Pour aller voir les abeilles, tu mets des vêtements amples.
Ainsi, elles ne pourront pas te piquer à travers le tissu. Tu mets des bottes,
des gants épais. Sur ta tête, tu mets un canotier comme en portait Maurice
Chevalier. De ses bords tombe un tulle de toile à moustiquaire, que tu fais
bouffer un peu avant de le rentrer sous ton col. Équipé de cette façon, en
principe, tu ne crains rien.
Je me souviens pourtant que mon père ... Il avait dû mal
disposer son voile ... dût garder le lit pendant plusieurs jours. Il s'était
fait piquer, avait fait une réaction allergique ... Son visage était gonflé,
gonflé !
- " Ma tête ressemble à une tête de veau bouillie. Il n'y a
plus qu'à me mettre du persil dans les narines !"
La sortie des cadres
Pierre Perroteau, lui, ne se faisait jamais piquer. Il manipulait un petit soufflet, ( catalogue Manufrance !) une toile de jute s'y consumait lentement , rougeoyant, dégageant une fumée jaunâtre, âcre. Le "Gros Pierre", ( rien ne justifiait ce sobriquet, mais peut-être qu'il l'avait mérité un jour ?) Le "Gros Pierre dirigeait le jet de fumée vers l'entrée de la ruche. Il en soulevait le toit , enfumait les rayons de la hausse. Il ôtait les cadres et les déposait dans une cantine militaire réservée à cet usage. Il la refermait. Les insectes semblaient engourdis et ceux qui revenaient des champs, les pattes chargées de pollen, se tenaient à distance. Examen de la ruche : Pas d'araignées rouges ( cela vous détruit toute une ruche, les araignées rouges ! ) Du propolis bien réparti ... On replaçait la hausse vide, on lui remettait son toit. On emportait la cantine et ses rayons de miel. On reviendrait plus tard pour replacer les cadres lorsqu'ils seraient vides.
L'extraction du miel avait lieu à Saint-Georges, chez le
"Gros Pierre" : Vaste maison bourgeoise, l'une des plus vastes
du bourg. Le père de Pierre Perroteau avait été percepteur, je crois. Je me
souviens d'une grande cuisine, d'une large cheminée devant laquelle il y avait
un tourne-broche à mécanisme d'horlogerie ... Curieuse impression de fin
d'époque et de fin de race ...
LA CENTRIFUGEUSE
Le "Gros Pierre" ne s'était jamais marié. Il n'avait jamais travaillé non plus. Il avait vivoté au rythme des ventes de morceaux de terrains qui avaient constitué son patrimoine. La table, dans la cuisine, était en permanence encombrée de papiers gras et de reliefs de repas. Dans la pièce attenante, là où se trouvait l'extracteur à miel, le plafond à demi écroulé, victime des termites, laissait passer les pieds d'un lit de fer forgé. Il y avait une accumulation d'articles de pêche et de meubles déglingués. De l'autre côté, il y avait une grande salle à manger qui n'était plus utilisée depuis longtemps ... Longue table, chaises droites. Il y avait un tapis de poussière sur les meubles. Aux murs étaient accrochés des cadres aux vitres bombées, ne contenant plus que des petits tas de plumes là où il y avait eu des oiseaux naturalisés. . J'ai connu la mère de Pierre Perroteau, elle était Créole. Énigmatique personne, faisant un peu le ménage de son fils, passant les après-midi au soleil, assise devant sa porte, dans un fauteuil de bois au dossier paillé. Le teint de Pierre Perroteau, terreux et gris avait conservé quelque chose de ses origines mêlées. La famille avait fait fortune aux Antilles autrefois ... Une fortune dont il ne restait rien. Mais j'ai vu le "Gros Pierre" surveiller les foins et les battages dans des fermes qui ne lui appartenaient plus.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire