dimanche 4 janvier 2015

AU MAROC ET AILLEURS







AU MAROC

SUR L’OCÉAN ATLANTIQUE



























Je dois avoir douze ans. Avec notre mère, nous nous trouvons embarqués sur un cargo mixte dont je ne sais plus le nom. Nous sommes partis de Casablanca, si mes souvenirs sont bons. Le bateau doit faire escale à Mogador et nous conduire jusqu’à Agadir où mon père nous attend. C’est la guerre en Europe et l’on ne dispose ni d’automobile, ni d’essence pour faire ce long voyage par la route …

Il fait « un temps de curé » ! La mer est aussi calme qu’une mare d’huile. Aucun souffle de vent. Une chaleur à crever. Dans notre cabine, nous couchons dans des couchettes superposées : Bonne occasion pour chahuter, je fais tomber mon frère de la couchette supérieure, il se fend le cuir chevelu. Il saigne abondamment. Cela ne sera pas grave, mais on a dû lui bander la tête … pansement impressionnant !

Depuis quelques jours les adultes qui nous entourent, et particulièrement le commandant du navire, semblent inquiets : La cargaison s’est déplacée, mal arrimée par des dockers peu soigneux. Le bateau s’incline sur tribord ( tribord, c’est la droite m’a-t-on expliqué … Et pourquoi les marins ne parlent-ils pas comme tout le monde ?) Nous prenons de la gîte, de plus en plus de gîte …

Chaleur écrasante, toujours pas de vent et pas une ride sur la mer. Le bateau se traîne. Il s’incline de plus en plus. Il a tellement de gîte que l’eau arrive juste au-dessous du plat-bord : La situation est sérieuse. Néanmoins, toujours à toute petite vitesse, nous parvenons à entrer dans le port : À quai, vite ! On décharge la cargaison, le plus vite possible, puis on la rechargera de façon plus stable. Ces opérations prennent plusieurs jours : Un quai en plein soleil, une voie ferrée rouillée, des grains de blé dispersé entre les rails … Occuper le temps : Pêche à la ligne au bout de la jetée … Jamais vu autant de poissons ! On est obligé de taper sur l’eau avec un bâton pour que l’hameçon ait le temps de couler : Il faut éloigner les petits sars pour que l’appât atteigne les profondeurs où sont les gros !

Mogador est une ville fortifiée autrefois par les Portugais. Plus tard, elle s’appellera Essaouira (La bien dessinée), et deviendra une destination recherchée par les touristes fortunés.




-« Au loin, les îles Purpuraires ;
     En dessous, l’océan, en dégradés de couleurs …
     sardine argentée
     vert glauque
         rose saumoné
         jaune sablonneux
         et enfin panaché de blanc à la lisière des vagues, signature du vent.
       

       Je me pète la gueule à la force de l’intensité visuelle du spectacle,
       levant mon verre à l’infini salé : c’est la mer à boire. »

Jean Edern Hallier (Carnets inpudiques)




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Nous repartirons vers le port d’Agadir, dans lequel nous entrerons sans plus d’encombre …




*


Souvenirs de fruits, sucrés comme les dattes, « sucramers» comme les coings, grumeleux comme figues de Barbarie, juteux comme grenades. Odeurs d’épices et de terres chaudes. Cailloux tranchants, eaux claires, vents tièdes et libres ... marcassins, gazelles, sarcelles ...

Et l’Atlas, ligne bleue ourlée de blanc, du côté de l’Est.

En 1941, nous demeurons au sud d’Agadir. Nous sommes, à cette époque les seuls Européens dans l’endroit, ou presque. Tous les matins, une voiture de la Base Aéronavale nous conduit à l’école de la ville : sept kilomètres à parcourir, voiture à carrosserie rectangulaire, noire, le coffre arrière fait saillie, la peinture reluit ... Une Juvaquatre ? Petits rideaux aux vitres, vases uniflores de cristal. Délicieuse voiture ! Plus tard, le nombre d‘écoliers ayant augmenté, on nous mènera en autobus. L’allégresse y gagnera avec le nombre, se traduisant immanquablement par des chants, des cris, des rires.

- ”Imaginez une nouvelle aventure de Pinocchio.”







Ivresse de l’écriture ! Je rivalise avec bonheur avec une fillette de mon âge pour obtenir les meilleures notes. Elle est blonde. Son père est, je crois, médecin.
Ses cheveux sont tirés, tressés, roulés en coquilles sur les tempes. Elle a les yeux bleus. Nous avons onze ans. Je l’aime d’amour. Le jour de notre première communion solennelle, nous avons échangé des images pieuses, à placer entre les pages de nos missels tout neufs.
J’ai une autre raison de me souvenir de ma première communion. Je portais un costume sombre et un brassard en dentelles. L’abbé Souris Prononçait l’homélie ... Pas celui de la “Jouvence”, celui qui était aumônier de la Marine, ancien brancardier pendant la Guerre de Quatorze, trois palmes à sa Croix de Guerre et quatre fois trépané !








-” Qu’est-ce que vous venez faire ici, les enfants ? ... vivre une belle cérémonie et puis après aller faire un bon repas ? _ Eh bien, la Première Communion, ce n’est pas ça !”







À la fin de l’année, mon amie obtint son diplôme du Certificat d’Études Primaires. Je ne l’obtins pas : En dehors des compositions françaises, j’étais nul, absolument nul.









- ”Ne va pas la voir !”








Trente ans après ... “Ne va pas la voir !” - Elle habite à quelques kilomètres de chez moi, sur la côte atlantique. Je n’y suis pas allé. Je ne l’ai jamais revue. C’est aussi bien ainsi, sans doute ... Je garde intact le souvenir de ses cheveux blonds en coquilles et de ses yeux bleus.

- ” Ne retourner jamais vers ses amours enfantines, ce sont de trop précieux souvenirs!”










Rentré en France, je subis les épreuves d’un examen nouvellement et opportunément créé. Je composai donc à nouveau :




_” Racontez un livre que vous avez aimé.”







Je racontai ... Les “Mémoires d’un Âne”, de la Comtesse de Ségur (née Rostopchine...) Cet examen me permit de rentrer en classe de sixième, à Rochefort-sur-mer, au lycée Pierre Loti, triste bâtisse de style jésuite, hauts murs et fenêtres haut perchées. Morne passage en ces lieux. Le hall d’entrée, à colonnes de faux marbre, était revêtu de grandes plaques de marbre (vrai, celui-là ) sur lesquelles s’alignaient les noms des anciens élèves “Morts pour la France”









Listes impressionnantes de Capitaines, de Lieutenants, de Généraux, de spahis, d’artilleurs et de marins avec, face à chaque nom suivi du prénom, une mention du lieu de la bataille qui avait été fatale. On longeait ensuite un long cloître (Les bâtiments avaient autrefois abrité un établissement des Jésuites), au fond duquel se tapissaient le Surveillant-Général et le Censeur des Études.



On parvenait alors au pied de l’escalier qui menait au bureau de Monsieur le Proviseur. Il m’arriva une fois de monter cet escalier : Je comparaissais devant le Conseil de Discipline - Gens doctes et compassés, peu engageants et manquant d’aménité. Je m’étais battu, je crois - Je ne sais pas avec qui - Quand on est, comme je l’étais, fils d’officier, il n’était pas si facile d’exister, en cette période “rouge” d’après guerre. Le Tribunal a tranché : On ne me reprendra pas à la prochaine rentrée.








-” Et puis, vous savez, nous vous conseillons de le placer au plus vite en apprentissage chez un menuisier, ou mieux : chez un ostréiculteur. “







Tout était dit de l’estime en laquelle on me tenait et tout était dit du crédit que l’on accordait à mon avenir, tout était dit, également, de l’estime que l’on avait pour les menuisiers et les agriculteurs ! ... Après tout,peut-être bien que si j’étais devenu ostréiculteur ou menuisier, j’aurais été tout aussi heureux ! ... On ne refait pas le passé.





Pourtant; j’aimais lire, j’aimais raconter, j’aimais les poèmes ... Et j’aimais faire enrager mon frère, le “matheux” :








     -” Et pourquoi ne pourrais je pas faire passer plusieurs droites parallèles par le même point ? - Un point n’a pas d’épaisseur, mais une droite non plus : Pas d’épaisseur plus pas d’épaisseur, cela fait toujours pas d’épaisseur !” Il se mettait en colère et me traitait d’imbécile. Ce qui ne me démontait pas. Lui, il avait l’esprit rationnel et scientifique. Il bricolait des postes à galène et installait des haut-parleurs sous le lit de la petite bonne, dans la chambre à côté. Il la faisait ainsi sursauter et hurler en pleine nuit. Moi, je m’intéressais plus à l’élevage des vers à soie, dans des boîtes à chaussures, sur la table de notre chambre.






C’était dit, je ne comprendrais jamais rien aux mathématiques et j’étais imperméable à toute logique. D’ailleurs, je ne savais même pas mes tables de multiplication ... C’est tout dire!

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