samedi 31 octobre 2015

SOMME TOUTE, J'AI VÉCU ...






Somme toute, j’ai vécu …
















« Aujourd’hui donnez-moi des notes joyeuses
 pour chanter le lilas (Image réminiscente),
Ma langue mes lèvres faites-moi bouquet d’images
 d’été précoce pour faire plaisir à la Nature » …

                     Walt Whitman (Feuilles d’Herbe).





Sur trois notes
L’oiseau siffleur                                                 
Deux longues une brève
L’oiseau de la nuit
Et le ruisseau chantonne à mi-voix
Les lucioles dansent entre les feuilles
Troncs très droits
Lianes pendantes
Rumeurs de l’Océan
J’ai entendu tout cela
J’ai vu

Les galets
Les vagues racassent en roulant les galets
Rabâchant rabâchant
Froufrou soyeux des chauves-souris
J’ai entendu tout cela













Grincement des charrettes
Et les chocs des machettes dans les champs de canne à sucre
Le gros khâ
Tambour
Lancinant et sourd
Un cri modulé et long
Yodel
De quelqu’un reprenant son souffle
L’aboiement du chien qui court après une mangouste
J’ai entendu tout cela

                           
Frottement de la quille sur le sable
Crissement  des avirons dans les tolets
Vrombissement du moteur hors-bord
Appels d’un canot à l’autre
J’ai entendu tout cela

Et j’ai entendu la rumeur de l’océan
Dans le creux du lambi sur ma tempe

Jaune
Jaune soufre
Noir
Se déroulant au vent
Nuages s’enroulant
Rouges
Rouge, jaune et blanc
Gris sale
Cendres d’un volcan au milieu de l’Océan
Et l’Océan est taché de jaune
Taché de vert
Comme une ecchymose
Escarboucles étincelles
Forges de géants
Roches rouges
Sable noir
Lac bleu
J’ai vu tout cela












Palmes des cocotiers
Vertes
Fumées des séchoirs à coprah
Brunes
La sylve de haute futaie
Le pigeon vert
Le lori
Les épiphytes et les lianes
Feuilles étranges et larges
Fruits pendus sous les branches
Mangos
Rouges
Sapotilles
 Bananes papayes jaune rosé
Fruit de la passion
Violets
Oranges et caramboles
Jaunes
Pommes Cythère
Tamarins et goyaves
Noix de coco et raisin bord de mer
Ah ! J’ai goûté  tous ces fruits-là
Et beaucoup d’autres encore


Grincements des vannes
Balancement des bambous
Clapotis
Le buffle dans la rizière
Noir et rose
Il porte un enfant sur son dos
Et l’enfant souffle dans sa flûte














Bécassines parmi les jeunes pousses du riz paddy
Alouettes
Sur le stûpa la corneille se perche et croasse
Fumée du bûcher funéraire
Psalmodie
Le papillon en toilette de cérémonie
Et l’odeur de l’encens
Ocre
Ocre rouge et ocre jaune
Rose porcelaine
Les bonzes et la couleur d’argent de leurs bols de riz
Épaule nue
Crâne rasé
Dans sa cage, le mainate crie
Que dit-il ?


Aigre chant d’une jeune fille de Thaïlande
Du Cambodge ou du Laos
Xylophones et Cithares à cordes multiples
Cliquetis des faisceaux de roseaux sur la terre battue
Mélanésie !
Coups sourds des tambours des Antilles
Saxos de la Nouvelle Orléans
Trompettes
Beuglement des conques de Tahiti
Ukulélés
Cliquètements des cauris fixés en bracelets
Aux chevilles des danseurs africains
Et tous les instruments des orchestres symphoniques
J’ai entendu tout cela
J’ai vu









À Sri-Lanka
Que l’on appelait Ceylan autrefois
Des pélicans avaient envahi les étangs
Les singes en troupeaux couraient après nous
Au Congo on décode les auspices aux déjections
des chimpanzés
Avant de jouer un match de foot-ball
Au Vanuatu on mâche la racine du kawa
Le kanac lance des sorts pour attirer sa bien-aimée
Le Tahitien perpétue la coutume du tatouage
Et les tupapau rôdent  par les nuits sombres
Aux Antilles on allume des bougies dans les cimetières


