Il était une fois une princesse si belle, si belle, que même les
fleurs, les oiseaux et les poissons lui rendaient hommage.
Elle demeurait dans un beau palais en bambous tressés, au bord
d'une plage. Pour assouvir ses désirs, elle n'avait qu'à étendre le bras : Tous
les fruits de la création pendaient à portée de sa main. Pour étancher sa soif,
elle n'avait qu'à demander à son serviteur d'ouvrir une noix de coco.
Elle se baignait souvent, tantôt sous la cascade, tantôt dans le
lagon. Elle portait une robe blanche de tapa, c'est à dire d'étoffe végétale.
Elle allait pieds-nus, mais le plus souvent, son serviteur la portait sur ses
épaules afin qu'elle ne se blesse pas.
La princesse s'appelait Rorandini. Son île s'appelait Viti-Levu
et l' endroit où elle habitait s'appelait Suva. Cherchez bien sur la carte :
Vous voyez le grand océan Pacifique ? Vous avez trouvé l'Australie ? Cherchez
bien alentour : Vous allez trouver l'archipel des îles Fidji et vous ne
tarderez pas à mettre le doigt sur l'île de Viti-Levu. C'est ici et voilà Suva
où s'est bâtie la capitale de cette nation. Vous voyez, mon histoire est
ancienne, mais le pays est bien réel : Il existe toujours.
Si vous promenez votre doigt aux environs, vous rencontrerez un
autre archipel, nommé Tonga ... Pas très loin ... Enfin, pas très loin ... Il
faut penser qu'au temps de mon histoire, les gens ne se déplaçaient qu'en
pirogues : De grandes pirogues parfois, doubles pour plus de stabilité. Elles
avançaient à la pagaie ou à la voile. Les voiles étaient de faites de feuilles
de pandanus tressées. Connaissez vous le pandanus ?
La princesse Rorandini vivait donc à Suva. Tous les princes et
les chefs des îles Fidji, tous sans exception, la trouvaient charmante. L'un
après l'autre, chacun venait l'inviter à la danse, quand sonnaient les
tambours. Mais Rorandini refusait de danser. Chacun, l'un après l'autre, était
venu la demander en mariage, mais Rorandini refusait toujours de se marier.
Pourtant, ils étaient beaux, les guerriers fidjiens ! Musclés,
le corps d'un beau noir brillant, les cheveux crêpus formant auréole, les yeux
ardents, et courageux au combat ! Ils portaient des colliers d'os et de dents
de cochons. Ils dansaient au son des tambours, en frappant le sol avec des
bottes de roseaux qui bruissaient.
Ils ne craignaient que les dieux. Burotou était le royaume des
dieux, qui s'en échappaient parfois ... Les Fidjiens craignaient surtout
Levatu, la déesse qui planait souvent au-dessus des flots .
Personne ne comprenait la conduite de la princesse Rorandini.
On s'aperçut bientôt que, pourtant, elle ne refusait pas
toujours de danser ... Elle dansait chaque fois qu'une fête était donnée en
l'honneur des Tongans. Il en venait souvent, des Tongans : Leur archipel n'est
tout juste qu'à quelques jours de pirogue. Leur venue était toujours l'occasion
de grandes fêtes, tout comme à Tonga, lorsque des Fidjiens débarquaient.
Rorandini dansait, mais elle ne dansait qu'avec des Tongans,
jamais avec des Fidjiens ! Quand on s'en aperçut, vous pensez si l'on fut
jaloux ! _ Les Tongans n'avaient pas les cheveux crépus : Ils les portaient
noirs, longs, lissés à l' huile parfumée et noués en chignon. Leur corps
n'était pas sombre : Ils avaient la peau cuivrée. Ils portaient des colliers de
fleurs et des bijoux de nacre. Leurs yeux étaient aussi ardents que ceux de
Fidjiens et leurs danses étaient endiablées. Ils chantaient admirablement. Ils
ne rêvaient rien autant que de gagner Burotou, à la fin de leur vie, pour y
rejoindre les dieux et partager avec eux des délices éternels.
Mais pourquoi donc Rorandini donnait-elle la préférence aux
Tongans ? Nul ne pouvait répondre à la question.
Un jour, plusieurs chefs tongans arrivèrent spécialement pour
saluer la princesse. Pour se préparer à la danse de la soirée, elle désira
avoir des fleurs odorantes afin de s'en tresser des couronnes, mais elle
voulait les fleurs les plus belles, celles qui seraient les plus suaves. Elle
pensa, ( C'était une folie sans doute ! ), elle pensa envoyer un messager
demander à Ndandarakaï, grand esprit qui demeurait à Lamy, près de Suva, des
fleurs cueillies dans les bocages odorants de Burotou ... Rien de moins ! _ Des
fleurs qui auraient été cueillies dans le royaume des dieux, lequel se trouvait
caché sous la mer, à l'ouest des îles Fidji !
Ndandarakaï avait rencontré des guerriers fidjiens. Il était au
courant de l' étrange conduite de la princesse. Il renvoya le messager :
_ " Va dire à Rorandini que je n'aime pas qu'elle danse
avec les Tongans. Ce sont des étrangers : Les couronnes de fleurs odorantes de
Burotu ne sont pas pour eux. "
Mais Rorandini se savait belle. Elle savait que personne ne
résistait à ses désirs. Elle se rendit elle-même à Lami et elle supplia l'
Esprit de lui accorder les couronnes qu' elle demandait.
