jeudi 1 novembre 2018

DÉBARQUEMENTS DANS LES TUAMOTU ....




 DÉBARQUEMENTS DANS LES 


               TUAMOTU















Vous avez navigué à bord d’une goëlette qui a encore belle 

allure : la Tamara. Elle ressemble aux bateaux dont nous avons

 tous rêvé un jour ou l’autre. Deux mâts, coque en bois, cockpit

 verni, bateau qui navigue souvent au moteur, mais qui peut 

hisser des voiles et alors, là, on se croirait au temps des 
découvreurs ! 




Mais la Tamara roule et tangue terriblement, d’autant qu’un 

voilier qui navigue au moteur, il n’y rien de plus rouleur ! Vous 

n’avez guère quitté votre couchette pendant les quelques 

journées et les quelques nuits de navigation. Le médecin des 

Tuamotu, qui occupe la couchette voisine a une grande 

habitude : Il a suspendu au-dessus de sa couchette un régime 

de bananes et il cueille un fruit quand il a faim. Pour rien au 

monde il ne se mettrait debout. Vous avez essayé, lorsqu’on est 

venu vous proposer le traditionnel repas de riz et de corned 

beef -Vous vous êtes bien vite recouché, le coeur au bord des 

lèvres ... Mais comme vous n’aviez pas suspendu un régime de 

bananes, vous, vous avez accompli toute la traversée sans 

manger ... Mais qui parle de manger ? 






Rien que d’y penser, la nausée m’emplit. C’est incroyable. 

Comment un bateau peut-il rouler ainsi ?


Moi, je me cale contre la cloison pour ne pas être précipité 

hors de ma couchette, et je ne bouge plus. Les yeux fermés, je 

vois des étoiles, des lunes et des soleils. Les yeux ouverts, je 

tombe dans des abîmes, je tombe, je tombe, tombe ... 




Nous arrivons je ne sais plus où, peut-être à Fakarava. Une 

chaloupe nous embarque. Par chance, c’est un atoll qui est 

pourvu d’une passe, ils ne le sont pas tous. Nous avons 

embouqué la passe. Notre embarcation était équipée d’un 

puissant moteur hors-bord. Le barreur l’a emballé lorsque s’est 

présentée la plus grosse vague et les tourbillons nous ont 

saisis, précipités entre les récifs. J’étais coincé entre des sacs 

de pommes de terre, des caisses de bière, des cartons de vivres 

... Que sais-je ? Il y avait même une moto, commandée par un 

insulaire. Chaque bateau qui passe apporte le ravitaillement. 

Nous avions aussi des sacs de farine et des sacs de ciment ! J’ai 

cru mille fois ma dernière heure arrivée. Le barreur a eu le 

temps, au passage, de me montrer au fond de l’eau, par une 

trentaine de mètres de fond, un tracteur rutilant qui, au jour 

de sa livraison, était, il y avait quelques mois, tombé d’une 

chaloupe.








Apparition poignante ! J’ai vu des voitures débarquer à cheval 

sur deux chaloupes navigant de conserve : Bel exploit qui 

réussit “presque” toujours !



Mais je me souviens d’un débarquement dans une île qui 

n’avait pas de passe.



J’étais prévenu : Mon prédecesseur dans les fonctons que 

j’accomplissais avait eu les deux jambes brisées, dont une 

d’une quadruple fracture. Il avait été roulé sur le récif lorsque 

l’embarcation qui le transportait avait été roulée sur le récif 

par une vague prenant de travers !



Était-ce à Pukarua, à Apataki, ou bien encore dans quelqu’une 

des Îles de la Désillusion, dont le nom est tout un programme? Il ne m’en souvient pas.


La goëlette reste au large, puisqu’elle ne peut pas entrer dans 

le lagon. Elle fera des ronds dans l’eau pendant que les 

chaloupes feront le va et vient pour décharger, puis charger. La 

mer est belle, heureusement. Il n’empêche, il y a du creux, tant 

et si bien que charger une chaloupe est un sport difficile et 

dangereux : Lorsque la chaloupe monte avec la vague, la 

goëlette descend au plus profond du creux. 









J’attends que le chargement soit terminé, toujours aussi 

hétéroclite, puis je saute. le barreur m’attrape, je crois qu’il 

m’a évité de tomber à l’eau, mais les chocs m’auront laissé des 

bleus. Le moteur vrombit furieusement : Il était temps que l’on 

s’écarte de la goëlette : Cela nous a évité de nous briser contre 

sa coque. La chaloupe bondit.


Alors là, vraiment, l’angoisse vous saisit et ne vous lâche plus : 

Le moteur est mis au ralenti : Le barreur attend ... Il attend 

quoi ? ... En fait, il compte : une, deux trois ... Il compte les 

vagues ... Il compte jusqu’à six. Je ne sais pourquoi, mais la 

septième vague est toujours la plus forte, celle qui prend 

l’embarcation, qui la soulève, la porte au récif. 




Mais le récif ... Vous le voyez devant vous, il forme une falaise 

abrupte, noirâtre, agressive, montant comme un mur, droit 

devant la proue, jusqu’à deux mètres de haut. On fonce dessus, 

de toute la vitesse donnée par le moteur et par la puissance de 

la vague qui vous porte. Vous allez, c’est sûr, être précipité, 

brisé sur ce mur, là, devant, à quelques mètres seulement ... Et 

puis non, la vague, la septième vague, la plus forte, soulève 

l’embarcation, le moteur rugit. Vous êtes sur le récif. 







La vague se retire dans un éblouissement d’eclaboussures. 

Vite, il faut descendre, prendre pied, tirer la lourde barque 

jusqu’au sec. Vous avez de la chance si vous êtes bien chaussé 

car ... Marcher sur le récif !



Ce jour-là, j’ai eu de la chance : Un détachement de la Légion 

Étrangère était sur l’île, construisant une citerne afin de 

retenir l’eau de pluie. Les légionnaires, torses nus, de l’eau 

jusqu’à la ceinture, ont attrapé la chaloupe au moment où nous 

arrivions et ils l’ont tirée jusqu’au sable blanc. 









Mais tout le monde n’a pas la chance d’être accueilli par la 

Légion ! Qu’en dirait l’agent chargé de porter leur paie aux 

fonctionnaires des atolls, lui qui tomba à la mer avant 

d’atteindre le récif ! Il perdit sa mallette et tout l’argent qu’elle 

transportait. Si le coeur vous en dit ... On doit pouvoir 

retrouver le nom de l’atoll dans lequel l’évènement se produisit ... 

Mais je vous avertis : la malette a disparu par deux mille 

mètres de fond ! ... Peut-être qu’en allant à la pêche aux 

requins dans le coin ... ?


L’agent-payeur est revenu sain et sauf. On lui a reproché de ne 

pas avoir bouclé la courroie qui aurait dû relier la malette à 

son bras...







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