mardi 1 mars 2016

ALGÉRIE - 1944 - LES ALOUETTES.






ALGÉRIE 1944



BEAUCOUP DE PETITS CAILLOUX !













































LES  CALENDRES






- “ Tu prends ton sac. D’une main, tu le tiens ouvert. Tu tiens ton bâton de la même main. Tu marches sans faire de bruit, en traînant les pieds ... Comme ça ! Il fait nuit noire, sans lune. Moi je reste à côté de toi. De la main droite, je tiens une lanterne sourde. Elle trace un rond de lumière blanche sur le sol, et ce rond avance en même temps que nous, en se balançant un peu. De la main gauche, je tiens une cloche. Le battant résonne à chacun de nos pas. Aligne ton pas sur le mien. C’est le son de la cloche qui couvre le bruit que nous pouvons faire.”













- ” Non mais, tu te moques de qui ? Me prends-tu pour un gamin ? Je la connais, l’histoire du dahu, l’animal qui court autour de la colline ... C’est un quadrupède, mais il a les deux pattes de gauche plus courtes que celles de droite. Il court sur les pentes en tournant dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Tu bats la cloche lentement, de façon monotone. Tu allumes la mèche de ta lampe à pétrole. Tu tiens ton sac ouvert. Tu empoigne ton bâton. Quand le dahu arrive, attiré par la lumière, trompé par le son de la cloche, tu le fais entrer dans le sac et tu tapes dessus avec ton bâton !

C’est très bon, le dahu, c’est meilleur que le chevreuil ! Tu n’en as jamais mangé ?

... Je connais quelqu’un qui a attendu le passage du dahut pendant toute une nuit, pendant que ses compagnons de chasse mangeaient des huîtres et buvaient du vin blanc à l’auberge ! On l’appelait “Jean-le-Sot”, celui qui attendait ! “

































- ”Mais non ! Personne ne veut se moquer de toi ! Il ne s’agit pas du dahut ! Sur les plateaux algériens, ce sont les calandres que l’on chasse ainsi, les alouettes calandres. Enfin, ce sont de grosses alouettes ! Elles se déplacent en vols immenses, déroulant de longues écharpes à ras de terre. Le jour, les enfants les éloignent à grands cris pour qu’elles ne pillent les champs de blé. Le soir, ces milliers d’oiseaux se posent sur les buissons du plateau, tout autour des lacs salés et sur la piste du terrain d’aviation. On les ramasse à la main en procédant comme je te le dis. Tu peux me croire, j’y suis allé déjà plusieurs fois !

- ” Même si je te croyais, je ne pourrais pas venir : Je suis de garde !”

- ” De garde, de garde ... Tu sais, la nuit tombe de bonne heure en ce moment. Nous irons juste sur le plateau, derrière les hangars. Nous serons rentrés à temps pour que tu prennes ta garde ! “










- ” Non, mais ... Franchement, tu te fous de moi ! “

- ” Viens, te dis-je ... Tu verras ! “

Et c’est qu’il a l’air d’y croire, l’ami ! Si c’était vrai, son histoire de chasse aux calandres ?

- ”Te voilà un sac et une lanterne. C’est une lanterne à carbure. Elle éclaire bien mieux qu’une lampe à pétrole !”

- ” Je connais. Chez moi, on s’en sert pour aller à la pêche, la nuit... Mais si jamais tu te fous de moi ! “

Bon. On descend de la voiture. Derrière, il y a le guide et son fils, enveloppés dans leurs burnous. C’est le guide qui sonne la cloche. C’est un coup à prendre, un rythme à respecter, lentement ...

- ” C’est par là qu’elles se sont posées ce soir. Mon fils les a guettées.”













Chuintement de la lampe à carbure ... l’obscurité se déchire dans le cercle de la clarté crue. On avance à deux mètres les uns des autres.
Longues épines des arbousiers, crissant sur la toile des pantalons ... Rameaux agressifs, petites feuilles rares, rondes, luisantes ... Le sol est de rocaille rouge. L’univers se réduit à ce rond de lumière blanche ! Tout le reste a disparu dans la nuit noire. Le ciel même est obscur, c’était à prévoir : l’après-midi roulait les nuages d’orage. Vénus, pourtant, brille droit devant et parfois, lorsque le vent déchire les nuages, on voit scintiller les chevaux du grand chariot. L’air est chargé d’odeurs d’absinthe, de sable et de sel. Bon, cela, paraît-il : Quand il y a du vent, les oiseaux se tapissent dans les rameaux des buissons ...

