « Gars », ou une  femme qui est ce qu’on voudra et comme partout ailleurs : Un cultivateur, un boulanger, un marchand de tabac, un ostréiculteur, un peintre en bâtiment, une mère de famille ou un garde-champêtre … Mais c’est toujours : Un cultivateur-pêcheur à pied … Un boulanger-pêcheur à pied … Un buraliste, un ostréiculteur, un peintre en bâtiment, une mère de famille ou un garde-champêtre … Tous bassiers, ou à peu près tous ! – Vous savez bien ce que c’est qu’un « bassier » - Pardi, c’est c’est un pêcheur à pied : Il fréquente l’estran à marée basse !
  Tous vivant au rythme de la respiration de l’Océan et à l’heure des marées …De jour et de nuit !


L’annuaire des marées est affiché dans la cuisine, à côté du calendrier des poste et … Que l’on ne nous parle pas de l’heure « légale », ni de l’heure d’été et de l’heure d’hiver : Les marées marchent au soleil et à la lune ! C’est l’annuaire des marées qui règle le temps …. Et le cadran solaire qui se trouve sur le mur de l’église de Saint-Georges, accompagné d’une inscription
Que voilà :

-    « Nous passons ici-bas comme une ombre légère. Nous marchons à grands pas vers notre heure dernière »
-                 Et c’est signé par l’Abbé Chaumeil, desservant de ce temps-là … Méditez, gens d’Oléron,  « Taiseux » ou « javassants » !



           Savez-vous seul’ment s’collé  qu’in’  « javasse » ? … O’lé in’ pie comme celle -là qui « javasse » dans l’ grand « tremb’ » de mon jardin … 
A l’ arrête pas d’ « javasser » !


On me pardonnera les fautes d’orthographe dans la langue d’Oléron ; J’ai longtemps découché d’avec mon île … Je demanderai à ma cousine Ricou, celle qui habite à la Berguerie, juste à côté de Dolus … Elle saura bien , elle, comment il faut dire les choses et comment il faut les écrire !

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