LE PLUVIER DORÉ
On m’avait dit ... Je ne sais plus
qui m’avait dit cela ... On m’avait dit que le pluvier doré passait au
printemps. Oh ! Il ne restait pas longtemps, juste le temps de choisir un coin
tranquille sur une bosse inculte, souvent derrière une touffe de joncs. Vous
savez ces grandes bouillées de joncs bleuâtres à têtes brunes ... Quand il
avait trouvé ce qu’il cherchait, il s’installait et la femelle pondait un œuf,
un seul œuf, mais un œuf d’or ! - Un couple de pluviers dorés ne pouvait pondre
autre chose qu’un œuf d’or, n’est-ce pas ? - Pour qu’il en sorte ... Un petit
pluvier doré !
Ah ! Il m’en souvient maintenant,
c’était le Père Pataud qui m’avait raconté cela, le Père Pataud qui était
forgeron au village de L’île, entre Saint-Georges et La Brée. Sa forge était
située près de l’emplacement de l’ancienne chapelle de NOTRE-DAME, il avait,
devant la porte, un énorme figuier. Le Père Pataud, c’était quelqu’un ! Il me
faisait un peu peur. Je le croyais un peu sorcier. Il tirait la chaînette de
son soufflet et les braises rougeoyaient, les étincelles sautaient. Avec une
longue pince, il sortait du feu un morceau de métal tout blanc, le posait sur
l’enclume et, frappant à lourds coups de marteau, en faisait un espiot’ ou le
soc d’une charrue.
Quand il parlait, sans pour cela
ralentir le rythme de ses coups, sa moustache remuait, sa moustache jaunie par
le tabac. Ses avant-bras étaient herculéens.
- “ Je t’assure, si tu cherches bien,
tu finiras par le trouver, le nid du pluvier doré. Et tu trouveras un œuf
d’or.”
La nuit, je ne parvenais pas à m’endormir. La lune glissait un rayon par la fente des volets de ma fenêtre et, doucement, une tache de lumière blafarde marchait sur le couvre-lit. J’entendais le vent. Il soufflait doucement et je croyais ... Oui je croyais entendre les pépiements des pluviers dans les marais tout proches. Je ne savais pas si les sifflements étaient ceux du pluvier doré ou bien, seulement ceux du pluvier argenté. Le pluvier argenté, fi donc ... l’argent, c’est bon pour les fourchettes et les cuillers que l’on met sur la table le dimanche !
Vint un moment, c’était au printemps
... vint un moment où il n’y eût plus de clair de lune. C’est ce qu’on appelle,
chez nous, la lune noire. Les pépiements étaient de plus en plus nombreux, tout
près.
-”Tiens, me dit le père Pataud, la
nuit dernière, je suis allé relever mes bourgnes à anguilles et j’ai vu, oui
j’ai vu un pluvier doré. Il est parti dans mes pieds,derrière une touffe de
tamarins.”
C’en fut trop pour moi ! La nuit suivante, je me levai, j’entrouvris les volets, j’écoutai longuement, extasié : Les pépiements des pluviers, on les entendait, nombreux, provenant de toutes les directions, vous savez, des sifflements sur deux notes, l’une longue, l’autre brève. On ne peut pas s’y tromper : le sifflement du pluvier se distingue aisément de celui du courlis cendré.
Dans la maison, rien ne bougeait. Les
parents dormaient. Je pris juste le temps de me vêtir et ... Je passai par la
fenêtre. J’avais chaussé des espadrilles pour être plus silencieux. Le chien
gémit. Ce fut bref et je m’immobilisai un instant. Lorsque, tout aussitôt
après, j’ouvris le portail, il ne grinça pas. C’était une chance. Et me voilà
parti. Dans les marais, bien sûr ! ...
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