Les vents étaient
tout à fait fantasques …
*
_ Près du cap de Bonne-Espérance,
le Commandant, Monsieur Searight fut pris d'une crise de delirium tremens. Le
second avait été obligé de le faire enfermer et de faire escale à Table-Bay. On
y avait débarqué le Commandant, mais, presque immédiatement, les médecins
l'avaient déclaré guéri! Le douze juillet, le Commandant était de retour à
bord, les passagers embarquaient. Dans la soirée, on hissait les voiles ...
_"C'était à "Table-Bay",
au cap de "Bonne-Espérance" que nous avions embarqué, Sibella, Louise
et moi-même, ainsi que Charles Bore, le nouvel adjoint du Second Capitaine, le
Chirurgien Deacon et un Indien, nommé Jewa.
-"Nous n'étions pas très
tranquilles : Il ne nous semblait guère possible que le Capitaine Searight fût
en très bonne santé !
_"Depuis notre départ du
Cap, il ne nous arriva que fort peu de choses ... À l'exception du mauvais
temps. Les vents étaient tout à fait fantasques : faibles mais changeants, puis
soufflant tout à coup en furieuses rafales.
_"Notre Commandant avait
placé tant d'espoirs dans ce si beau bateau que tout ce qui retardait notre
avance l'exaspérait.
L'effet de l'alcool augmentait
encore cette exaspération, tant et si bien que, dès le passage du tropique du
Capricorne, il avait tout à fait perdu la raison.
_"Le quatre août il fut
repris par le delirium. On fut obligé de l'enfermer dans sa cabine. Il y
poussait des plaintes et des cris de désespoir. Il tenta de démolir la cloison
pour s'échapper ... On le transféra sous le gaillard d'avant, dans une pièce
spécialement aménagée. Il y resta sous la surveillance du docteur Deacon, celle
de Monsieur Spurs, du Maître d'équipage. Tous ceux qui pouvaient se rendre
utiles le surveillaient également.
_"Le Second assurait le
commandement à sa place, bien évidemment. Pour contrôler ses chronomètres, il
fit mettre le cap vers la terre ferme : Contrairement à toute attente, nous
nous trouvions, le neuf août, près de l'île Sainte-Marie, sur la côte est de Madagascar.
Nous la longeâmes jusqu'à quinze heures environ.
Nous fûmes obligés de constater
que les deux chronomètres étaient faux : L'un affichait une erreur de quatre
vingt dix milles, l'autre une erreur de quarante milles. Ce matin-là nous
perdîmes un mât et un cacatois dans la bourrasque ...
_"Un peu plus tard, l'alizé
du sud-est étant bien installé, nous avions de faibles rafales, mais les
pluies, elles, étaient torrentielles. Le vent variait dans le secteur sud.
_"Nous avons filé huit à dix
noeuds pendant toute la nuit, qui nous avait pris dans les parages des onze
degrés trente de longitude est. Le début de la nuit fut très beau.
_"Le Capitaine Searight
semblait aller mieux. Le médecin et le second lui avaient passé ses vêtements
et ils l'avaient autorisé à quitter sa couchette pour s'asseoir sur une chaise,
sur le pont. Ils le surveillaient de près. Il n'avait pas dormi mais, tout de
même, il semblait aller mieux.
_"Le médecin crut pouvoir
s'absenter un moment. Il regagna sa cabine pour rédiger un rapport, laissant le
Capitaine sous la surveillance du Second, lequel veillait en faisant les cent
pas ...
Profitant de l'occasion, le
Capitaine se pencha vers sa couchette, qui était proche, faisant mine de
vouloir s'y allonger ... Tout à coup, il se tourne vers la gauche et, avant que
le Second ait pu faire quoi que ce soit, il fonce vers un sabord qui était
resté ouvert malencontreusement ... Il fonce avec toute la vitesse dont est
capable un dément ... L'alerte est aussitôt donnée et chacun court pour essayer
de le sauver ...
_"En ce qui me concerne, je
cours jusqu'à la dunette puis, revenant vers l'arrière, je cherche quelque
chose à lancer par-dessus bord. Je ne trouve rien, puisque tous les espars et
toutes les pièces de bois ont été solidement arrimés. Le bateau roule très
fort. Alors, je jette un coup d'oeil par-dessus le bord :
_"Jamais je ne pourrai
oublier ce que j'ai vu ! _ Le Capitaine était allongé sur le dos, sa tête et
ses genoux sortaient de l'eau. Il montrait une vigueur surnaturelle ... Son
regard sauvage de dément était terrible. Il fixait le bateau qui le dépassait.
Il semblait triomphant et ne
paraissait pas du tout craindre de sombrer dans l'éternité... Le navire filait
dix noeuds, toutes voiles dehors ... Immédiatement, les drisses sont larguées,
le bateau pivote, les voiles battant à tous les vents. On met le canot à la mer
... Au même instant, une vague nous inonde ... Le canot est submergé, retourné
... Miraculeusement son équipage est sauf, mais le Capitaine Searight, lui, a disparu
dans le chaos et la fureur des éléments.
_"On ne pouvait rien tenter
de plus ... Le bateau reprit le vent.
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