ON A CLÔTURÉ LA MER !
-” L’île est une terre entourée d’eau de tous les côtés ... “
... Et je sens monter en moi une rancœur à couleur de ciment, de
béton, de planches imbibées de coaltar tête de nègre, et à couleur de haies
bien serrées. La rancœur aux ronflements des moteurs, aux crissements des
“pneus-grands-pieds” lancés sur l’asphalte à toute vitesse. La rancœur des
heures vides.
On m’a volé la mer !
Ô ! Ces minutes qui étaient des éternités ! Bleus envahissants,
omniprésents, blancs qui battaient à la mesure de mon pouls. Un perpétuel
présent !
Odeurs d’iode, de sel et de gardénias. Le temps étendu devant
moi. Froissement continu de la vague au récif. Le palmier qui fait chanter ses
palmes ...
Rancœur comme nausée... On a dressé des planches, on a monté des
parpaings : On a clôturé la mer !
Le tour de l’île sans presque apercevoir la mer! La Pointe
Vénus, la baie de Matavai, cette dernière si belle dans sa robe de soie noire
... Mais on s’y agglutine.
De là vient ma rancœur : Sur cette île, on a réussi à préserver
... deux ou trois accès à la mer ! Ce qui veut dire que, partout ailleurs,
clôtures et propriétés privées vous maintiennent en-deça. J’exagère à peine.
Allons sur la plage de l’hôtel Beachcomber ... Pour y accéder,
il faut payer une cotisation annuelle ...
À Paea, c’est la honte ! Il y avait là-bas une plage de sable
blanc. Je devrais vérifier si elle existe encore ... Mais je sais ce qui
m’attend : Il faudrait embouquer un étroit boyau, très long, entre un mur très
haut, très laid, et une clôture en fils de fer barbelés. Boyau juste assez
large pour moi, à condition que je marche en crabe ... Au risque d’y laisser un
pan de ma chemise !
“Accès public à la Mer.”
Non, je n’irai pas à Paea ! Menez les enfants à la piscine ou
bien à la garderie. Au bord de la plage d’Arue, les 4/4 font crisser leurs
pneus. Il faut aller ailleurs.
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