LE GINKGO BILOBA
_ " Me permettez-vous, très chère amie,
de prendre congé ? Je suis engagé pour un rendez-vous auquel je ne saurais
manquer puisque voilà que, pour un moment, le ciel a séché ses larmes. C'est un
rendez-vous très intime, celui auquel je me rendrai. Oh ! Ne craignez pas, j'y
serai tout plein de vous !
_ " Voici plusieurs jours que la pluie
ne cesse de tomber. Tant et tant il a plu que les ruisseaux débordent. Les
allées sont inondées. Le merle sautille sur la pelouse détrempée. Il vous
regarde de côté puis, au dernier moment, en quatre battements d'ailes, il
s'éloigne de trois pas. Il lance un trille. En cette fin de novembre presque
tous les arbres sont déjà nus. Leurs écorces noires ou blanches, lisses ou
gercées sont toutes luisantes . Les rameaux griffent les nuages qui passent en
troupes pressées. Le parc se prépare à l'hiver. Une vieille dame promène son
chien qu'elle tient en laisse afin qu'il ne se mouille point. Des marrons ont
roulé.
- " J'ai rendez-vous,
voyez-vous, avec un arbre qui s'appelle Ginkgo biloba. Permettez- moi d'aller
le retrouver pendant qu'il en est temps encore. Il est souple, élancé, bien
équilibré. On dit qu'il appartient à une famille très ancienne. Sa généalogie
remonterait aux éres antédiluviennes. Ses ancètres auraient été là au temps des
dinausores. C'est un arbre de qualité, distingué, élégant et riche. On dit que
c'est un arbre magique et bienfaisant. Il serait enchanteur et thaumaturge,
peut-être un peu sorcier ...
_ " De ce pas, je le vais aller
trouver tout au bout de l'allée des charmes et des bouleaux. Au beau milieu de
la clairière il flambe de tous ses feux, ayant, seul, gardé son feuillage. Par
je ne sais quelle incroyable alchimie, il en a transmuté la matière en or fin,
étincelant. Il surgit à la vue d'un seul coup, tout entier, haut fuseau
incandescent.
_ " Immanquablement on
pense à l'arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, à l'arbre de vie, on
pense au Paradis. On cherche les chérubins. On pense aussi au Buisson Ardent,
lequel se découvrit à Moïse sur le Mont Sinaï. On l'appelle
l'Arbre-aux-Quarante-Écus. C'est l'Arbre-aux-Quarante-Mille-Écus qu'il faudrait
dire, et ces écus sont tous d'un or du meilleur aloi ... Ne me parlez point
d'Esméralda, de ses cymbales, ni de ses sequins de cuivre.
_ " Voyez-vous, chère, dans le parc, tout au bout de
l'allée, j'ai rendez-vous avec un arbre prodigieux et sybillin tout à la fois.
Il porte robe de grand couturier brodée d'or. Je dois me presser de l'aller
voir car je sais que demain, d'un seul coup, il aura dépouillé sa chasuble
incroyable. Il sera nu et ses trésors seront répandus autour de lui ... Ne
viendriez-vous donc pas avec moi lui rendre une visite ? "
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