_ " Grand Ndandarakaï, lui dit-elle, donne-moi, pour la
danse de cette nuit seulement, des fleurs odorantes des bocages de Burotou. Si
tu veux bien me les donner, je te promets que ce sera la dernière fois que je
danserai avec les Tongans. Donne-moi, pour cette nuit seulement, les fleurs
odorantes et je t'appartiendrai, à toi seul ... "
_ " Alors va danser, Rorandini, et sois heureuse avec les
Tongans. Mais ce sera la dernière fois car, demain, je viendrai te chercher. Tu
m'appartiendras, et tu n'appartiendras qu'à moi seul. Tu viendras ici, à Lami,
pour y vivre avec moi. "
_ " Mais où sont les couronnes de fleurs odorantes?"
supplia la belle princesse ...
_ " Va danser ... Il faut que les Tongans te voient telle
que tu es. Pendant que tu danseras, les couronnes de fleurs odorantes des
bocages de Burotou tomberont sur ta tête et couvriront le sol à tes pieds. Les
Tongans verront comme tu es belle, et ils sauront alors que tu n'appartiens
qu'à moi, à moi seul. "
Rorandini retourna à Suva. Au coucher de soleil, les Tongans
commencèrent à faire la fête. La lune se leva, la danse commença ... Aucune
fleur, aucune couronne ne tomba sur la tête de Rorandini. Elle était furieuse :
Elle pensait que Ndandarakaï s'était moqué d'elle. Néanmoins, les Tongans
étaient en admiration devant les charmes de sa jeune beauté.
Tout à coup, venues d'en haut, couronnes sur couronnes, toutes
composées des fleurs les plus choisies et les plus suaves des bosquets de
Burotou, descendirent sur sa tête et tombèrent sur le sol à ses pieds. Elle
regarda en l'air et sourit ... Les Tongans la trouvèrent plus belle encore.
Aussitôt, elle arrêta la danse. Elle demanda aux Tongans de préparer leurs
pirogues et de l'emmener immédiatement à Tonga. Fiers de ce choix, ils ne
perdirent pas de temps : La flotte des Tongans s'éloigna. A la pointe du jour,
ils avaient atteint une île appelée Lakemba.
Au lever du soleil, Ndandaraka, le Grand Esprit, se rappela les
paroles de la jeune princesse :
_ " Ce sera la dernière fois que je danserai avec les
Tongans, puis je serai à toi. "
Il se rendit à Suva pour voir sa nouvelle épouse : Elle était
partie ! Par l'intermédiaire de la racine d'un arbre sacré, ils appela un
millier de génies-charpentiers, qui demeurent sous la terre :
_ " Construisez moi un canot : La coque en bois de litchi,
le pont dans un autre bois, le mât dans un autre encore et les vergues dans un
quatrième bois, différent. Tout ce que je vous demande, c'est de ne choisir que
des bois provenant d'arbres fruitiers : Il y en a bien assez aux environs ! Je
vais boire la boisson sacrée ; il faudra que le canot soit lancé, la voile
hissée, lorsque j'aurai fini de boire ... "
Au moment même où les Tongans quittaient l'île que l'on nomme
Lakamba avec la belle Rorandini, Ndandarakaï partait de Suva dans son canot
neuf. Il dit à son timonier :
_ " Avec le vent tel qu'il est orienté aujourd'hui, le voyage
doit se faire par Lakamba : Gouvernez vers Lakamba."
Le second jour, alors que le soleil se levait, Ndandarakaï
atteignit la flotte des Tongans, qui s'éloignait de Lakemba. Regardant vers les
cieux, il vit la déesse Levatu, qui était la mère de sa mère. Elle planait
au-dessus de son canot.
_ " Dis-moi; Levatu, comment dois-je faire pour délivrer la
belle Rorandini qui se trouve dans le canot de ces Tongans fanfarons ? "
En entendant la prière de Ndandarakaï, tous les Tongans
tremblèrent de peur au seul nom de l'impitoyable Levatu. Ils se mirent à
trembler et ils s'empressèrent de pagayer plus vite. Rorondini elle-même, se
cacha sous les fines nattes que ses amis avaient gagnés à la danse.
Tout à coup ... Ce fut extraordinaire : Le canot de Ndandarakaï se couvrit de fruits mûrs. La coque, le pont, le mât, les vergues portaient chacun les fruits de l'arbre qui avait servi à le construire.
Levatu, d'en haut, secoua le canot , et les fruits tombèrent
parmi les Tongans. Oubliant leur peur et oubliant même la princesse, ils se
bataillèrent pour s'emparer de ces excellents fruits. La bataille était si
confuse qu' il était impossible de distinguer quoi que ce soit.
Ndandarakaï, aidé par Levatu, enleva lestement sa nouvelle
épouse du canot des Tongans. Elle était toute tremblante. Il la déposa dans son
propre canot. Il fit aussitôt route vers Suva, laissant les Tongans se lamenter
pour la perte de la princesse Rorondini.
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