LES JARDINS DES ILES
Quelque bédouin, arpentant les grèves à
l'amble de son
chameau du côté de Mascate ... Quelque marin traînant sur le
sable sa chaloupe ou son prao ... Cela arrivait parfois :
_ On découvrait dans
l'écume de la vague un fruit bien
curieux dont la rareté et l'aspect faisaient
tout le prix, lequel
était considérable...
C'était un fruit beaucoup plus gros qu'une
noix de coco ...
C'était le fruit le plus gros et le plus lourd qu'aucun arbre
ait
jamais porté. Une noix double, venue on ne savait d'où, on ne
savait
comment : Ce fruit ne pouvait pas flotter _ Il pesait
plus de cinq kilogrammes
et sa densité était supérieure à
celle de l'eau.
À bien le regarder, le
tournant et le retournant, on ne pouvait
que s'étonner : Quel génie, quel dieu
peut-être, pouvait bien
l' avoir cueilli,
et en quel jardin ?
_ Aucune hésitation n'était possible :
L'arbre qui le portait ne
pouvait pousser que dans le jardin d'un génie ou dans
celui
du dieu de l'amour :
Les rondeurs de cette noix double évoquaient sans
conteste
celles d'un fessier féminin : Rondeurs et orifices là où il le
fallait
... Fente suggestive et même triangle velu bien placé.
De quoi faire rêver le
marin ou le bédouin :
_ Images de houris au bord de l'Océan Indien
!
Ce fruit était très recherché par les
princes et les rois, les
émirs et les sultans. Sa coque sculptée, gravée,
niellée d'or,
d'argent et de nacre devenait aiguière ou bien coupe
précieuses.
_ "Coco-de-mer" ...
Qui découvrirait l'arbre qui le portait ?_
Cet arbre poussait-il
sur terre, ou bien au fond des océans ? _ De ses formes
on
déduisait les propriétés supposées : _ La chair de ce fruit ne
pouvait
qu'être aphrodisiaque ... Et l'on disait
qu'effectivement ... Elle réussissait
très bien ... même à l'émir
Abdul-Hamid, lequel avait plus de cent trente ans
et trente
six femmes ...
Ceci expliquant cela, celui qui le ramassait
avait fortune faite.
Et puis un jour, un grand voilier découvrit
une île de granit
rose, dans l'archipel qui se nomme maintenant les Seychelles.
Cette île est celle qui reçut depuis le nom de Praslin, en
l'honneur du Duc de
Praslin, dit-on,( oui, celui qui inventa les
prâlines ) ... A moins que ce ne
fût en l'honneur de son
cousin ?
... Dans le fond d'une vallée ... que l'on a
... Dieu sait pourquoi
... baptisée la Vallée de Mai, poussaient des palmiers
immenses, aux larges feuilles en éventail : Ces palmiers
portaient
les"cocos-de-mer" ! Il y en avait toute une forêt,
( Elle existe
encore ... ) _ Moiteur ... Chaleur ... On s'aperçut
alors que, si les formes du
fruit sont suggestives, celles de
l'inflorescence mâle ne le sont pas moins :
Il s'agit d'un
énorme pénis brun ... long de deux coudées ... turgescent,
tendu. Le moment venu, cette inflorescence s'incline en
direction d'une autre inflorescence,
femelle celle-là : En un
subit orgasme, les mille petites étoiles jaunes qui le
recouvrent éclatent toutes en même temps et libèrent les
pollens qu'emporte la
brise.
Mais on dit aussi ... On dit ... Que ne
dit-on pas ? _ On dit que
lorsque la mer se gonfle, lorsque les alisés sont
doux et
chauds ... Les palmiers gagnent la plage et, par couples,
descendent
jusqu'au fond de l'océan...C'est là qu'ils célèbrent
leurs noces ... Au petit
matin, chacun a regagné sa place par-
delà les cascades .
... Qui l'a dit ? ... Qui l'a vu ?
... Attendre la maturation des fruits :
"Cocos-de-mer", ou de
façon plus triviale mais plus courante :
"Cocos-fesses" ... Et
cela dit bien ce que celà veut dire ...
Dans la Vallée-de-Mai coule un clair
ruisseau, sur un lit de
cristal. Parfois, une palme chavire et tombe : C'est
ainsi
depuis la nuit des temps _ Un tapis de palmes recouvre le sol.
Parfois
passe une perruche noire, d'un seul trait ... Qui l'a
vue ? ... Qui l'a vue
?
_ C'est ici que se trouvait le jardin
d'Eden, n'est-ce pas ? Ici
ont vécu Eve et Adam, n'est-il pas vrai? _ Un
général anglais,
l'imagina le premier... Et si l'on vous dit qu' il s'agissait
d'un
général anglais ... Comment ne pas le croire ?
... C'est une belle histoire. On me l'a
contée au bord d'une
plage ... à Tahiti pour la première fois ... Nous nous
étions
assis sur le sable noir, en lisière du jardin botanique, à
Opunohu ...
Même chaleur ... Mêmes odeurs séminales
d'humus et de vie, telles qu'à
l'aisselle de la fille pubère ou au
ventre de la femme mûre ...
Le soleil se couchait sur Mooréa, l'île
voisine, déployant des
éventails,des voiles et des draperies d'argent et d'or
... de
pourpre aussi. On entendait rouler la vague au récif ... Le
lagon
brillait comme un grand plat d'étain ... Un grand
poisson faisait des ricochets
...
_ " Je ne sais pas si l'acclimatation
des "cocos-de-mer" a été
essayée ici ... Elle n'a réussi nulle part :
Le" coco-de-mer ne
vit que dans la "vallée-de Mai".
_" Certains pensent que cette
acclimatation aurait été réussie
à Tahiti ... Si Harrison Smith l'avait tentée
...
_ " Harrison Smith ! Un Britannique, je
crois ... Un grand
diable qui vivait là, à demi-nu ... Ou parfois complètement
nu... Il s'était épris de Tahiti ... _ Tu vois sa maison, là-bas ...
Elle avait
alors un toit de palmes au lieu de tôles ... Il dort son
dernier sommeil tout
en haut de la colline .. Là où il l'avait
souhaité ... au-milieu des bambous
qu'il avait plantés.
_ " C'est lui qui créa le jardin botanique.
_ Combien d'hectares ? _ Je ne le sais pas
exactement : Le
jardin était beaucoup plus grand qu'aujourd'hui."
Tulipiers aux fleurs rouges dressées en
quenouilles, figuiers-
banians aux racines descendant du haut des branches ...
Ici un cannelier, là un girofflier, un poivrier, un quenettier,
le carambolier
aux fruits acides, le corossol, les manguiers ...
La forêt des
"mapé", là-bas ... Leurs troncs surgissent du
marécage, soutenus paar
des contreforts, comme les murs
des cathédrales ... Lotus des étangs, nénuphars
rouges ou
violets...
Voici le rotin, la liane-de-jade, le
sagoutier et le palmier-à
huile. Voici les arbres- à-pain aux larges feuilles
découpées,
en leurs multiples variétés. ... Tous les hibiscus, les cierges
des
"opuhi", les fleurs des balisiers, aux couleurs de
perroquets, les
oiseaux-de-paradis par pleins massifs, et les
cascades des bougainvillées ...
Que dire encore ? _ La nacre
des chairs, l''humidité des muqueuses tièdes ...
Ah ! La rose-porcelaine !
Dans leur parc, tout près, deux tortues des
Galapagos tentent
de s'accoupler : Leur souffle se fait rauque, puis il devient
presque un mugissement ... Le mâle a eu les yeux crevés par
un imbécile. Ces
deux tortues sont plus que centenaires ...
_ " Harrison Smith ? C'était un silène,
un satyre, un diable,
un dieu ... Comme tu voudras ...
On dit ... On dit ...
Tiens, ce soir, as-tu vu la vieille petite
dame qui marchait à
pas lents au bord de la mer ? _ Elle portait une robe
rose-
bonbon et une capeline blanche ... On dit que chaque année,
elle revient
ici, au jour de la Saint-Valentin... Elle tenait à la
main une fleur de lotus :
soie froissée ... Je sais pourquoi elle
vient ici tous les ans :
... Un soir, à
la même heure que maintenant, ou à peu près ...
A l'heure des odeurs suaves ...
Elle a rencontré Harrison
Smith sur la plage ... C'était il y a bien longtemps
: Elle avait
seize ans ! ... Nu, Harrison sortait du bain ... Arriva ce qui
devait arriver ... Il cueillit sa fleur ... Là, sur le sable ... C'est
cela que
la vieille dame n'a jamais oublié ! ...
Sans doute ce sacré Harrison faisait-il
des miracles !
Chaque année, la vieille dame commémore la Saint-Valentin
...
Mais croyez-moi, il y en eut d' autres, nombreuses...
Si elles venaient en pélerinages toutes
ensemble au jardin
botanique, cela ferait une belle procession ! " .
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire