LES POLDERS DE MAHE
Cette drague s'appelle Léonardo da Vinci
J'aime bien les casuarinas. Ce sont des arbres qui ressemblent à
des pins graciles aux aiguilles très fines. Ailleurs, on les nomme filaos. Je
me souviens qu'en Polynésie, nous faisions, d'une branche de filao, un arbre de
Noël pour les enfants.
A Mahé, juste au pied de Victoria, la route toute nouvelle
traverse une jeune forêt dont on a élagué les branches basses. Le sous-bois est
baigné d'une splendide lumière tamisée. Un sportif en culottes courtes y trotte
souvent.
De là, on aperçoit les eaux de la lagune : De gros rochers de
granit, aux dos arrondis comme ceux des éléphants s'y baignent. De l'autre
côté, l'océan est d'un bleu puissant. Des ilôts s'y drapent de verdure.
Toute l'île n'est que montagne où les routes sont étroites et
sinueuses ... Sauf ici ... Nous sommes sur des remblais récents et la voie est
droite, large.
On plante des casuarinas sur les remblais car, paraît-il, ils assèchent
et fertilisent les sols. En tout cas, dans ce corail encore salé, allez donc
planter autre chose que des casurinas !
La route ne mène nulle part : Elle s'achève à un rond-point ...
Elle mènera quelque part un jour ... Au-delà, on aperçoit un bizarre objet
flottant non identifiable : Structures verticales emmêlées, appendices,
cheminées, mâts, vérins, palans, tuyaux ... Faut-il appeler cela un bateau?
_ C'est une drague, l'une des plus puissantes du monde ... Elle
ose s'appeler " Marco Polo ". Son commandant est un géant hollandais
rubicond. D' un bord elle creuse le récif avec on ne sait quels énormes
trépans, de l'autre, elle rejette par de longs tuyaux une sorte de boue liquide
et blanchâtre qui deviendra le sol des futurs remblais ... Ailleurs, on
parlerait de polders
... Deux cents hectares, ou peu s'en faut, ont déjà été gagnés
sur le lagon. C'est la seconde opération du genre : La première avait déjà
permis de gagner l'espace occupé par les casuarinas dont je parlais tout à
l'heure. L' opération actuelle doit permettre de prolonger la route jusqu'à
l'aéroport.
_ Est-ce un bien ? _ Est-ce un mal ? _ Dans les îles de
Polynésie, les pelleteuses creusent le corail allègrement, à pleins godets,
pour fournir un matériau vulgairement appelé " soupe de corail ",
dont on se sert pour empierrer les routes. La vie, au fur et à mesure de
l'avancée des engins, disparaît des lagons, étouffée par les nuages de poudre
coralienne suspendus entre deux eaux.
_ " Il faudra plus de vingt ans pour que le corail repousse
et que la vie revienne ! "
_ Les Seychellois, eux, sont plus attentifs à leur
environnement. Les premiers draguages ont fait des dégâts ... Cette fois- ci,
on a pris la précaution d'étirer des lignes de flotteurs, portant suspendus des
jupes et des filets pendant à la verticale et qui servent de filtres. A
l'intérieur du périmètre délimité par les lignes, l'eau apparaît blanche,
crémeuse. A l'extérieur, elle reste bleue... Le restera-t-elle longtemps encore
?
Pensant à la Polynésie, je me souviens de l'éclat de rire d'un
vieux Tahitien, aux îles-sous-le-vent :
_ " Vous verrez : Un jour, ils mettront la montagne dans le
lagon ... Comme ça, on aura un sol tout plat ! "
Sur les terrains plats de Mahé, les Seychellois ont prévu de
construire des stades et une piscine, pour les Jeux de l'Océan - Indien ... Sur
les remblais plus anciens, une école a déjà été construite et des chantiers
s'activent.
_ De la terre qui émerge ... C'est beau ... Non?
_ " Mais, les palourdes, Monsieur ? ... Dans les environs de l'aéroport, elles ont complètement disparu, sous trois mètres de corail mort. Elles vont disparaître aussi à Montfleury, où " Marco Polo " a planté ses vérins, plongé ses trépans, étiré ses tuyaux ! ...
_ " Les palourdes, Monsieur, reviendront- elles ? "
_ " Question judicieuse, bien sûr ! Mais on a planté des
casuarinas ! "
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