mercredi 12 novembre 2014

LA MARIE-JEANNE



L'ODYSSÉE DE LA MARIE-JEANNE

































C'est l'histoire d'un bateau de bois de takamaka. Il a été construit sur une plage de l'île de Mahé, la plus grande de l'archipel des Seychelles, tout au milieu de l'Océan Indien...

L'archipel des Seychelles : Une pincée de roches de granit que l'on a nommées Mahé, Praslin, La Digue, Silhouette ... Et quelques autres cailloux, dont l'île Longue, l'île Ronde, l'île Cachée et l'île Anonyme. _ Ah ! L'île Anonyme ! - On dit que sur l'une d'entre elles est caché le trésor du pirate La Buse ... Mais c'est une autre histoire ... Je vous la conterai un jour aussi, pour autant que vous me le demandiez ... 


_ II _ 



C'est en en mille neuf cent cinquante-trois ... Mon histoire n'est pas ancienne ... Chacun de nous aurait pu se trouver là, sans aucun doute, à bord de la "Marie-Jeanne" ... Bateau de bois de trente-cinq pieds, construit en bois de takamaka par les excellents charpentiers de Mahé ... 

En plein milieu du jour ... Et je ne sais plus quel était le jour de la semaine ... On était parti un dimanche ... Mais allez donc savoir quel jour on était maintenant! ... Le soleil brillait comme il peut briller dans ces parages proches de l'équateur. La mer est lisse, aveuglante comme un miroir ardent ... Dans la cabine, il fait encore plus chaud que dehors ... Dehors où le soleil grille les membres, brûle les yeux ... 

Demain vous rencontrerez peut-être l'un des Seychellois qui ont attendu en priant, ou cherché sur la mer. Il pourra vous confirmer que ma terrible histoire est bien réelle : C'est l'histoire de la Marie -Jeanne ... Tout le monde la connaît ... 



_ III _ 



Le soleil brille comme il peut briller dans ces parages. Nous sommes au milieu du jour. Les membres grillent et les yeux sont brûlés. Dans la cabine, à l'intérieur, il fait encore plus chaud que dehors. Dix passagers sont à bord, hommes et femmes. Le silence est des plus complets, lourd, profond, angoissant ... Un silence que rien ne vient interrompre, si ce n'est une voix de temps à autre ... Mais on parle peu ... De moins en moins souvent ... Depuis combien d'heures, combien de jours ... Depuis combien de temps le moteur de la "Marie-Jeanne" s'est-il tu ? 

De temps à autre on entend cogner quelque chose sur les planches du pont ... Mais on bouge de moins en moins, et le silence est le maître, de plus en plus : Est-ce ainsi que l'on entre dans l'éternité ? ... Pas une vague, pas un clapot contre la coque ... Pas un mouvement de roulis ... Pas de mouvement du tout ... Et rien sur l'océan ... Rien que des milliers de miroirs qui scintillent et vous brûlent les yeux. 



_ IV_ 



Ils sont dix, embarqués sur la "Marie-Jeanne", dix en comptant les hommes et les femmes. Depuis combien de nuits ? - Dix ... onze ... douze ? ... Dix, prétend Monsieur Corgat, propriétaire du bateau ... douze affirment Madame Ange Finesse et le jeune Selby, fils de Monsieur Corgat. Dix, onze, douze nuits ... Qu'importe ... Le bateau est dans la main de Dieu : Il dérive lentement dans la direction du sud-est ... Dans la main de Dieu, ou dans celle de l'Autre, celui que l'on ne doit pas nommer ? 



_ V _ 



Ô, ces nuits ! _ Contrairement à ce que l'on croit, les étoiles ne sont pas toutes semblables : Il y en a de bleues, il y en a de blanches, des jaunes, des vertes ... Certaines palpitent, d'autres sont fixes ... Parfois, une comète raie la voie lactée : Sa queue s'enflamme, s'irise, brille, versicolore, puis s'éteint tout à coup. Ô ! ... Ces nuits ! On a vu décroître la lune, jusqu'à disparaître tout à fait : C'est affolant, une nuit sans lune, lorsqu'on dérive sur l'océan... 

On avait espéré voir l'île Frégate : Elle se trouve sur l'itinéraire supposé du bateau ... On a dû la doubler par une nuit sans lune ... On l'aura doublée sans la voir ... 


























_ VI _ 



Frégate, on l'aura doublée par une nuit sans lune ... On guettait pourtant ... Ô ! Si on guettait ! _ Dix, onze, douze fois, on a vu se lever l'astre du jour. Presque aussitôt apparu, il chauffait ... chauffait ... Comment s'en abriter ? Sur l'océan toujours plat s'étendaient en longs cingles blancs les marques des courants. Dès le matin, bien qu'il n'y eût pas de vent, la surface de l'eau se couvrait d'écailles ... Des millions d'écailles de miroirs brisés ... Comment protéger ses yeux de cette lumière, qui vous vrille le crâne et jusqu'à l'âme ? - 


Ô ! - Ces journées de braise pendant lesquelles le ciel chauffe à blanc et la mer s'émiette en morceaux de cuivre fondu ! 



_ VII _ 



Douces journées passées sur la plage de Beauvallon, à l'ombre des grands filaos, tandis que les hommes tirent les filets et que les gamins courent après les poissons qui fuient : Éclats de rires, ... Et la paix, le dos calé confortablement contre un énorme bloc de granit tombé des sommets ... Palmes qui se balancent, eau des noix de coco, conversations anodines : Ô ! - Les douces journées sur le sable blanc ! ... 

On ira tout à l'heure, au moment du jusant, ramasser les tec-tec, coquillages qui sautent quand l'eau se retire ! ... Dans le ressac brilleront des ribambelles de petits poissons qui, si on émiette du pain, viendront vous manger dans la main... ! Qui rêve ainsi ? ... Divagation ? Est-ce la soif, la faim, l'inquiétude, l'angoisse, ou bien l'effet du soleil ? 



_ VIII _ 



Au petit matin, pendant quelques minutes seulement, le soleil vous laisse un peu de répit : _ Quelques minutes, pas plus ... Le ciel a blanchi, mais le soleil n'a pas encore jailli de l'horizon qui devient violet, puis bleu foncé ... Cela ne dure pas : Sous ces latitudes, le soleil bondit. 

_ " Là, je vous dis ... Là, Là ! " 

C'est Auguste Lavigne qui a crié le premier. Son cousin, Joachim Servina a repris ce cri tout de suite : 

_ " Là, là ... Une île ... Une île ! " 

C'est vrai qu'il y a une île : On la distingue très bien sur l'horizon, du côté où se lève le soleil : Elle est éloignée, mais on s'en approche doucement ... 



_ IX _ 



Prêtez l'oreille, amis ... Prêtez l'oreille si vous désirez que le conteur poursuive : Le moment est crucial dans cette aventure : L'aventure de dix personnes réunies par hasard sur un bateau de bois de takamaka, un bateau de trente-cinq pieds de long, appartenant à Monsieur Corgat, de Victoria, et commandé par Louis Laurence, véritable loup de mer, habitué à toutes les surprises de l'océan ... 

Mais le moteur du bateau est en panne et, depuis dix à douze jours ... Dix jours, disait Monsieur Corgat ... Douze affirmait son fils Selby ... Chiffre que confirmait Madame Finesse... 

Pauvre Madame Finesse qui ne cessait de gémir, couchée, immobile sur le pont du bateau ... C'est vraiment une terrible histoire comme en savent les marins et les femmes des marins. 





POUR AVOIR ACCÈS À L'HISTOIRE DANS SON ENTIER, 

ENTREZ DANS :  http://des--petits--cailloux.blogspot.fr/p/des-petits-cailloux-chapitre-ii.html

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