jeudi 29 janvier 2015

LES PETITS CAILLOUX - 1. ACTE DE NAISSANCE.



LES PETITS CAILLOUX


                                                                            ACTE DE NAISSANCE





                OU TRIBULATIONS

               AUTOUR DU MONDE




« Je serai donc demain le mort et le mystère, Moi qui suis aujourd’hui celui qui va chantant. »

Borges – Les énigmes (L’Autre, le Même.)




« LORSQUE CE FUT LA MILLE ET DEUXIÈME NUIT, ELLE DIT … »

(Les Mille et une nuits ...)




















ACTE DE NAISSANCE :






Je suis né un soir d’automne : J’avais sept ans et c’était en l’année 1939.



Ma naissance s’est accompagnée de bruits épouvantables et divers : grincements, hurlements, couinements, clapotis et bruits de pas éperdus. En même temps le navire tremblait et roulait. Le cœur me montait au bord des lèvres, d’autant que régnait l’odeur fade du mazout.



J’ai sauté hors de ma couchette et mon frère a fait de même. Quelqu’un courait dans la coursive. Nous courûmes aussi. Comme nous étions à fond de cale, nous grimpâmes l’escalier de fer. Nous le grimpâmes quatre à quatre, comme des fous. Nous n’étions pas seuls à cavaler ainsi vers le pont supérieur, vers l’air libre : du monde se hâtait derrière nous, autant que nous. Nous voulions rejoindre nos parents, lesquels devaient se trouver dans la salle à manger. Nous sentions que le bateau modifiait sa course, qu’il tanguait et roulait.



Nous passions la tête hors de l’écoutille lorsque tout sembla se calmer : La mer était plutôt sage, le paquebot était arrêté, les machines s’étaient apaisées. Il faisait nuit noire, mais deux pinceaux de projecteurs nous prenaient dans leur lumière, comme des papillons dans celle d’une lampe. Notre paquebot s’appelait le Mehdi II, si mes souvenirs sont bons.



Nous étions entre Gibraltar et Tanger et un autre bateau approchait, il était peint en gris : Nous étions, me dit-on, arraisonnés par un bateau de guerre anglais. « Arraisonnés » … Qu’est ce que cela peut bien signifier pour un petit garçon de sept ans ?





















  Soir sur Gibraltar



- « Mais vous avez dit que vous étiez né ce soir-là ?



- « Eh bien oui ! C’est en effet mon souvenir le plus lointain : Tout ce qui a précédé, je ne sais si c’est bien dû à ma mémoire personnelle ou si j’en ai connaissance parce qu’on me l’a raconté. Mon premier souvenir, c’est bien, en effet, l’instant de ma naissance! Je suis bien né lorsque notre bateau a été arraisonné, dans des bruits et des tremblements épouvantables, des battements d’hélices hors de l’eau, alors que le navire « brassait en arrière ». Et puis rien ne s’est produit : Nous avons retrouvé nos parents. Nous nous sommes rassurés. Les hélices ont à nouveau mordu dans l’élément liquide. Je crois qu’il y avait quelques lumières du côté de Gibraltar, malgré le couvre-feu …



Je suis né ce soir-là : J’avais sept ans ! J’ai beau rechercher dans ma mémoire : je n’ai pas de souvenirs plus anciens que celui-là … Il est de nature à marquer toute une vie !




Désintégration, explosion d’un siècle et d’un monde dans le tonnerre des orages, dans les éclairs de la foudre. Avènement de jours improbables : Automne de mille neuf cent trente-neuf !






           Gérard Stricher - huile sur toile.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire