mercredi 29 juillet 2015

LE VOYAGE DU PORTUGAIS ANACLETO GOMEZ










RELATION DU VOYAGE DU SIEUR ANACLETO GOMEZ,


NATIF DE PORTO, AU PORTUGAL ...

           (On a conservé à ce récit l'orthographe et la forme qu'il a dans le document conservé aux archives des Seychelles.)











Le sieur Anacleto Gomez était propriétaire d'un tonnie, sur lequel il s'embarqua à Trinquebar pour se rendre à Trinquemalay, avec une quantité de passagers qui, comme lui, après avoir été réduits aux plus cruelles extrémités de la faim et de la soif pendant une traversée de près de cinquante jours sont venus se perdre sur l'Ile-du-Nord, à six lieues de l'île Seychelles. ( L'île de Mahé était alors désignée sous le nom d'île Seychelles. )


 (Ce qui ne devait être qu'un court voyage des côtes de l'Inde à celles de Srilanka se transforme en un voyage de cauchemar ...)



Le sieur Gomez partit de Trinquebar le vingt Novembre mille sept cent quatre vingt huit pour Négapatnam où il arriva le soir du même jour. Il repartit de Négapatnam pour Trinquemalay à huit heures du matin, le vingt deux du même mois et fit route tout le jour avec bon train jusque vers les huit heures du soir : Le vent, qui avait soufflé du Nord au Nord-Ouest étant devenu trop violent, la mer embarquant de tous les bords et la pluye tombant à verse, le tandel fit mettre bas la voile, qui fut déchirée par morceaux en l'amenant.
Le lendemain à la pointe du jour il fit le Sud-Ouest pour tâcher d'accoster la terre, qu'on avait perdue de vue, et vers les huit heures du matin, il se trouva devant Trinquemalay, à environ six lieues, mais étant sans voile et ayant fait tout ce chemin par la force des courants et du vent, d'autres courants l'ont dépareillé de terre si violemment qu'à dix heures du matin, personne n'en avait plus connaissance.












N'ayant point encore perdu tout espoir, bien qu'à la dérive, tout le monde s'occupa à raccommoder cette voile pour tâcher d'approcher la terre, après quoi on a continué avec cette mauvaise voile ...
( mot illisible ) à faire le Sud-Ouest toute la nuit jusqu'au jour ( mot illisible ) passés au Sud-Ouest les ont forcés à virer de bord et à gouverner au Nord_Ouest. Ils ont tenu cette route jusqu'au lendemain à quatre heures du matin, vingt neuf du mois, qu'ils ont touché sur deux pièces de bois, l'une après l'autre, qui étaient entre deux eaux, ce qui leur a fait croire qu'ils étaient sur les basses de Ceylan, en conséquence de quoi ils ont amené la voile pour sonder, ce qu'on a fait, sans trouver de fond, la voile, en l'amenant, s'étant derechef mise en pièces et étant hors d'état d'être raccommodée ; ils ont resté à sec, en proye aux vents et aux courants qui, au soleil levant, leur ont fait reconnaître Batacale, à la distance de sept à huit lieues.
Etant absolument sans voiles, tout le monde fournit des draps, nappes, serviettes, même des jupes de femmes passagères pour refaire une voile à dessin de rattrapper cette terre qu'on avait reconnue au soleil levant , mais le malheur avait voulu que tout le monde travaillât avec la plus grande activité après cette voile qui devait faire leur salut, dès qu'elle a été faite, à dix heures du matin, on s'est trouvé sans terre, sans qu'aucun d'eux ait pu dire ou juger de quel côté elle leur restait.
Ayant donc perdu cette terre de vue, et toute espérance de la rattraper, ils ont tenu conseil sur la route qu'on devait tenir et, n'étant pas absolument d'accord, on fit les airs du vent depuis le Nord jusqu'à l' Ouest, autant que le vent l'a permis pendant la nouvelle lune, jusqu'au dernier quartier, que les vents ont passé au Nord-Est. Pour lors, on fit route directe à l'Ouest pendant vingt quatre heures, mais, croyant que cette route n'était pas la meilleure pour rattraper la pointe de Gal ou le cap Comorin, ils ont fait le Nord-Ouest jusqu'à la pleine lune en décembre.


Etant donc sans ressources, ni l'espérance d'une côte , puisqu'ils n'avaient ni eau ni vivres, ni instruments de marine et que tous les jours leurs noirs mouraient de faim et de soif, ils se sont accordés à diriger leur route sur les Maldives par le moyen d'un mauvais compas de routte et d'une mauvaise et informe carte, croyant qu'ils n'en étaient pas éloignés. Tellement était si (mot illisible ), qu'un des mariniers se jeta à la mer de désespoir et qu'un autre, peu de jours après, se pendit ; beaucoup de gens d'ailleurs mourant tous les jours, les autres jeûnant la faim et la soif , étant réduits à boire de l'eau de mer et leur urine, n'ayant pour toute nourriture que du poisson qu'ils prenaient de temps en temps et qu'on faisait sécher au soleil ( ce qui les rendait rouges comme du sang et leur causait de violents maux de tête. ) N'ayant d'eau douce que lorsqu'il tombait de la pluye, qu'ils ramassaient soigneusement ayant resté plus d'une fois deux, trois, quatre et cinq jours sans boire ni manger.