Un coup d’œil à mes voisins de gauche. Un autre à mes voisins de droite : Incroyable ! Personne ne semble vouloir me fausser compagnie ! Tiens, les oiseaux, les voici !



- ” Et maintenant, qu’est-ce que j’en fais ? ... Un plein sac ! Les oiseaux sont vivants. Je les ai fourrés dans le sac l’un après l’autre, au fur et à mesure du ramassage. Tu parles d’une histoire ! Pour les tuer et les plumer, ma femme va s’amuser ! En attendant, moi, je suis de garde. Il faut que j’aille prendre mon service et faire ma ronde !

- ” Portez donc le sac dans ma chambre. Je m’en occuperai tout à l’heure ! “


La chambre de l’officier de garde ! Tu parles ! C’est grand comme un rien : la place d’y loger un lit de camp, un petit lavabo et une armoire métallique.

Tu reviens. Ta ronde est finie. Tout va bien ... Quelle heure est-il ? Le vent a forci. La nuit est encore plus noire. Aurons-nous de l’orage ?

Les projecteurs, là-bas, juchés sur les miradors, balaient de leurs pinceaux les barbelés des clôtures. Un chacal hurle, un autre lui répond. Quinze chacals entament un concert.

- “ Bonsoir Commandant ! “

- ” Bonsoir mon vieux ! “

Ôter sa casquette, s’éponger le front avec son mouchoir, avancer tout en déboutonnant sa veste bleu marine ... Fichue installation électrique ! Les fusibles ont dû sauter encore. Tout le couloir est dans le noir. Ouvrir la porte de la chambre ...

- ” Tu sais, tu as l’impression d’entrer dans une caverne. C’est l’obscurité la plus complète. Tu avances à l’aveugle, bras tendus, mains en avant. Tu connais les lieux, alors tu sais où tu vas.






























Inutile d’actionner l’interrupteur. L’armoire est à droite, le lavabo est à gauche. Tout droit, pour atteindre le lit que tu heurtes des tibias.

- ” Sacré nom d’un chien ! Qu’est-ce que c’est que ça ? “

L’impression bizarre de pénétrer dans un vol de chauves-souris. Tu sais, des pipistrelles. Elles sont toutes petites. Elles volent dans tous les sens. Elle te frôlent le visage et c’est comme un papillotement de cils sur ta joue... Elles se prennent dans tes cheveux, dans les plis de ton veston, que tu avais commencé à déboutonner.
À vrai dire, il était déjà complètement déboutonné, ouvert, ton veston ! Et ça rentrait partout, même par le col de ta chemise ! Tu entendais des petits chocs mous, des frôlements, de petits piaillements aussi.

- ” Merde, les calandres !”

Eh bien oui, les calandres ! Tu fermes la porte pour qu’elles ne s’enfuient pas ... Et puis maintenant, te voilà bien avancé ! Tu n’y vois rien. Bon Dieu, pas d’électricité, pas de lampe !

- ” Apportez-moi une lampe ! “



























Le téléphone ... Il est là, le téléphone, sur le tabouret qui me sert de table de nuit. Je l’ai fichu par terre. Bon, il fonctionne encore.

- ” L’officier marinier de garde ? Faites moi apporter une lampe, mais dites au gars qui va me l’apporter de faire bien attention en ouvrant la porte : Ma chambre est remplie d’oiseaux !”

- ” Commandant, que se passe-t-il ?”

Ils sont venus à trois pour m’apporter la lampe ! Trois, dont l’officier marinier ... Leur tête à tous les trois, en entrant dans la chambre !

Des oiseaux ? Ah ! Bien oui, des oiseaux ! Nous avons passé une heure, à nous quatre, pour attraper tous les oiseaux et les remettre dans le sac ! Je vous laisse imaginer la scène, dans un espace aussi réduit, l’un se met à quatre pattes pour chercher sous le lit, l’autre ...
Vous imaginez cela, vous ? Attraper les calandres une à une, pendant que l’un de nous, celui qui tient la lampe, essaie de les suivre à la lueur de sa lampe torche !

- ”Mais non ! Ne vois-tu pas qu’elle est sur le haut de l’armoire ? Trop tard, elle est repartie ! Là ! Là !
Mais sacré bon Dieu, tu n’éclaireras jamais là où il le faudrait! Attends, j’en ai une ! Elle s’est échappée, il ne me reste que trois plumes à la main.”

- ” Et puis, je ne vous dis pas : La tête de ma femme, quand je lui ai rapporté tous ces oiseaux à tuer et à plumer ! C’était pour Noël. On s’en souviendra !





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