mercredi 14 janvier 2015

LA TOUSSAINT






LA TOUSSAINT



                             
                                            



                            










                      C'est la Fête des Morts ou c'est la Fête de tous les Saints ? _ Qu'importe, et qui vraiment les distingue ? _ C'est Novembre qui vient. Il pleut, évidemment. Tous les ans, il pleut à la Toussaint. Mais il ne pleut pas vraiment, juste un petit crachin. À vrai dire, un nuage très bas qui s'étend sur la terre. On ne verra pas le ciel aujourd'hui. Les toits sont luisants, les trottoirs aussi.

_ " Si tu sors, mets ton imperméable et prends un parapluie."

_ "Tiens, c'est vrai, il n'y a pas le moindre souffle de vent. Je peux prendre mon parapluie".

                  Dès que la porte est ouverte, on s'aperçoit qu'en fait, il ne pleut plus du tout. La rue est envahie par la ouate, une ouate épaisse, moelleuse, enveloppante, humide, bien sûr, mais en quelque sorte très douce, très rassurante. On y baigne. Allons, inutile de déplier le parapluie !

                  À la Toussaint, l'air a le goût du miel, un miel qui serait âcre un peu, parfumé de cinéraire, d'absinthe, de mélisse. Miel tiède, douçâtre. Ce n'est pas triste, la Toussaint. C'est la fête, une fête un peu mélancolique sans doute, mais c'est la fête. Fête du souvenir, et le souvenir est chose très douce car ne reviennent en mémoire que les choses douces, la plupart du temps .
Penser à la grand'mère et à ses aiguilles à tricoter, qu'elle croisera et décroisera éternellement, son ouvrage sur les genoux et qui, petit à petit s'allonge. Penser au grand-père, à la canne qu'il balance tandis qu'il raconte, qu'il raconte ... Penser à tous ceux qu'on a connus et qu'on a accompagnés là, un jour, vers le cimetière de la ville.
*
                   Le cimetière, c'est aujourd'hui un champ de fleurs, et ce sont ces fleurs qui donnent à l'air son goût de miel. Dès qu'on entre dans le quartier, ils sont là, les marchands de fleurs ... Des chrysanthèmes, presque partout : Tout au long des trottoirs, au pied des murs, jusque dans l'ouverture du portail. Ce n'est pas triste la Toussaint. Qui prétendrait qu'elles sont tristes, les fleurs des chrysanthèmes ? Il y en a de toutes les couleurs, de toutes les tailles, de toutes les formes : Des simples, des sophistiquées, des frisées. Il y en a qui font des boules, d'énormes boules, d'autres forment, issues d'un même pot, un fastueux bouquet, une gerbe presque, de petites fleurs serrées les unes contre les autres. Il y a du violet, du blanc, du jaune, du brun mordoré, de l'or, de la moire.

                    Les aviez vous vues, ces rangées de plantes en pots, sous les serres des horticulteurs ? Lorsque vous étiez allé là-bas en visite, toutes les feuilles étaient saines, fraîches, mais les fleurs, toutes, étaient encore en boutons, fermées sous les sépales bien serrés. Un petit tuyau noir courait au sol, distribuant l'eau d'arrosage au goutte-à-goutte, par des embranchements multiples. On pensait inévitablement à un élevage de petits poussins ... Eux aussi sont abreuvés au goutte-à-goutte ... Sous les serres, tout est mesuré : L'eau, bien sûr, mais aussi la température, l'éclairage, l'humidité de l'air, que sais-je encore ! ... Dame, c'est pour le jour de la Toussaint que les fleurs doivent être épanouies, ni la veille, ni le lendemain. Les boutons devront tous éclater au même instant. Le goutte à goutte est une clepsydre ... À la dernière goutte, tout doit exploser ... Et tout explose en effet, de toutes ses merveilles !

                      Autrefois, les pots de fleurs arrivaient sur de longues voitures à bras, poussées par des garçons en tabliers. Ces voitures, c'était des massifs de fleurs ambulants ! Maintenant, ce sont des camionnettes qui livrent jusqu'aux approches du cimetière. On les décharge et on distribue les pots :









_" N'oublie pas la grand'mère. Tu lui mets trois pots, des frisés mordorés ...

                    Je la vois, ma grand'mère. Elle est paisible. Elle tricote un tapis de fleurs mordorées qui s'allonge. Le cimetière entier est rempli de tapis de toutes les couleurs. Mon grand-père avance à petits pas dans une allée sablonneuse, en faisant tourner sa canne. Écoute, il raconte ... Des deux côtés de l'allée, il y a des fleurs, des quantités de fleurs ... Et vous voudriez que je sois triste ? ... Acceptez que la mélancolie me soit douce.

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    in " quand Oléron était une île" - Éditions du Croît-Vif

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