NAUFRAGE DU SAINT ABBS
_"Terre ! " crie quelqu'un ...
Juste au moment où
nous
nous réveillons ...
Ce cri est accueilli comme une véritable
bénédiction : L'espoir revient avec le
petit matin !
_" Là ... Nous en sommes sûrs ...
Presque sous
le vent ... On distingue, sans erreur
possible ...
L'ombre d'une petite île basse. Dans la
lumière
encore pâle, elle semble couverte de roseaux
ou
de bambous que surmonteraient leurs fleurs,
comme de grands panaches ... Lorsque le
soleil
disperse les brumes matinales, on apporte
les
longues-vues ... Il apparaît clairement
qu'il ne
s'agit ni de roseaux ni de bambous, mais que
d'innombrables vols d'oiseaux de mer planent
au-dessus de l'île, au ras du sol ...
La lumière devient plus vive. Elle nous
découvre
une
seconde île, plus grande et plus haute, sous
le
vent ... Elle est un peu plus éloignée ...
_"Nous avons fait naufrage entre ces
deux îles,
sur le récif qui court sans doute de l'une à
l'autre
. Nous saurons plus tard que la plus petite
est
l'île Bird. La plus grande est l'île
Juan-de-Nova.
Nous nous trouvons dans le groupe des îles
Farquhar, situé à deux cents milles au
nord-est
de Madagascar. Les rouleaux se fracassent
sur
le récif et le submergent complètement à
marée
haute. De toute évidence, aucun bateau ne
saurait demeurer intact au-milieu de
semblables
déferlantes. Les vagues énormes, soulevées par
les
vents du sud-est et poussées jusque là en
une course ininterrompue à travers l'Océan-
Indien, sur plus d'un millier de milles,
s'écrasent
sur
les écueils qui brisent leur course
triomphante. Celui qui n'a pas assisté à
pareil
spectacle peut difficilement imaginer leur
déchaînement.
_"Le soleil se lève, le treize juin,
sur un véritable
spectacle de désolation : Le navire est
naufragé,
démâté, entouré d'épaves ...
_" Le Saint-Abbs possédait trois
embarcations :
Une baleinière et deux canots, mais l'un de
ces
derniers a été écrasé lors de la chute des
mâts et
du gréement. Il ne reste donc plus que la
baleinière et un seul canot. La baleinière,
qui se
trouve sous le pont principal, a servi
d'abri aux
porcs et aux moutons pendant tout le
voyage...
Elle n'est pas en excellent état pour
prendre la
mer ... C'est pourtant elle qui représente
notre
seul espoir de sauver ceux qui ne savent pas
nager car on ne peut même pas envisager de
lancer un radeau ... Aucun être vivant
n'aurait
une chance de tenir sur un radeau : La mer
est
tellement démontée !
_" La marée atteindra son niveau le
plus bas vers
midi.
Nous tenterons de gagner le récif à cette
heure-là
...
Tous nos efforts se concentrent en vue de la
mise à l'eau de la baleinière ... Il faut
d'abord la
hisser avec les palans ... La manoeuvre
n'est pas
facile ! Vers dix heures trente, pourtant,
la
baleinière a été descendue. Elle flotte le
long de
la coque du Saint-Abbs. Monsieur Stone,
le Maître d'équipage est à son bord avec
deux
matelots ...
_" Il ne faut pas plus de cinq minutes
pour
qu'elle soit mise en morceaux ! ...
Le Maître d'équipage, évanoui, est remonté
le
long du bord avec les plus grandes
difficultés ...
Plus agiles, les deux matelots ont sauté
juste à
temps.
_" Les débris de la baleinière restent
suspendus .
.. Pour aujourd'hui, tout espoir de
sauvetage est
perdu. Monsieur Stone est très affecté : Il
ne sait
pas
nager ! Il désespère et se recroqueville dans
un
coin ... C'est navrant pour nous tous car
Monsieur Stone est très apprécié pour ses
grandes qualités de marin.
Jamais un après-midi n'a été plus triste !
...
Nous restons assis, contemplant la vague qui
bat le navire condamné et le met en pièces
...
Les oiseaux de mer tournent autour de nous.
Ils crient. On ne perçoit aucune sympathie
dans
leurs voix discordantes et je ne suis pas
dans un
état qui me permettrait d'admirer la grâce
de
leurs évolutions circulaires ... Il est
évident qu'ils
nous
observent avec la curiosité la plus intense.
Il n'y a aucun doute là-dessus : Leur va et
vient
n'a pour seul but que la contemplation d'un
spectacle inhabituel ...
_" Tout a une fin pourtant ... même la
journée la
plus triste et la plus longue ! Le soleil
finit pas se
coucher... La nuit tombe.
La situation est désespérée ... Le navire
est en
voie de destruction rapide ... Nul ne peut
dire à
quel moment, dans combien de temps nous
serons précipités dans l'éternité ... Tout
est brisé,
sur
le pont ... A chaque coup de boutoir, suivi la
plupart du temps d'un long frémissement,
nous
voyons arriver notre fin.
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