                                                 
Les gens qui peuplent les pays occidentaux courent
dans les couloirs
Courent sur les trottoirs
Assourdis par leurs réseaux électroniques
Tintamarre de moteurs 
Chuintement de pneus
Ils s’agglutinent sur les autoroutes et sur les plages
J’ai vu tout cela
Et j’ai vu sur des îles des fils d’esclaves devenus libres
Chanter leur joie dans les églises et sur les stades
J’ai vu cela aussi
J’ai vu des hommes aux pieds nus garder leurs troupeaux
aux flancs des collines
Cailloux cailloux
cailloux
Ils se nourrissaient de dattes et de figues
Vêtus de laine blanche
Quelques-uns montés sur leurs dromadaires s’enfonçaient
dans le désert
Désert de roses des sables
J’ai vu tout cela













                                                         

Bateaux !
Pirogues
Pirogues simples et pirogues doubles
Pirogues à balancier
Souples pirogues chant des piroguiers
Praos
Cadence des pagaies
Éclats et jets d’eau
Cris sourds cadencés
Bateaux
Très doux clapot à l’étrave du voilier
Et les poissons volants font des ricochets !
Rugissement régulier du hors-bord
Et la ligne  traîne à l’arrière
Le leurre multicolore trace un léger sillage
Marlin
Marlin bleu ou marlin noir 
Voyez comme il saute !
Paquebots
Paquebots et les glaçons des canaux de Magellan
De Beagle
Glaciers de l’Argentine et du Chili
Falaises hautes couleur d’argent
Albatros
Un sterne s’est posé sur un piquet
Devant le bureau du port à Ushuaïa
Bateaux !














Vous en souvient- il ?
Flammes des  bougainvillées
Rabat
Au jardin des Oudaïas
La tour Hassan
Rouge
Les cigognes aux nids des remparts craquettent-elles
encore ?
L’âne aveugle tourne-t-il la noria toujours ?
Fraîcheur du chant de l’eau




                                                 
La chaloupe aux atolls de Polynésie
Quatre rameurs qui n’en font qu’un
La septième vague soulève l’esquif et le porte au récif
Il faut tirer la barque avant que la suivante ne déferle
J’ai vu cela aussi !
Et j’ai vu les tortues venir tout près
Lever la tête pour respirer
Puis plonger à nouveau
J’ai vu les dauphins danser
Ils couraient sautaient puis filaient devant la proue
Gardant leurs distances
On eut dit qu’ils nous guidaient dans les passes
J’ai vu des squales de toutes sortes, des raies aux larges ailes
Elles sautaient hors de l’eau
Puis retombaient en lourds éclaboussements
Les thons passaient en troupes importantes
Filaient bleus entre deux eaux
Puis sautaient en tournoyant et les oiseaux plongeaient
de tous côtés
Les frégates noires tournaient
J’ai vu tout cela












Et j’ai vu des formes étranges bleues ou rouges
Surprenantes montgolfières qui montaient descendaient
 doucement
J’ai plongé au récif du corail
Gorgones
Forêts de buissons rouges et bleus
Verts
Des yeux clignotaient étranges
De longues chevelures ondulaient
Des ombres passaient
Des milliers d’êtres vivants arrondis ou fuselés
Autres paysages !
J’ai vu tout cela !












     
Longues plaines
Des hardes nombreuses y dansaient
De chevreuils
Antilopes et gazelles
Dans le fond des vallées les fauves veillaient
Et sur les rochers des montagnes sautaient le chamois
Le guanaco
Le bouquetin
Très haut des aigles planaient
Les condors aux larges ailes
J’ai vu tout cela aussi


Sur trois notes
L’oiseau siffleur                                                   
Deux longues une brève
L’oiseau de la nuit
Et le ruisseau chantonne à mi-voix
Les lucioles dansent entre les feuilles
Troncs très droits
Lianes pendantes
Rumeurs de l’Océan
J’ai entendu tout cela
J’ai vu

             






                                    
Les hommes et les femmes dansent
Il faut les aimer
Ils ont un ancêtre commun avec les chimpanzés 
et les bonobos
Ils dansent
Ils chantent
Ils se battent sans cesse
Ils s’étrillent et s’entretuent
Ce qui leur reste de temps
Ils le passent à regarder sur leurs écrans
Leurs semblables qui forniquent ou s’égorgent
Ou bien leur cœur bat pour des joueurs qui se disputent
un ballon de cuir
Il faut les aimer comme ils sont.

vendredi 30 octobre 2015

NE PAS PERDRE LA FACE !




















