VANUATU - ERROMANGO
- ” J’y arriverai. Il faut que j’y arrive : L'avion se pose à onze heures !”
Wilkins, puisque c’est ainsi qu’il s’appelle, a ressenti dès hier les attaques de la fièvre. La nuit a été pénible : maux de tête effroyables, diarrhées ...
- ” Une crise d’amibiase encore. Il y avait longtemps ! Je pensais que c’était fini !”
Wilkins, tout en marchant, revoit les rizières de son enfance, les buffles noirs baignant dans les mares aux eaux rouges. Il entend beugler les crapauds. Il songe aux plantations d’hévéas. Il sent monter à ses narines l’odeur âcre du latex. Le latex ! Wilkins est pris de nausée. La colonne s’arrête. Il vomit, se plie en deux, les mains sur le ventre. Il a failli crier de douleur ...
L’avion se pose à onze heures. Il en est dix. Encore une heure de marche, si tout va bien. On a quitté le bivouac au lever du jour, vers les cinq heures.
- ” En route ! Je sais ce que c’est. Deux jours de soins à l’hôpital de Port-Vila, et ce sera terminé. Le Docteur a fait l’Indochine, il connaît bien le traitement des amibiases ...”
Mais les Mélanésiens sont obligés de ralentir leur marche. On voit bien qu’ils sont inquiets, même si aucun d’entre eux ne tourne la tête.
- ”Va, Kaltapan, vas-y ! Ne t’inquiète pas, ça ira !”
Kaltapan est l’homme qui tient la tête de la colonne, l’un des deux qui ont les cheveux décolorés. La fierté de son port et de sa démarche marque son rang. C’est lui le chef du petit groupe de Mélanésiens. Une plume est plantée dans sa tignasse; Il ne tourne même pas la tête. Il ne répond pas. C’est tout juste s’il a montré qu’il a bien compris, par un mouvement qui relève puis rabaisse ses sourcils. Mais il raccourcit le pas.
Wilkins, en effet, s’est à nouveau plié en deux sous la douleur. Il ôte son chapeau, sort un large mouchoir, essuie son front couvert de sueur : La fièvre ! Il s’appuie à un tronc pendant un moment. Même moiteur, même touffeur qu’aux rives du Mékong à l’approche de la mousson. Images de femmes en pantalons noirs, légèrement pliées sous le poids d’un fléau de bambou auquel pendent des marmites de soupe et de riz ... Poissons-chats, silures de plusieurs centaines de kilos, cochons planches, noirs, efflanqués (et c’est de cela qu’ils tirent leur nom ) ...
Kaltapan est parti, de ce pas couru des chasseurs quand ils vont en forêt traquer le pigeon « notou », avec leur arc dans le dos. Aucun doute : Il arrivera à temps. Burton, le pilote, attendra.
Les Mélanésiens forment une petite équipe qui accompagne Wilkins depuis un mois déjà. Il s’agit de prospecter la forêt d’Erromango. Il y a ici des arbres qui sont bons pour l’industrie des bois déroulés. Des kaoris, hauts et droits. Y en a-t-il suffisamment pour tenter l’exploitation ? Terminer le dénombrement n’est plus qu’une question de temps. Tout en marchant, Wilkins pense à sa revanche sur la vie.
- ” Remonter une affaire, une bonne affaire, en exploitant les arbres ... Après avoir été chassé des plantations d’hévéas en Indochine !”
- ”L’affaire est rentable, j’en suis certain !”
Il en a parlé depuis longtemps avec des entrepreneurs français dont les usines se trouvent dans le Poitou et les Charentes. On peut rêver ... Mais ce n’est plus tout à fait un rêve. Les rugissements des tronçonneuses, les arbres qui tombent. Les troncs que l’on écorce et que l’on marque. Les tracteurs qui les tirent jusqu’à la mer. Les quais que l’on construit. Les grues et les palans. Les navires au mouillage, que l’on charge, qui partent tandis que d’autres arrivent. Les Mélanésiens au travail, et les maisons en dur succédant à leurs cases de roseaux ! Du profit à faire pour tout le monde, et des progrès à apporter.
La pente est rude, à laquelle grimpe le sentier. Il s’est remis à pleuvoir. On courbe le dos à nouveau. Bientôt le bruit de l’averse est assourdissant. Suivre ... Suivre l’homme qui marche devant. Regarder où l’on pose le pied. On ne saurait regarder plus loin devant, et la pluie se mêle à la sueur, emplit les yeux. Les vêtements se plaquent à la peau ... On ne saurait se protéger de ces pluies-là ! Allez donc vous protéger d’un déluge ! Il n’est pas de
parapluie sous la cataracte ! Il n’est pas d’imperméable non plus, que l’on ne supporterait pas à cause de la chaleur.
Il faut boire, boire, boire ! Wilkins boit, sans arrêter son avance, au bec de sa gourde, par petites gorgées. Son pied, lui, bute souvent.
D’ailleurs on arrive. On y est presque ... On est sur le plateau. Quatre bœufs sauvages traversent le chemin et disparaissent sous la pluie, dans la pluie. Ils sont les témoins d’un ancien élevage maintenant abandonné. On est sur le plateau. On devrait voir la mer, et l’île voisine : Tanna, sur laquelle fume un volcan. En fait on ne voit rien ... La pluie, toujours, et drue ! C’est à peine si l’on se rend compte que la forêt fait place à une savane et à une cocoteraie.
Wilkins sait qu’entre les cocotiers s’allonge la saignée où prend place la piste, si étroite qu’elle donne à peine la place pour les ailes de l’avion. Le Dornier se posera ... Il faut qu’il se pose ! Parfois, lorsque la piste est trop détrempée, l’avion ne se pose pas. Il file vers Tanna. Aujourd'hui, il faut qu’il se pose ! À la Grande Plantation, vers Saïgon, la piste était gazonnée, aussi. Lorsque crevait la mousson, en juillet, il arrivait que l’avion ne puisse pas se poser ... Le petit avion de liaison ... À cause des buffles errants qui obstruaient la piste. Les buffles ! Et les mares qu’ils creusent en se roulant dans la boue ! Ah ! Le chant des crapauds, ce chant lancinant ! - ” C’est le chant des crapauds, ou bien ce sont mes oreilles qui bourdonnent de fièvre? Il n’y a pas de crapauds dans ces îles! Pas non plus de grenouilles ! - Mais tout autour de la Grande Plantation ! ... Paniers grouillants de grenouilles sur les étals des marchés de villages ... À côté des étals d’orchidées, des tables chargées de ramboutans, de pommes cannelles, de sapotilles, corossols, durions, jacques et pamplemousses ... Parfois, un marchand offrait un petit singe tenu en laisse, ou bien un ourson tout pataud ... Mais c’était ailleurs ! Ici, il n’y a pas d’oursons. Il n’y a pas de singes, ni petits ni grands ... Ah ! Les gibbons, leur fourrure blonde, leurs bras trop longs ... Pas de singes, pas de singes, pas de singes ! “ La pluie s’arrête à nouveau, brusquement.
- ” Hi ... Yah ... Ô ...Ô ... Houhouaah !”
Ce cri ? - presque un yodlé ! Comme un cri de Muezzin ! En plus joyeux.
- ” Ne t’inquiète pas. c’est Kaltapan qui signale qu’il est arrivé.”
- ”Kaltapan ? Ah oui, Kaltapan ! Arrivé ... Soufflons un peu.”
La nuée se déchire. Dans le ciel, vers le Sud, le volcan vomit une longue écharpe de cendres. Cela fait plus de quinze jours qu’il vomit ainsi. Les vents portent au loin l’énorme fumée. La forêt, que l’on domine en vérité sans la voir tant elle est recouverte de lianes à larges feuilles, l’océan par-delà, aussi terne, aussi plombé que le ciel ...
- ” Le muezzin, le muezzin, les minarets, les mosquées" ...
L’Algérie, après le Vietnam. Est-ce le délire ? Wilkins se reprend vite. Il recommence à marcher tout en s’appuyant sur l’épaule de Georges, l’homme qui le précède. Un kilomètre encore, peut-être deux ?
Le vrombissement de l’avion ! Le voilà ! Le Dornier se faufile entre deux nuages. Il amorce un virage sur l’aile. Il disparaît en arrondissant son vol pour prendre la piste. Non seulement elle est étroite et mouillée, mais elle est courte, très courte, la piste ! Elle s’arrête juste au ras de la falaise.
-” Kaltapan est là-bas. L’avion attendra.”
C’est d’autant plus certain que l’appareil n’est pas réapparu. Les moteurs sont arrêtés, muets. Il s’est posé. Il attend. La marche devient difficile. l’herbe est haute aux abords de la piste. On dirait de l’herbe à éléphants, comme en Indochine, aussi coupante, en tout cas !
Voici l’avion. C’est un bimoteur à atterrissage court. Sa queue, son empennage qui luisent à la lumière … Justement ! Son empennage qui luit à la lumière ! Qu’est-ce qu’il a, cet empennage ? - Eh bien, il est de travers !
- ”Ce n’est pas vrai !” - Si, c’est vrai !
Kalatapan le confirme, qui a rejoint son équipe : L’avion a pris la piste trop court : avion neuf, nouveau pilote ... Il a cassé du bois ! Le train est de guingois, l’aile gauche a raclé le sol, une hélice est brisée. Wilkins n’en peut plus de douleur. Il s’étend à terre, de tout son long, les deux mains à plat sur le bas-ventre.
VOUS VOULEZ CONNAÎTRE LA SUITE DE CETTE HISTOIRE AUTHENTIQUE ?
- ALLEZ DANS http://des--petits--cailloux.blogspot.fr/p/des-petits-cailloux-chapitre-i.html
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