Voyage d'étude au Québec en 1975 - (2)
Je recommande les steaks houses, les
grillades sont excellentes et gargantuesques, les darnes de saumon aussi. Mais
… si vous voulez un bon café, Il vous faudra, comme moi, arpenter toute la
ville … Si, si ! J’ai fini par trouver un bar italien dans lequel on m’a
servi un bon expresso ! Mais partout ailleurs, vous aurez droit à un
liquide pâle, servi avec une cafetière en pyrex que l’on maintient au chaud
tout au long du jour sur une plaque électrique !
L’emblème du Québec, c’est le drapeau
à fleurs de lys. Son symbole, ce pourrait être le poêle en fonte : Vous
savez, le poêle rond, chauffant au bois. On ne peut plus imaginer à notre
époque ce qu’à pu comporter d’héroïsme la vie des premiers Canadiens :
Maisons de rondins, fourrures et poêle à bois. Le poêle, c’est la survie de la
famille et le trappeur solitaire, même, se déplace avec son poêle d’une cabane
à l’autre, quand il va relever ses pièges.
Nous passerons à Trois-Rivières où se
louent encore des cabanes plantées sur la glace du lac. Dans la cabane, il y a
un poêle, et un trou a été creusé dans la glace épaisse pour que vous puissiez
y tremper vos lignes. Traditionnellement, je crois qu’il est prudent d’apporter
de quoi boire : Du sec, car il fait bigrement froid ! Il ne me sera
pas donné d’aller à la pèche à Trois-Rivières, mais j’aurai l’occasion d’y
aller sur le lac Saint-Jean, tout près de Chicoutimi.
… Chicoutimi … Inoubliable !
D’abord parce que l’autobus qui vous y conduit traverse des régions aux noms de
rêve : Saguenay, Laurentides …
Et puis parce que, si vous avez la
curiosité de consulter l’annuaire téléphonique, vous vous apercevrez que la
totalité des habitants, en tout et pour tout, arborent trois ou quatre
patronymes … Tellement de chez nous ! On les croirait sortis d’un roman
paysan : Jolibois, Charlebois, Tremblay … Pourquoi faut-il que j’aie
oublié les autres ? Ils chantent en ma mémoire profonde qui les
retrouve parfois.
Autre élément de poésie : Les
panneaux de signalisation routière qui signalent le paisible passage de l’orignal,
ce grand élan des immensités neigeuses dont on dit qu’il gratte le sol avec ses
sabots pour trouver les mousses sous la neige.
- « Oh ! Ne croyez pas
qu’il y en a tant que ça ! Je pense, me dit un ami québécois, qu’on a dû
planter un poteau chaque fois qu’un orignal a traversé la route ! » …
Pour ma part, je n’aurai pas la chance d’en apercevoir, mais cela ne fait
rien : J’aurais pu apercevoir un orignal, vous vous rendez compte !
Les Laurentides ? C’est le
massif montagneux que l’on fréquente pour ses stations de sports d’hiver :
Je ne les apercevrai même pas : Chutes de neige limitant l’horizon, champs
de neige qui recouvrent tout, nivellent tout : Plus de vallons, plus de
rivières, plus de lacs, beaucoup de forêts de sapins dont on ne devine que l’orée,
tranchée par la route. Mais où donc cultive-t-on le blé ? Où donc pâturent
les troupeaux ? On peut se poser des questions lorsqu’on sait la
longueur des hivers. Ce pays, pourtant, produit du blé, produit du lait …
Allons, l’homme a su s’adapter partout. Les érables, dont la feuille orne le
drapeau canadien et dont les immensités, rousses en automne, embellissent les
affiches des compagnies touristiques … Il me faudra revenir en une autre
saison !
Lorsque j’arrive à Chicoutimi, la
rivière est gelée, bien sûr : Le thermomètre est descendu jusqu’à moins
quarante ! Moins vingt à Québec ou à Montréal, je supportais encore
allègrement, mon manteau restait ouvert la plupart du temps sur mon pull marin
… Mais moins quarante ! Je comprends que des enseignants québécois aient
envie d’aller passer un an en Europe pour se réchauffer. Je comprends aussi
pourquoi on rencontre tant de Canadiens, l’hiver, aux parages des
Antilles ! Moi, je n’existe plus : J’ai relevé le col de mon manteau,
j’ai rabatu les oreilles de ma chapska … Il n’y a plus que le bout de mon nez
qui dépasse, et il gèlerait vite si je n’y prenais garde : Allons,
rentrons le nez aussi ! Mais il faut bien respirer ! Quant aux
doigts, heureusement que je porte des gants épais !
C’est à ce moment-là qu’à proximité,
les pompiers chargent dans leur voiture le corps gelé d’un homme qui s’est fait
surprendre, probablement en état d’ivresse, parmi les blocs de glace accumulés
dans le lit de la rivière … Celui-là est arrivé au bout de son chemin.
Au même instant, et la conjonction
des deux scènes produit un effet complètement surréaliste, mes yeux distinguent
un restaurant, là, devant moi. Il est installé sous une énorme bulle de verre.
Il neige, il gèle, mais les serveuses portent minijupes, vaquant entre les
tables et les chaises dans une atmosphère manifestement surchauffée. Le
spectacle évoque une sarabande. Il me paraît que ces serveuses en bas résilles
ont plus de soixante ans … Goya, es-tu là ? Pour ma part, je n’ai
qu’une hâte : avaler un café bien chaud, même un café réchauffé !
Vous avez voulu voir comment se
pratique la pèche sur le lac Saint-Jean, l’hiver ? Il fait toujours moins
quarante. Vous vous sentez un peu engoncé dans les multiples épaisseurs de vos
vêtements. La voiture tous terrains s’engage sur la glace qui recouvre le
lac : Pas de danger … Son épaisseur est de plus de deux mètres, on vous
l’a dit ! pas de cabanes ici, pas de poêles. Des gens creusent un trou
dans le hurlement d’une tarière à moteur faisant plus de bruit encore qu’une
tronçonneuse. Quand elle s’arrête, le silence reprend ses droits, le grand
silence sur l’étendue toute blanche.
Chaque groupe de pêcheurs a creusé
une demi-douzaine de trous. Au fond de chacun, on aperçoit l’eau libre, qui ne
tarde pas à se recouvrir d’un voile de givre. On jette les lignes dans le trou,
sans canne, et on les fixe à de petits bouts de bois dont la détente annoncera
les prises. J’ai attendu longtemps. J’ai eu très froid. J’ai tapé du pied et
j’ai claqué mes mains l’une contre l’autre … Je n’ai rien pris et mes
compagnons non plus, mais … Je vous jure que ce n’est pas l’histoire de la
chasse au Dahut ! C’est certain, on prend ainsi du poisson, parfois
beaucoup de poisson, même des brochets … Gros comme ça ! … Il ne s’agit pas
d’une farce à l’adresse de ces « Maudits Français » !
Retour par la route : Nous
sommes allés presque jusqu’à la frontière des Etats-Unis, à Sherbrooke. De
Sherbrooke, rien à dire, ou si peu de choses ! La neige tombait, tombait,
tombait encore. Nous n’avons rien vu d’autre que les tourbillons de la neige
malmenée par le vent. Le mois a passé, la mission se termine. Une anecdote
encore, mais elle n’est pas à mon honneur et j’en suis encore un peu
confus : Invité au restaurant par les responsables de la Commission
Scolaire, dans un restaurant choisi parmi les meilleurs, J’ôte mon manteau pour
m’asseoir à table. Je ne porte pas de veston sous le manteau, seulement un pull
… Vous êtes tellement engoncé avec tout ce qui vous recouvre !
- « Je vous demande pardon, Monsieur,
me dit le maître d’hôtel, mais le veston est exigé dans la salle. »
Comment faire ? Mes hôtes se
regardent, je les regarde … Essais pour parlementer … Le maître d’hôtel est
inflexible. Je suis prêt à ressortir, le rouge m’étant monté aux joues, mais le
maître d’hôtel m’apporte un veston : Le sien sans doute. Il me prie de
l’enfiler. Mais il est beaucoup moins gros que moi. Je prendrai mon repas
en serrant les omoplates dans mon veston étriqué ! … Amis de Sherbrooke,
en riez vous encore ?
Mais vous me demanderez peut-être ce
que j’ai pensé du système scolaire québécois ?
– C’est vrai, j’ai
visité beaucoup d’établissements scolaires. La mode était alors aux écoles à
« aires ouvertes », et l’on réfléchissait à l’organisation du soutien
pour les enfants en difficulté. On avait aussi équipé largement les
établissements en récepteurs de télévision. D’autres recherches portaient sur
les systèmes d’évaluation.
Je me souviens que j’ai regagné mon
pays en me disant que le système scolaire français, après tout, ne devait pas
être si mauvais que cela ! Soit dit en toute amitié et sans esprit de
critique : Quand on voyage, on s’aperçoit que tout le monde, dans tous les
pays, cherche, cherche … Mais les pesanteurs ! Mais les utopies !
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