NE PAS PERDRE LA FACE !



Nous étions là depuis un temps qui nous avait paru extrèmement long. Le banc métallique était dur et l’abri-bus transparent concentrait la chaleur. Il n’y avait pas d’ombre. De l’autre côté de la rue, un laurier-rose laissait pendre une branche fleurie. Un merle s’y posa .

-     « Je t’assure que j’ai consulté les horaires, me dit Élizabeth : Le bus est en retard. »

Les voitures continuaient à passer, la plupart d’entre elles véhiculaient une seule personne et, à cette heure-là, il n’était pas surprenant que ce soit une femme qui conduise … C’était l’heure de la sortie des écoles. Une vieille femme longeait le trottoir : Elle jetait un coup d’œil, subrepticement, dans toutes les corbeilles à papier. Boulotte, elle était coiffée d’un curieux bonnet rose, en coton perlé qui lui couvrait les oreilles. On aurait dit un bonnet de bébé. Elle disparut au premier virage. Le merle lança un trille et s’envola vers un jardin voisin. Le goéland qui s’était posé sur la terrasse d’un immeuble blanc s’était mis à aboyer … C’était ce qui avait dû déranger le merle … Oscar … Je ne sais pas pourquoi, depuis toujours, j’appelle tous les merles Oscar.

Élizabeth s’était levée : Elle était nerveuse depuis un moment … Elle avait regardé sa montre plusieurs fois, puis elle s’était levée. Élizabeth porte des lunettes : Des lunettes fines à monture d’acier … Elle avait collé son nez sur l’affichette de l’abri-bus :

-     «  Non, tu vois, je ne me suis pas trompée : Le bus est en retard. »

Moi, cela ne me faisait rien, que le bus soit en retard : Je n’étais pas pressé … Mais tout de même, je commençais vraiment à avoir trop chaud !














Le bus arriva. Bien entendu, des voitures étaient arrêtées sur les lignes jaunes qui sont là pour lui réserver un emplacement. Les portes s’ouvrent avec un bruit sec. Il faut s’agripper à la poignée pour se hisser à bord. Les portes se referment : Second claquement sec … Puis, aussi surprenant que cela puisse paraître, elles s’ouvrent à nouveau : Juste en face, un portillon vient de s’ouvrir … Apparaissent six femmes, pas une de moins … Elles sont toutes habillées d’un long voile noir : Des femmes musulmanes, voilées de la tête au pied … Six, en file indienne, rangées de la plus petite à la plus grande. La première fait passer six fois de suite sa carte dans la fente prévue à cet effet. Les portes claquent à nouveau : C’est curieux, comme elles claquent fort !

Tout le monde est assis, le bus démarre.

À bien y réfléchir … Pourquoi les femmes musulmanes, ici, sont elles voilées de noir ? – J’ai passé toute mon enfance en Afrique du Nord : Pour autant que je m’en souvienne, les femmes étaient voilées de blanc. Elles tiraient un coin de leur voile pour dégager un œil … Ici, on ne voit pas de femmes voilées de blanc … Toutes en noir ! … Y a-t-il une signification à cela ? … Les unes sont-elles sunnites et les autres chiites ? – À vrai dire, je ne sais pas très bien quelle est la différence entre les sunnites et les chiites. Il faudra que je regarde ça de plus près 

Je me souviens … Nedjma … Je crois que son nom signifiait « Étoile » … Elle avait sur le front une petite marque bleue … Un tatouage, juste entre les deux yeux … Les jours de fête, les paumes de ses mains étaient rougies au henné, mais douces ! Nedjma était une très belle jeune femme, très gentille. Elle parlait très bien le Français et je l’aimais beaucoup : Chaque jour, à son arrivée à la maison, elle m’apportait des fruits : Figues vertes ou violettes, abricots, qu’on appelait des « mech-mech », mandarines ou raisins. J’aimais bien les « mech-mech » : Après les avoir mangés, tu frottes le noyau sur un mur de béton jusqu’à ce que naisse un trou à travers la coque … Tu vides ce noyau. Placé entre tes doigts, il devient un sifflet pour imiter le hibou. Ou bien tu laisses le noyau intact : De pleines poches de noyaux, j’avais : Dans la cour de l’école, on les disposait à terre, à l’intérieur d’un rond et il fallait les faire sortir de ce rond en lançant la toupie de bois …. Qu’est-ce qu’on gagnait ? – Des noyaux d’abricots!

