La quantité d'oiseaux de toute espèce et surtout des goélettes blanches dont ils examinèrent le coucher (mot illisible ) de la pleine lune de Janvier leur rendit leur courage et ( mot illisible ) la direction des oiseaux qui portait au Sud - Ouest , route qu'ils s' étaient proposés de suivre jusqu'au lendemain matin mais, vers minuit, à la lueur de la lune, ils aperçurent un haut - fond de roches et de corail. On sonda aussitôt, la voile dehors, et on a trouvé six brasses d'eau, ils ont amené la voile sur le champ et sondé derechef, trouvé sept brasses , ils se sont disposés à préparer une ancre pour mouiller, resondé de nouveau, trouvé treize brasses, par lequel fond ils ont mouillé.




Le câble ayant été coupé par les coraux vers les quatre heures du matin, peu après ils ont resondé sans fond et se sont laissé aller en dérive au vent et au courant jusqu'à que le temps, qui était chargé et couvert d'un grain fort épais , qui ne s'est dissipé que vers les huit heures du matin , se fut bien éclairci. Alors ils approchèrent, sans la connaître, l'île de Silhouette, droit au Nord. Ils s'en étaient alors éloignés de dix huit lieues environ, et firent route dessus.
Etant arrivés par son travers vers sept heures du soir, et ne voyant aucun endroit propre à mettre à terre, ils se sont déterminés à aller mouiller vis à vis une grande anse de sable qu'on voyait sur l' isle du Nord, que personne ne connaissait et où ils ont mouillés par les quatre à cinq brasses, vers les huit heures du soir.
Le tonnie étant mouillé, du bord on aperçut au clair de la lune des tortues sans nombre, qui montaient à terre ; la faim et la soif poussant fortement tous ces infortunés et n'ayant à bord du tonnie aucun petit bateau pour descendre à terre, les sieurs Gomez et Guillot prirent le parti de se jeter à la nage pour tâcher de procurer à tout le monde les premiers secours.
Ces messieurs, ayant manqué de se noyer en allant à terre sont restés toutte la nuit sur l'île et les autres à bord, sans pouvoir se communiquer. Au jour, ceux de terre ont fait de leurs mains une espèce de cati-maron pour tâcher d'aller à bord porter quelques secours à leurs camarades, mais la mer étant trop mauvaise, ils n'ont pu s'en servir : le tonnie ayant beaucoup fatigué toutte la nuit sur son câble, qui s'est trouvé coupé par les coraux vers les neuf heures du matin s'est jeté au plein le jour de la pleine lune en Janvier et s'est aussitôt rompu en deux, de manière cependant que tout le monde s'est heureusement sauvé avec une partie de leurs effets.




La lame ayant jetté au plein le reste de leurs effets, ils les ont tous ramassés en mauvais état mais avec peu de pertes. Tout le monde à terre, après avoir encore souffert la soif pendant deux jours, à force de chercher on a trouvé de l'eau dans une mare pleine de tortues qui la rendaient détestable mais excellente pour le moment. On s'en est servi pour boire et pour faire cuire les tortues et les oiseaux dont ils ont vêcu l'espace de près d'un mois.
Ennuyés de cette vie et de cette nourriture toute de viande et voyant, sans les connaître, des îles plus considérables qui, vraissemblablement devaient donner de plus grands secours, à la pluralité des voix, on s'est déterminé à faire un cati - maron dans l'espérance de pouvoir joindre quelqu'une de ces isles , mais, n'ayant ni hâches ni herminettes, enfin aucun instrument tranchant qu'un mauvais couteau, tout ayant été perdu dans le naufrage, on n'a pu faire, au lieu d'un véritable cati _ maron qu'un assemblage de cinq gros morceaux de bois des débris du tonnie, semblable à un mauvais rât, ( mot illisible ) long, qui surnageait si peu que les sieurs Coutous et Crambre ( ? ) qui ont eu le courage d'entreprendre le voyage de cette isle à celle de Seychelles étaient sur ce rât dans l'eau jusqu' à la moitié du corps.

(Rât = Radeau)






Ces deux messieurs, pleins d'intrépidité et d'espérance de trouver un soulagement à leur misère et d'en procurer à leurs infortunés compagnons ont donc entrepris le voyage le dimanche matin premier février avec trois lascars, sans vivres, sans eau douce, avec une mauvaise voile et trois mauvaises pagayes faittes de bouts de planches des débris du tonnie et ont attrapé par le plus grand hazard le lundi vers les trois ou quatre heures du matin la pointe du Nord de l'île Sainte - Anne dont heureusement le récif les a pris et les a jettés dedans en leur faisant un chapeau de leur rât, ayant attrapé comme ils ont pu l'établissement du sieur Hangard, ils s'y sont reposés et on les a remis à Seychelles vers deux heures après midi : Ces messieurs m'ayant instruit du sort de leurs compagnons, j'ai expédié le soir même deux pirogues des habitants pour aller chercher les pauvres naufragés qui, craignant que les navigateurs du cati - maron n'eussent péri, se croyaient encore une fois sans ressources. 

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