samedi 10 janvier 2015

LA MARIE-JEANNE À LA DÉRIVE




LA MARIE-JEANNE À LA DÉRIVE







DANS L'OCÉAN INDIEN (SUITE)








Mais souvenons-nous que la Marie-Jeanne n'avait ni mât ni voiles 

et que son moteur était en panne ...






Pendant ce temps, on câble aux autorités françaises de Madagascar et aux responsables des "East Africain Airways" pour demander l'aide de l'aviation ... 
Diégo Suarez répond qu'il ne dispose pas d'appareil capable de survoler l'océan dans les conditions demandées; par contre on propose de l'aide sur mer : Une corvette hydrographique équipée d'un radar ... Offre déclinée. 
L'Afrique du Sud envoie un hydravion Catalina qui survole l'océan à deux reprises : La première en direction de sud-ouest, la seconde en direction du nord et du nord-est ... Aucune trace de la "Marie-Jeanne". _ Que faire de plus ? _ Attendre ... Attendre ... Encore attendre ! ... Laisser les événements suivre leur cours, malgré la désolation des familles concernées ... Une quête en leur faveur rapporte un millier de roupies ... 






_ XXXVIII _





Mais le conteur revient aux malheureux ballottés par les flots ... Ils sont toujours assoiffés. Ils sont affamés. iIs sont desséchés, brûlés par le soleil ... Ils sont hébétés, abrutis par tant de souffrances ... Ange Finesse a été la première à rendre son âme à Dieu, George Arissol est, à son tour, couchée dans la cabine de l'avant ... Elle ne bouge plus ... Des sons plaintifs s'échappent de ses lèvres blêmes et étirées ... Bientôt le sommeil l'envahit, le même sommeil annonciateur de la mort que celui qui fut celui de sa compagne tout à l'heure ... Elle s'éteint. 

Ange Finesse est morte la première, George Arissol l'a suivie ... Les survivant procèdent aux mêmes rites funèbres que la première fois ... Un second cadavre est jeté à la mer ... Qui pourrait jurer qu'aucun de ceux qui demeurent n'envie le sort de celles qui s'en sont allées ...




_ XXXIX _





_ "Lorsque tu prends la route des Canelles, partant de l'Anse Royale ... Parvenu tout en haut, après les virages surplombés de plantations de grands mahoganis, tu quittes la route, tu t'engages sur un petit chemin, à ta gauche ... Sentier à peine assez large pour passer à pied, contournant les rochers de granit, escaladant la colline par des voies abruptes et périlleuses qui étaient autrefois celles des collecteurs d'écorces odorantes destinées à l'exportation dans le monde entier ... Sentier qui glisse parfois et dont les cailloux roulent sous le pied ... Arbustes torturés, juchés sur des pieds multiples ... Larges feuilles luisantes, fougères foisonnantes ... Terre rouge semée de petits cristaux ... Rude escalade, mais tu emplis tes poumons ... Exaltante escalade ... Et puis tu débouches sur une terrasse étroite : A peine la place pour s'y tenir à deux, blottis sous la roche ... Tu débouches en plein ciel, d'un bleu que rien ne vient troubler ... L'océan est violet ... Des oiseaux blancs vont par couples, évoluant comme à la parade : virages , montées, descentes coordonnés ... D'autres oiseaux blancs, les paille-en-queue, ainsi nommés à cause de la longue plume caudale qui les distingue, jouent aux cerfs-volants, s'engageant dans les courants ascendants, se laissant enlever, emporter, frôlant la falaise puis basculant sur une aile pour continuer à planer ... La côte en face, là où tu plonges tout entier est celle de l'Anse-à-La-Mouche. A ta gauche, c'est l'Anse-Poule-Bleue ... Ces mots ! Ces noms rappelant la geste française aux Seychelles, avant que l'archipel ne devienne britannique ... Ces noms, comment ne pas s'en régaler ! ... Tu peux rester des heures, là, le coeur plein d'amour ...

_ Combien de fois Joachim n'a-t-il pas escaladé les falaises ? Combien de fois n'a-t-il pas été abasourdi par tant de beauté ? ... Avez-vous admiré, en haut de Sans-Souci, les calices des lianes-pot-à-eau ? Avez-vous rêvé, du côté de Bel-Ombre, en prenant le merveilleux sentier qui mène à l'Anse Major ? Vous êtes-vous laissé émerveiller par les récits parlant des trésors de pirates qui seraient cachés là ? 







_ XL _



Joachim Servina se meurt ... Lui, si débordant de vitalité, lui si fort, si dynamique ... Joachim se meurt ... Joachim étouffe ... La faim lui serre la gorge ... Joachim est mort.

Noël Rondeau, le cuisinier, le suivra ... On le trouve sans vie au fond du bateau, un matin au lever du soleil ... Allons-nous tous mourir ? ... Il semble de plus en plus évident que c'est le sort qui nous attend.

Jules Lavigne est le suivant. Il avait glissé dans le coma depuis un long moment déjà.

Ah ! Que tout cela finisse ! ... Six morts déjà ... On ne reste plus que quatre ... On ne se demande plus si l'on mourra ... On se demande quand on mourra ...

Ange Finesse, son amie George Arissol, Joachim Servina, Noël Rondeau, Jules Lavigne ... Il n'en restera donc pas un ? Pas un ne sera épargné ? _ A quoi tient la vie ? Dire que l'on avait presque atteint l'île Sainte-Anne ! ... Dire que l'on avait presque pénétré dans la passe qui conduit au lagon de Victoria ... N'y aura-t-il donc pas un seul survivant ? 

Mon histoire est terrible ... Je vous l'avais dit ... Mais mon histoire est véridique ... Elle a été recueillie peu après le drame par un prêtre, le père Angelin, qui en écrivit le récit sur les lieux et le lut aux survivants ... 

                                 (À suivre)

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