Nedjma me racontait des histoires, lorsque mes parents n’étaient pas là ; Elle me racontait des histoires de chez elle … Ou bien elle les inventait … Je ne sais pas.

-     « Il était une fois …

Il était une fois une jeune femme très belle. Elle était très sage. On ne la voyait jamais sortir de chez elle sans son voile … Blanc, comme celui de toutes les femmes de son pays …

Elle était si belle qu’on avait supprimé tous les miroirs, chez elle … Pour qu’elle ne passe pas son temps à regarder son visage.

Un jour, sa mère l’accompagnant, cette jeune femme, (Nous ne donnerons pas son nom) allait rendre visite à sa tante, qui habitait à la sortie de la ville … Nous dirions que sa tante habitait la banlieue … Là où l’on commence à voir des figuiers et des oliviers … Il fallait passer un petit pont sur l’oued. La jeune femme trébucha un peu sur le pont … Oh ! Pas grand’chose, mais assez pour quelle laisse échapper le coin de son voile : Elle se pencha et, comme elle surplombait le courant de l’oued, elle se vit dans le miroir de l’eau … Les ouadi, quand ils sont sages, ne courent pas bien vite et l’eau calme est  un bon miroir. La jeune femme
s’était rattrapée en saisissant le bras de sa mère, mais elle avait eu le temps d’apercevoir son visage dans le miroir de l’eau : C’était la première fois qu’elle le voyait : Ses yeux étaient comme deux escarboucles et ses joues avaient la douceur  d’une pêche !

Elle n’en dit rien, bien sûr ! Mais, plus tard, elle retourna souvent chez sa tante. Elle trouvait toujours un prétexte pour y aller sans qu’on lui pose de questions …

Elle trouvait son front blanc comme porcelaine, sa bouche était comme une cerise et ses yeux … Ah, ses yeux !













-     «  Ton époux doit être le premier à voir ton visage, lui avait dit son oncle. – Toi-même, tu ne dois pas le voir avant ton mariage. Tu perdrais la face et tu ne trouverais plus de mari ! »

Mais allez donc faire entendre raison à une jeune femme ! Lorsqu’elle passait sur le pont, elle prenait le temps d’écarter son voile et de se mirer dans l’eau … Cela lui arrivait de plus en plus souvent !

-     «  Tu perdrais la face … ! »

Un soir, elle perdit la face ! Son visage était là, dans l’eau transparente, mais elle n’avait plus de visage ! Si vous passez sur le pont, regardez dans l’eau, au bas du troisième pilier … Vous verrez le visage de la jeune fille : Sa bouche de cerise, ses yeux d’escarboucles, son front de porcelaine et ses joues veloutées comme des pêches … Vous rencontrerez peut-être la jeune femme : Elle est voilée et ne quitte pas son voile. Mais si le vent souffle un peu, l’image, dans l’oued, frissonnera, se ridera : Il y a déjà bien longtemps que la femme, qui était jeune alors, a « perdu la face ».

Le bus s’arrête là. Six femmes voilées de la tête au pied en descendent, l’une après l’autre. Leur voile est noir … Celui de Nedjma était blanc, tout ce qu’il y peut y avoir de plus blanc. Elle avait un tatouage sur le front, bleu, en forme d’étoile.

jeudi 29 octobre 2015

LA MADELON















On nous en a tant montré
Des casquettes et des tricornes
Des médailles et des galons
Des panaches de plumes d’autruche


On en a tant fait sonner
Des cors et des trompettes
On en a tant frappé
Des tambours et des cymbales


Nous avons tant chanté
Les glorieux lendemains
Nous avons tant hurlé
De vivats et de hourras !


On nous en a tant montré
Des guêtres
Des bottes et des baudriers
Des images et des couleurs


On nous en a tant conté
Que nous avons oublié nos coeurs
Qui battaient




Je verse aujourd’hui
Quatre poignées de cendres
À la mer


C’était tout ce qui me restait
De toi.