vendredi 23 juin 2017
LE NAUFRAGE DU SAINT ABBS (SUITE)
LE NAUFRAGE DU SAINT ABBS (SUITE)
Je trouve un endroit qui est resté sec ...
Je m'enveloppe dans
ma capote et je dors jusqu'au matin ...
_"Il ne nous reste plus qu'une chance ... une seule chance de sauver les vingt huit personnes qui se trouvent à bord ... Heureusement, tous sont des hommes, mais plusieurs ne savent pas nager ...
" L'idée est de lancer à la mer un lourd espar, attaché à une longue ligne et de le laisser dériver jusqu'au récif ... Nous pourrions ainsi établi une communication, précaire bien sûr, avec le récif.
_"Nous faisons un essai ... L'espar atteint bien le récif mais, lorsque nous hâlons la ligne, nous ne pouvons que constater que l'espar ne s'est pas accroché aux rochers : C'est un échec !
_" Est-ce que nous ne réussirions pas mieux si quelques hommes gagnaient le récif ? ... Le canot, dernière embarcation intacte, représente pour beaucoup d'entre nous le dernier espoir ...
_" Le temps passe ... Nous sommes le seize juillet. Midi approche. La marée sera à son niveau le plus bas vers une heure ... Il ne semble pas que notre navire, pourtant remarquablement robuste, puisse tenir encore une marée ... A coup sûr il se brisera la nuit prochaine ... Le Capitaine Campbell propose alors de faire lui-même une nouvelle tentative avec le canot. Deux matelots sont désignés pour l'accompagner : Bouche, un Français de Jersey et Edge, un Anglais.
_" Nous mettons le canot à la mer avec les plus grandes précautions ... Nous le descendons par l'arrière ... A l'instant-même où il est à l'eau, les amarres sont filées ... Le bateau est soulevé sur la crête d'une énorme vague ... Il navigue à travers les écueils, s'approche du récif ... D'un seul coup, il chavire ! ... Le Capitaine et les deux marins gagnent le récif ... Ils y sont maintenant en sécurité, mais le canot est perdu !
_"Nous qui sommes restés à bord, nous assistons alors à une scène étrange et douloureuse ... Ne se préoccupant que de sa sécurité personnelle, le Capitaine n'essaie même pas d'accrocher l'espar ... Il traverse le récif à toute vitesse pour aller jusqu'à l'île Bird, suivi par Edge ... Bouche, le petit Français, reste courageusement, seul, sur le récif, jusqu'à la marée montante...
Mais, seul, que pourrait-il faire ?
_" Je ne peux pas dire que cette idée d'accrocher un espar m'ait inspiré vraiment confiance ... C'est sans aucun espoir ... Néanmoins le devoir du Capitaine n'en aurait pas moins été de se mettre à la recherche de cet espar. Il devrait bien également tenter de récupérer le canot ... Il ne fait ni l'un, ni l'autre! ... Le seul commentaire que je veux en faire, c'est que, lorsque je devrai traverser le Styx ... Si c'est lui qui gouverne le bac ... Je chercherai un autre passeur ! ...
_"Il ne nous reste plus que très peu de temps pour prendre une décision. Une nouvelle nuit à bord est inimaginable ... Elle signifierait une mot certaine.
_" Mon ami Bell et moi, nous en tirons la conclusion que notre seule chance est de gagner la côte à la nage. Nous nous préparons aussitôt ... J'enfile une chemise, un gilet, des caleçons de flanelle ... J'attache dans un mouchoir une boîte de lait, une pipe, un peu de tabac ... J'enlève mes chaussures et mes chaussettes ... Avant de quitter le pont, je vais faire mes adieux à Monsieur Stone, le Maître d'équipage. Pauvre homme ! Il n'y a pas de miracle ... Il est au fond du désespoir : Il a une femme et des enfants et, comme il ne sait pas nager, il n'y a pour lui aucun espoir. Je tente de le réconforter en lui disant que Bell et moi, nous accrocherons l'espar dès que nous serons sur le récif ... Après un au-revoir à tous, nous quittons le bord : Je me laisse glisser le long d'un cordage. Bell me suit.
_"Concentré, absorbé par les difficultés d'une telle entreprise, on perd la notion du danger : Les pensées, tout comme les nerfs, se tendent en vue de la réussite. Un adage arabe s'énonce ainsi :
_"Ne dis jamais à ton âme que tu pourrais ne pas réussir ..."
_"C'est une bonne maxime ! ... Par ailleurs, celui qui a la volonté d'aider les autres voit monter en lui une sorte d'exaltation, une sorte d'ivresse, qui permet souvent de se tirer des périls les plus imminents ... Ainsi, je n'ai aucunement conscience de courir d'autres dangers que ceux qui peuvent provenir des vagues et des brisants ... Il y en a pourtant un autre ... Beaucoup plus effrayant ! ... Je ne sais pas si j'aurais eu le courage de l'affronter consciemment ... Plus tard, j'apprendrai ... que la mer grouille de requins !
_"Nous n'avons, Bell et moi, pas plus tôt sauté à l'eau, qu'une énorme vague nous engloutit et nous sépare à jamais ... Plus tard, on me racontera que, pendant que je nageais dans les vagues, ceux qui étaient restés sur le pont virent mon compagnon lever les bras au ciel puis, soudain, disparaître ... Je pense qu'il a été emporté dans les profondeurs par un requin.
_"La première masse d'eau qui m'atteint me submerge ... Elle m'assomme à moitié ... Pendant plusieurs secondes, je suis complètement recouvert ... Je me rends parfaitement compte de ce que serait le résultat de quelques expériences de cette nature:
Lorsque le corps est en danger de mort, l'esprit fonctionne à toute vitesse ... J'ai lu quelque part, je m'en souviens, que la meilleure solution, dans un cas comme celui-ci, est de se jeter en arrière, la tête tournée vers la vague qui arrive ... C'est ce que je fais dès l'arrivée de la vague suivante ... Au lieu d'être submergé et roulé par la vague, je suis projeté en avant et me voila allongé en bonne position lorsque la vague me passe dessus. Je répète la manoeuvre, encore et encore ... Jusqu'à ce que je me rende compte avec bonheur que mes pieds touchent le fond.
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