lundi 3 décembre 2018

L'ATOLL ...










 






C’était hier, ou bien avant ? ...

Il y a une tache claire parmi les bois vieillis

 au milieu du wharf. Le père a remplacé

une planche pourrie. On la repeindra un

de ces jours.




Les pieds dans l’eau verte, une fillette

écaille des poissons. On mangera tôt.










L’idiot est accroupi sous l’auvent.

Il se balance d’avant en arrière. Il garde

les yeux mi-clos. On croirait qu’il

chantonne. Un filet de salive s’étire à sa

lèvre. Avant, arrière ... Les doigts remuent

 sans cesse, plissant et déplissant le coton

du pareo.





À cette heure, le lagon est un plateau

d’argent. On le regarde de côté pour ne

pas se brûler les yeux. La nuit viendra

d’un seul coup, comme a fait le matin.

Le matin, les coqs chantent, le soir les

chiens aboient.












Qund la lumière est forte, on cligne des

yeux. Quand elle disparaît, on allume la

lampe à pression. On fait de la fumée

pour chasser les moustiques. C’est de la

toile de sac humide qui se consume dans

des boîtes de conserve.



Le soir, on met la radio, ou bien on joue

de la guitare.











La mer monte un peu. Elle descend un

 peu. Le sens du courant s’inverse.

Les blocs de corail émergent un peu

moins ou bien s’élargissent un peu plus.

La plage s’étrécit un peu, ou bien s’élargit

un peu.





C’est au tout petit matin que les hommes

vont chercher les noix de coco sur l’îlot

voisin. La mère en râpe la pulpe. Elle est à

 califourchon sur un trépied. Son paréo est

 ramené entre ses cuisses. Le déjeuner

sera prêt avant ... avant que le temps ne

s’arrête, que le temps ne s’étale.









On ira s’asseoir sous les bouraos. La parole

 est rare. Appuyées en arrière, le coude

déboîté, les femmes roulent des cigarettes

minces. Les hommes dorment.





Dans la maison s’empilent des coussins de

 couleurs chaudes. Une antique machine à

coudre luit de son métal noir et de ses

inscriptions dorées. Coquillages sur la

table. Coquilles encore, enfilées en colliers

 ou dressées en corolles, montées en

suspensions.











L’idiot, toujours, remue le bout des doigts.

 En arrière ... En avant ... Il se balance.

Sous l’arbre, les ombres sont mauves et

violettes.


un filet de nylon bleu pend à une branche.





Pas un souffle de vent.



Ne pas porter le regard sur tout ce corail

blanc, ou bien fermer les yeux très vite.



 




La goëlette est venue, la semaine dernière.

 Elle reviendra. Il y a du riz dans la réserve,

du boeuf en boîte et de l’huile. Il n’y a plus

 de bière. Elle est bue le soir même du

débarquement ... pour donner de la saveur

 au temps ... À même le goulot.

Avant l’aube, sous les étoiles, les bouteilles

 vides s’en vont en farandoles, doucement, doucement, 

portées par les courants.












L’idiot ? - Il a toujours été là.





La mer est une bassine à friture.

Elle rissole au soleil, grésille d’argent,

comme de milliers d’anchois frétillant.

La pirogue sur le sable, gros insecte,

demeure immobile. Le chien dort en

dessous. Une année, un cyclone a emporté

 les tôles.











C’est toujours le père qui, le premier,

aperçoit le bateau quand il arrive. , bien

avant que le haut du mât ne pointe à

l’horizon. On croirait qu’il le sent, qu’il le

devine.





Quand on aura porté le père au cimetière,

derrière le muret blanc, ce sera son fils ...

Il y a toujours un fils, de quelque façon

que ce soit. C’est lui qui devient le père.

Il annonce l’arrivée des bateaux.


,

 




Deux oiseaux blancs volent en formation,

reliés entre eux par quel insondable

mystère ? Ensemble ils montent,

ensemble ils descendent puis ils tournent

d’un même mouvement.











Les poissons, invisibles, s’engagent sans

doute dans les labyrinthes des pièges et

des parcs, sans violences. Une raie saute

dans la passe, puis le monde redevient

absolument lisse.


 




Le dimanche, on va tous à l’église :

Femmes aux chapeaux tressés, blancs ...

Hommes en chemises blanches et

pantalons. Le prêtre ne sera pas là ...

Peut-être par un prochain bateau ?



 



L’ombre tourne sous l’arbre.



 



L’idiot est toujours sous l’auvent, accroupi,

 et , toujours, il se balance. Il chantonne

vraiment, cette fois. Sa mélopée se mêle à

la voix des vagues déferlant sur le récif.





_”Mais pourquoi l’appelez-vous “l’idiot”.

Chez nous, ces gens-là sont respectés

comme les anges !”



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire