LE MIEL - OLÉRON (2)
Pierre Perroteau fréquentait mon oncle Marc Mérignant ( le frère aîné de ma grand'mère paternelle ), Celui-ci était un ancien Administrateur-en-Chef des Colonies, (Le « en chef » m’impressionnait beaucoup !)… Il avait exercé ses fonctions à Madagascar. Il était lui-aussi célibataire. Chaque soir, Pierre Perroteau venait faire "la partie" chez mon oncle, avec "Compagnon( ... Vous n'avez pas connu "Compagnon" ? Petite taille et forte moustache, chemise blanche et pantalon de grosse toile, fumant une éternelle pipe. Il habitait la maison voisine de celle de mon oncle. Il avait été "Compagnon du Tour de France". Cela m'émerveillait. J'ai toujours pensé, mais je n'en ai aucune preuve, qu'il avait été tailleur de pierre... Un Commandant en retraite faisait le quatrième. Il avait été l'un des derniers grands Cap-horniers et un albatros aux ailes déployées plane sur sa tombe.
Pierre Perroteau portait habituellement un faux-col, assez
marqué par la crasse. Il arborait une large lavallière et un large chapeau. Sa
veste sombre luisait par endroits ... Ayant déposé la cantine de fer à côté de
la centrifugeuse, s'aidant d'un couteau à la lame souple, il désoperculait les
rayons de miel, les plaçait dans la cuve. C'était moi qui tournais la manivelle
de la centrifugeuse et je n'étais pas peu fier de cet acte de liturgie !
-" Régulièrement et pas trop vite ! "
Je ne suis pas un grand amateur de miel, mais ces jours-là ! ...
Le parfum du miel d'acacia, coulant clair dans les bocaux ! On écrasait un
morceau de rayon, le miel vous emplissait la bouche et la cire collait à vos
dents ...
Comme nous passons toutes nos vacances d'été dans l'île d'Oléron, là où sont nos racines, je connais bien ce bourg de Saint-Georges, serré autour de son église. Quand on monte au clocher, sur la grosse cloche de bronze, on peut lire le nom de mon aïeul, qui en fut le parrain; À vrai dire, il n'y a pas de véritable clocher, à peine un campanile. L'église est en partie romane, elle date du XI eme et du XIII eme siècles. Elle s'enorgueillit du souvenir d'Aliénor d'Aquitaine. De la seigneurie il ne reste guère que des traces. Grosses bâtisses et hauts murs, larges cheminées de pierre. Le bourg compte trois ou quatre maisons bourgeoises portant toutes le nom de "château". L'une porte encore le nom de ma famille, ayant été édifiée par mon aïeul, le Médecin de Marine, à son retour du Japon.
Chez mon oncle Marc, je revois des portes à rideaux de bambou et
de perles de verres. Ces portes donnent sur une cour gorgée de soleil. Je
revois un papier tue-mouches, pendant au plafond du couloir. La chienne veille,
au pied de l'abricotier, attendant patiemment que tombe un fruit bien mûr. Dans
le grand buffet ciré, je sais qu'il y a des sucres d'orge et des berlingots que
mon oncle ramène de ses cures à Vichy, avec les célèbres pastilles blanches
mentholées, demi sucrées, demi salées. Il est parcimonieux dans ses
distributions. Nattes de rabane malgache, quelques objets exotiques, dont un
coquillage coupé en deux qui sert de cendrier. Dans l'atelier au fond de la cour
: tout l'attirail de Bouvard et Pécuchet, outils à bois, rangés au tableau par
tailles décroissantes, outils à métaux, perceuse, scies ... Et l'inévitable
tour à bois mû par un moteur électrique à transmission par poulies et courroies
apparentes.
-"Gratouillard ! Farfouillard ! Salopard ! Fous-moi le camp
d'ici !"
Je venais de me faire surprendre au moment où j'empruntais sans
autorisation une "clef à huit trous" pour réparer mon vélo Quant au
premier des trois qualificatifs dont j'étais ainsi affublé, il était dû à
l'urticaire dont l'été m'accablait immanquablement.
Derrière son atelier, au milieu du grand chai, mon oncle
fignolait un canoë à partir d'un flotteur d'hydravion : superbe travail ! Nous
fîmes une fois l'essai de ce bateau, dans le canal, près du bourg. Ce fut un
grand moment !
Un autre chai abritait deux voitures. L'une verte, l'autre
grise. Toutes deux étaient des cabriolets. L'une, raffinée, était utilisée une
fois par ans, pour les départs à Vichy, l'autre servait pour les routes poussiéreuses
de l'île d'Oléron qui ne connaissaient que peu l'asphalte. À dire vrai, l'oncle
Marc était un peu pingre sans doute : Il économisait sur l'essence et tâchait
plutôt de se faire véhiculer par les autres. J'eus rarement le bonheur de
monter dans le spider, à l'arrière de "la verte". C'était grisant
pourtant : on sentait le vent vous fouetter la figure.
Mon oncle Marc est mort le jour de mon baccalauréat. Selon son
testament, il laissait "tout", "absolument tout" à mon
père, Lucien ... Il fallut vingt cinq ans de procédure pour faire lâcher prise
à sa fratrie qui contestait le testament ! Lorsque tout fut réglé, les deux
voitures étaient pourries.
Sur un terrain boisé, il avait fait construire un pavillon. Les
néfliers pullulaient. Il en avait greffé sur tous les pieds d'aubépine. Vous
parliez de Bouvard et Pécuchet ? - Je n'ai jamais mangé une nèfle qui soit
bonne ... Vous croyez que ça arrive à mûrir sans pourrir, ces fruits-là ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire